Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 avril 2015 à 11h33
Projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 — Communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Le Conseil des ministres a adopté, le 15 avril, le projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2017, qui établit, pour cette période, les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement, de même que la trajectoire des finances publiques. Ce projet de programme de stabilité présente un intérêt particulier dans la mesure où il expose la « réponse » du gouvernement français à la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015, qui a reporté le délai de correction du déficit excessif de la France de 2015 à 2017.

Sans qu'il soit nécessaire de revenir sur la question de l'organisation d'un débat en séance, qui n'aura pas lieu, j'indique que, conformément à une tradition bien ancrée de la commission des finances du Sénat qui publie un avis circonstancié sur les projets de programme de stabilité depuis 2011, nous nous sommes attachés à procéder à un examen aussi approfondi que possible - eu égard aux délais impartis - du projet de programme de stabilité 2015-2018 avant sa transmission aux institutions européennes, qui doit intervenir avant la fin du mois d'avril.

Je commencerai par vous présenter le cadrage macroéconomique du projet de programme de stabilité. Le Gouvernement anticipe une accélération progressive de l'activité économique à compter de 2015. Ainsi, le produit intérieur brut (PIB) progresserait de 1 % en 2015, 1,5 % en 2016-2017 et de 1,75 % en 2018. De même, l'inflation serait nulle en moyenne annuelle en 2015, avant de remonter à 1 % en 2016, 1,4 % en 2017 et 1,75 % en 2018.

De toute évidence, les hypothèses macroéconomiques dans le cadre du projet de programme de stabilité sont raisonnables. En effet, les prévisions de croissance du PIB et d'inflation sont proches, sinon identiques, aux prévisions du Consensus Forecasts ; elles sont également similaires aux anticipations de la Commission européenne et légèrement moins « optimistes » que celles du Fonds monétaire international (FMI) et de l'OCDE.

D'ailleurs, dans son avis du 13 avril 2015, le Haut Conseil des finances publiques a jugé que les hypothèses de croissance pour 2015, mais également pour 2016 à 2018 étaient « prudentes », en particulier dans un contexte plus favorable créé par les fortes baisses du cours du pétrole et de l'euro, et ce en dépit de l'existence de risques financiers liés à la possible formation de « bulles » et à l'apparition de déséquilibres de bilan des institutions financières du fait de la faiblesse des taux d'intérêt.

S'agissant, plus spécifiquement, de l'exercice 2015, « la croissance changerait de rythme au premier semestre », selon le Gouvernement, la croissance attendue s'élevant à 0,3 % en moyenne au cours des deux premiers trimestres de l'année. Par suite, l'activité économique sortirait de la relative atonie qui a caractérisé 2014. À titre de rappel, la croissance trimestrielle a été quasi nulle tout au long l'année, en dépit d'un léger rebond constaté au troisième trimestre, essentiellement lié à un ressaut des stocks. Malgré cela, l'acquis de croissance s'élevait à 0,3 point environ au début de l'année 2015, contribuant à la crédibilité d'une prévision de croissance de 1 %.

Dans le scénario macroéconomique gouvernemental, les deux principaux facteurs de rebond de l'activité économique en 2015 seraient la consommation des ménages et l'accroissement des exportations.

Selon le Gouvernement, la consommation des ménages progresserait de 1,5 % en 2015, après avoir crû de seulement 0,6 % en 2014. En effet, la consommation serait portée par une accélération du pouvoir d'achat, en raison d'une hausse des salaires réels liée à « une nouvelle surprise à la baisse sur l'inflation en 2015 ». Dans sa Note de conjoncture, publiée au mois de mars, l'Insee considère également que la « consommation des ménages accélèrerait nettement au premier semestre 2015 », en particulier du fait de la hausse du pouvoir d'achat liée à la désinflation. Toutefois, l'institut de statistique semble se montrer plus réservé que le Gouvernement quant à une diminution à court terme du taux d'épargne des ménages. À cet égard, il faut rappeler que dès la présentation du programme de stabilité d'avril 2012, le Gouvernement annonçait un recul du taux d'épargne des ménages ; toutefois, celui-ci est passé de 15,1 % en 2012 et 2013 à 15,8 % au troisième trimestre 2014.

Les exportations des entreprises françaises bénéficieraient, quant à elles, de plusieurs éléments favorables. Tout d'abord, celles-ci seraient soutenues par la dépréciation récente de l'euro. En effet, au cours du premier trimestre 2015, l'euro s'est de nouveau déprécié de près de 10 % face au dollar, notamment en raison de l'annonce du programme étendu d'achats d'actifs par la Banque centrale européenne (BCE) à la fin du mois de janvier.

