Je poursuivrai dans le même sens que mes collègues, notamment en apportant des éléments concrets pour étayer le propos de Jean-Luc Mélenchon.
La raison invoquée pour introduire l'apprentissage junior dans cette loi est, selon les propos récurrents du ministre de l'éducation nationale, la situation des 15 000 jeunes qui « décrochent » chaque année au cours de leur scolarité.
Mais une telle mesure est en totale contradiction avec l'évolution de l'apprentissage ces dix dernières années, notamment s'agissant de ce qui motive la demande d'apprentis de la part des employeurs.
Les statistiques parlent d'elles-mêmes ! En 1995, huit apprentis sur dix étaient inscrits dans une formation de niveau V, c'est-à-dire CAP ou BEP. En 2003, ils étaient à peine plus de six sur dix dans ce cas. Entre-temps, la part des jeunes apprentis ayant suivi une formation de ce niveau et ayant tenté le baccalauréat est passée de 14 % à 21 %. Et celle des jeunes entrés en apprentissage avec au moins le baccalauréat est passée de 6 % à 14 %.
C'est donc toujours à un niveau supérieur que l'on entre en apprentissage, parce que la demande de plus de qualification est la tendance actuelle.
En outre, la grande majorité des jeunes - 73 % en 2003 - entrant en CAP ou en BEP sous contrat d'apprentissage ont au minimum suivi la voie scolaire jusqu'à la sortie de la troisième.
Autre évolution marquante de ces dernières années, la diffusion du contrat d'apprentissage pour l'acquisition d'un diplôme de niveau III a plus que doublé en huit ans. Entre 1995 et 2003, l'usage du contrat d'apprentissage a gagné treize nouveaux métiers dans les secteurs du commerce, de la comptabilité, de la gestion, de la banque, de l'assurance, du secrétariat et de l'informatique. C'est à ce niveau que la palette des formations ouvertes en apprentissage est la plus large. Cela témoigne des exigences en termes de qualification du personnel recherché de la part des entreprises et des branches entrant sur le marché de l'apprentissage.
Au niveau II, l'apprentissage concernait dix-sept spécialités en 1997 ; il en touchait trente-sept en 2003. Dans le même temps, le nombre de spécialités où l'on trouve des apprentis bac + 5 a plus que doublé, passant de 18 % à 38 %. Tout cela est édifiant !
Tout responsable public ne peut que se réjouir d'une telle tendance de fond, liée au développement d'un apprentissage formant des professionnels à haut niveau de qualification, dans un contexte où la spécialisation des métiers est un atout majeur des entreprises dans la compétition internationale.
Alors pourquoi votre projet va-t-il exactement dans le sens inverse de la demande actuelle des employeurs ? Comment ceux qui nous donnaient des leçons, en prétendant que la gauche ne connaît pas les entreprises, peuvent-ils persister à affirmer qu'un dispositif excluant de toute formation initiale des jeunes orientés vers des filières d'apprentissage dès l'âge de quinze ans pourrait leur être profitable ? Nous savons pourtant que les entreprises recherchant des apprentis souhaitent avant tout une main-d'oeuvre qualifiée, ayant certes suivi un cursus professionnalisant, mais munie d'une formation générale suffisamment riche pour développer en permanence ses compétences.
Le projet d'apprenti junior est, à l'évidence, une mesure injuste pour les dizaines de milliers de jeunes qui la subiront. Mais ce dispositif se révélera également rapidement inefficace à un double titre : il sera incapable de mettre fin aux difficultés de recrutement des secteurs en demande d'apprentis qualifiés et il ne pourra résoudre les problèmes d'insertion professionnelle rencontrés par de nombreux adolescents en situation d'échec scolaire.