Ensuite, les exportations françaises bénéficieraient de l'accélération de l'activité dans la zone euro, également favorisée par la politique monétaire accommodante de la BCE, le recul du taux de change et la faiblesse du prix du pétrole. Ainsi, le Consensus Forecasts prévoit une progression du PIB de la zone euro de 1,4 % en 2015. En outre, la croissance resterait dynamique aux États-Unis (+ 3,1 %), ainsi qu'au Royaume-Uni (+ 2,7 %). Au total, le Gouvernement prévoit une hausse de la demande étrangère adressée à la France de 4,5 % en 2015.

Trois éléments viennent toutefois « ternir » le scénario économique de l'année 2015. En premier lieu, l'Insee anticipe une légère augmentation du chômage au cours du premier semestre de cette année, atteignant 10,6 % à la mi-2015, contre 10,4 % à la fin de l'année 2014. La progression de l'emploi total serait essentiellement imputable aux contrats aidés.

En deuxième lieu, l'activité dans la construction devrait continuer de reculer au cours des deux premiers trimestres de l'année, de 0,7 % puis 0,6 % ; à cet égard, l'Insee considère que « la poursuite de la baisse des permis de construire de bâtiments non résidentiels ne laisse pas attendre de franche amélioration ». La situation actuelle du secteur du bâtiment et des travaux publics peut être attribuée à la faiblesse de l'investissement des entreprises, de même que des ménages, dans un contexte de chômage élevé et d'« attentisme » face à l'incertitude sur l'évolution des prix ; pour autant, elle n'est probablement pas sans lien avec la baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales.

Enfin, l'investissement des entreprises resterait atone en 2015, le Gouvernement prévoyant une hausse de seulement 0,3 %. L'Insee juge que « beaucoup de conditions sont réunies pour que l'investissement des entreprises accélère », en raison notamment du redressement du taux de marge, grâce à la montée en charge du crédit pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité et de solidarité et l'amélioration des termes de l'échange du fait de la baisse du prix du pétrole. Malgré tout, comme je l'avais montré lors de l'examen du dernier collectif de fin d'année, le CICE et le Pacte de responsabilité ne permettront pas, d'ici 2017, de faire revenir le taux de marge des sociétés non financières à son niveau antérieur au déclenchement de la crise. Par ailleurs, les enquêtes de conjoncture, notamment dans les services et le bâtiment, indiquent que les chefs d'entreprises ont encore une propension limitée à investir. Ainsi, en dépit d'une amélioration au mois de mars, l'indicateur de climat des affaires demeure en deçà de sa moyenne de long terme. Ceci montre clairement que la confiance des chefs d'entreprise n'est pas encore au rendez-vous.

Afin de remédier à l'atonie annoncée de l'investissement, le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé, le 8 avril dernier, un ensemble de mesures pour relancer l'investissement des entreprises, l'investissement des ménages et l'investissement public.

S'agissant de l'investissement des entreprises, une majoration de 40 % de l'amortissement fiscal appliqué aux investissements industriels réalisés entre le 15 avril 2015 et le 15 avril 2016 a été annoncée. Aussi, les entreprises pourront déduire ces investissements à hauteur de 140 % de leurs montants de l'impôt sur les sociétés dû. Le coût de ce dispositif - qui a été introduit dans le projet de loi « Macron » - est estimé à 2,5 milliards d'euros sur cinq ans. Il est également prévu un plan de travaux autoroutiers de 3,2 milliards d'euros. Par ailleurs, la Banque publique d'investissement devrait accorder 2 milliards d'euros de prêts de plus qu'initialement prévu d'ici 2017, financés grâce au « plan Juncker ». Enfin, des mesures devraient être prises pour orienter davantage l'épargne des ménages vers le financement des entreprises ; il s'agirait, en particulier, de favoriser la diffusion des contrats d'assurance-vie Euro-Croissance et du dispositif PEA-PME.

Pour ce qui est de l'investissement des ménages, afin de stimuler les dépenses dans le domaine du logement, il est prévu de prolonger le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) d'une année et d'accroître le budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) de 70 millions d'euros en 2015. À titre de rappel, le « coût » du CITE est estimé à 1 320 millions d'euros pour 2016 ; la prolongation du dispositif aurait donc pour effet une hausse des dépenses fiscales d'un montant proche, voire supérieur, au cours de l'exercice 2017.

Enfin, concernant l'investissement public, il a été annoncé que la Caisse des dépôts et consignations mettrait des prêts à taux zéro à disposition des collectivités territoriales pour qu'elles bénéficient d'une avance sur les sommes que l'État leur verse au titre du Fonds de compensation de la TVA.

Au total, les nouvelles mesures en faveur de l'investissement annoncées par le Premier ministre représenteraient un coût budgétaire de près de 3,9 milliards d'euros sur la période 2015-2019.

Plusieurs remarques doivent être formulées concernant ce plan en faveur de l'investissement. Tout d'abord, celui-ci intervient tardivement. À cet égard, je rappellerai que le Sénat avait adopté, lors de l'examen du collectif de la fin de l'année 2014, un amendement porté conjointement par le groupe UDI-UC et le groupe socialiste, avec le soutien de la commission des finances, proposant un mécanisme d'amortissement dégressif réservé aux investissements industriels des PME ; toutefois, cette initiative avait fait l'objet d'un avis défavorable du Gouvernement et avait été supprimée par l'Assemblée nationale. Si le dispositif proposé par le Sénat avait été adopté, nous aurions gagné quelques mois. Ensuite, il y a lieu de s'interroger sur l'efficacité d'un ensemble de mesures aussi hétéroclites.

Enfin, la question du financement de ces mesures reste entière. Alors que leur coût budgétaire total peut être estimé, à ce jour, à 3,9 milliards d'euros, le ministre des finances, Michel Sapin, a seulement précisé, par voie de presse, que la perte de recettes de 380 millions d'euros occasionnée en 2015 par la majoration de l'amortissement sur les investissements industriels serait compensée par un surcroît d'économies.

Pour les années 2016 à 2019, l'incertitude quant au financement de ces mesures est préoccupante. Elles sont, en effet, susceptibles de « peser » sur une trajectoire des finances publiques qui doit impérativement respecter la recommandation formulée par le Conseil de l'Union européenne dans le cadre de la procédure de déficit excessif.

Le 10 mars dernier, le Conseil de l'Union européenne a adopté une recommandation reportant le délai de correction du déficit excessif de la France de 2015 à 2017. Conformément au droit de l'Union européenne, un tel report peut être accordé, d'une part, si l'État membre concerné a engagé une action suivie d'effets afin de corriger son déficit excessif et, d'autre part, si des évènements négatifs et inattendus ayant des conséquences défavorables majeures pour les finances publiques se produisent après l'adoption de la première recommandation. À cet égard, s'agissant de la France :

- premièrement, il a été considéré que « les éléments de preuve disponibles ne permett[aient] pas de conclure à l'absence d'action suivie d'effets » ;

- deuxièmement, si les prévisions macroéconomiques pour 2013 publiées par la Commission européenne en mai 2013 se sont révélées inférieures au réalisé, tel n'est pas le cas pour ce qui est de l'exercice 2014. En effet, la Commission prévoyait une croissance de 1,1 % et une inflation de 1,7 % en 2014 ; cependant, les données publiées en février 2015 font apparaître, pour 2014, une progression du PIB de 0,4 % et une inflation de 0,6 %.

Si les deux conditions prévues par le droit de l'Union européenne pour l'octroi d'un report du délai de correction du déficit excessif paraissent plus ou moins respectées, il semble que la France a, avant tout, bénéficié des principes figurant dans la communication de la Commission du 13 janvier 2015, intitulée « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance » ; la recommandation du Conseil du 10 mars relève, à ce titre, que « les informations fournies et les engagements pris par les autorités françaises en ce qui concerne les réformes structurelles vont dans la bonne direction au regard des exigences formulées dans [cette communication] et mettent la France en mesure d'une prolongation de plus d'un an du délai pour la correction du déficit excessif ». Il en résulte que la Commission européenne portera, dans le cadre de la procédure de déficit excessif, un regard particulièrement attentif au programme national de réforme et, surtout, à la bonne mise en oeuvre des projets de réformes structurelles qui y figurent.

La recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 accompagne le report du délai de correction du déficit d'objectifs de déficit effectif et d'amélioration du solde structurel pour les années 2015 à 2017. Ainsi, selon la recommandation, le déficit effectif devrait être de 4 % en 2015, de 3,4 % en 2016 et de 2,8 % en 2017. L'amélioration annuelle sous-jacente du solde structurel serait, quant à elle, de 0,5 % du PIB en 2015, de 0,8 % du PIB en 2016 et de 0,9 % du PIB en 2017.

La recommandation du Conseil de l'Union européenne juge que le gouvernement français doit « adopter et exécuter rapidement les mesures supplémentaires nécessaires pour atteindre les objectifs budgétaires en 2015, 2016 et 2017 ». Ces mesures représenteraient 0,2 % du PIB en 2015, 1,2 % du PIB en 2016 et 1,3 % du PIB en 2017, soit un montant d'un peu plus de 60 milliards d'euros, qui viendrait s'ajouter aux 25 milliards d'euros d'économies effectivement « identifiées » par la Commission européenne pour les années 2015 à 2017. Par conséquent, l'effort budgétaire total à réaliser par la France s'élèverait, selon les institutions européennes, à 85 milliards d'euros environ au cours de la période 2015-2017.

Avant d'exposer la trajectoire des finances publiques présentée par le Gouvernement dans le projet de programme de stabilité, il convient de revenir brièvement sur les comptes provisoires des administrations publiques publiés par l'Insee le 26 mars dernier. Ainsi, le déficit public s'établirait en 2014 à 84,8 milliards d'euros, soit à 4 % du PIB, en recul de 0,1 point par rapport à 2013. Le déficit serait donc moins élevé de 0,4 point de PIB à ce que le Gouvernement anticipait à la fin de l'année dernière. La dette publique de notre pays s'élèverait, quant à elle, à 95 % du PIB en 2014, soit 2,7 points de PIB de plus qu'en 2013. Des données plus précises sur le déficit et le niveau d'endettement par sous-secteur des administrations publiques seront rendues publiques par l'Insee au mois de mai prochain.

Le projet de programme de stabilité 2015-2018 propose une trajectoire des finances publiques dont la « philosophie » est exposée dès les premières pages du document ; celle-ci peut être résumée de la manière suivante : dans la mesure où le déficit public pour 2014 est inférieur à ce qui était prévu lors de l'adoption de la recommandation du Conseil de l'Union européenne et que le contexte économique se révèle plus favorable, il est possible de respecter les cibles de solde effectif arrêtées tout en consentant des efforts budgétaires plus modérés que ceux demandés par la Commission européenne. De cette manière, le Gouvernement souhaite procéder à une réduction du déficit compatible avec une reprise de la croissance économique.

Ainsi, le programme de stabilité prévoit une réduction du déficit public de 4 % du PIB en 2014 à 1,9 % en 2018 ; le déficit reviendrait donc en deçà de 3 % du PIB en 2017 et s'élèverait alors à 2,7 % du PIB. Par suite, le déficit effectif serait réduit de 2,1 points de PIB entre 2014 et 2018, soit une variation très inférieure à cella ce que prévoyait la dernière loi de programmation des finances publiques pour la même période (2,7 points de PIB).

Le déficit structurel, quant à lui, passerait de 2 % du PIB en 2014 à 0,1 % du PIB à 2018, correspondant à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2015 et 2018. Cet ajustement serait supérieur à celui figurant dans la loi de programmation des finances publiques qui prévoyait un ajustement structurel de 1,6 point de PIB sur la période 2015-2018.

Ces dernières données pourraient laisser penser que la consolidation des finances publiques prévue serait supérieure dans ce programme de stabilité en comparaison à la dernière loi de programmation ; pour autant, ceci ne relève en rien de l'évidence. En effet, les éléments relatifs au solde structurel et à l'ajustement structurel sont difficilement comparables dès lors que le Gouvernement a fait le choix de modifier les hypothèses de produit intérieur brut (PIB) potentiel et de croissance potentielle. Or, le PIB potentiel constitue une variable essentielle dans le calcul du solde structurel et de l'ajustement structurel ; pour plus de détails, je vous renvoie à mon rapport sur le projet sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 de l'automne dernier.

Cette modification des hypothèses de PIB potentiel a été critiquée par le Haut Conseil des finances publiques qui y voit un « problème de principe ». En effet, il convient de rappeler qu'en application de l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil examine, dans le cadre du mécanisme de correction, le respect des objectifs de solde structurel « en retenant la trajectoire de produit intérieur brut potentiel figurant dans le rapport annexé » à la loi de programmation.

Cette disposition, adoptée par le Sénat à l'initiative de Jean-Pierre Caffet visait à ce que les hypothèses de PIB potentiel soient communes au Gouvernement, au Haut Conseil, mais également au Parlement, qui ratifie la trajectoire, et ce tout au long de la période de programmation. Par conséquent, en modifiant les hypothèses de croissance potentielle, le Gouvernement « gêne » considérablement le contrôle qui peut être exercé sur le respect de la trajectoire des finances publiques. Par ailleurs, cela signifie que plusieurs trajectoires de solde structurel ont vocation à coexister : celle de la loi de programmation et celle du programme de stabilité.

Le relèvement des hypothèses de croissance potentielle de 0,2 point pour les années 2016 à 2018 interroge d'autant plus que cette modification permet d'accroître mécaniquement l'ajustement structurel affiché. Dans le projet de programme de stabilité, l'ajustement structurel pour la période 2015-2018 atteint 2 points de PIB ; cependant, avec les hypothèses de croissance potentielle de la dernière loi de programmation, il ne serait que de 1,6 point de PIB environ - cet écart de 0,4 point de PIB correspond à un moindre ajustement d'une dizaine de milliards d'euros environ.

La révision de ces hypothèses permet donc au Gouvernement de présenter un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an au titre de la période 2016-2018, soit le niveau minimal requis par le Pacte de stabilité et de croissance pour les États soumis à la procédure de déficit excessif.

Cela ne permet aucunement d'atteindre les cibles d'ajustement structurel arrêtées par le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 10 mars dernier.

En tout état de cause, après avoir présenté le solde structurel comme le « pilier » de notre politique budgétaire, alors que la conjoncture s'améliore, le Gouvernement se focalise aujourd'hui opportunément sur le solde effectif.

Le Gouvernement justifie la révision de ses hypothèses de croissance potentielle dans une note de bas de page du projet de programme de stabilité par les effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité et de solidarité. Toutefois, ces différentes mesures étaient déjà connues lors de l'élaboration et du vote de la dernière loi de programmation.

En outre, les hypothèses gouvernementales s'inscrivent indiscutablement dans le haut de la « fourchette » des estimations retenues par les économistes, comme le montre le consensus de la croissance potentielle de la commission des finances d'octobre 2014.

La trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement continue de reposer sur le programme de 50 milliards d'euros d'économies pour la période 2015-2017 qui avait été avancé au cours de l'année 2014. En effet, à partir de 2015, la consolidation des finances publiques doit reposer, selon le Gouvernement, exclusivement sur des efforts en dépenses. Toutefois, nous pouvons nous étonner que ce quantum d'économies demeure invariable en dépit de l'annonce de mesures fiscales nouvelles - dont le « suramortissement » des investissements industriels - ou encore de demandes d'économies additionnelles par les institutions européennes.

Quoi qu'il en soit, afin de respecter ce programme d'économies de 50 milliards d'euros d'économies, dans un contexte de faible inflation qui a réduit le rendement attendu de certaines mesures comme le « gel » du point d'indice, le Gouvernement annoncé des mesures supplémentaires d'un montant de 4 milliards d'euros en 2015 et de 5 milliards d'euros en 2016. S'agissant de l'exercice 2014, ces mesures intègrent 1,2 milliard d'euros d'économies sur les dépenses de l'État et de ses opérateurs, 1 milliard d'euros d'économies sur les dépenses de santé et de protection sociale, notamment sur les dépenses entrant dans le champ de l'ONDAM, 0,4 milliard d'euros de recettes supplémentaires provenant du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) pour les contribuables ayant détenu des avoirs à l'étranger, 0,2 milliard d'euros liés à la hausse des dividendes reçus par l'État - notamment de la Banque de France - et 1,2 milliard d'euros de moindres dépenses sur la charge de la dette résultant de la révision à la baisse des taux d'intérêt. À n'en pas douter, ces différentes mesures donnent une réelle impression de « déjà-vu ».

Au total, les dépenses des administrations publiques croîtraient de 1,3 % en volume en 2015, puis de 0,1 % en 2016, de 0,2 % en 2017 et de 0,4 % en 2018. Ainsi, la croissance des dépenses publiques en volume serait en moyenne de 0,5 % par an au cours de la période 2015-2018.

En dépit de sa « constance », le programme d'économies de 50 milliards d'euros demeure peu documenté, ce qui a, d'ailleurs, été souligné par la Cour des comptes. Celui-ci n'a pas pleinement convaincu les services de la Commission européenne qui n'identifient « que » 25 milliards d'euros ; de même, dans son avis sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, le Haut Conseil des finances publiques estimait que le respect de la trajectoire n'était pas « acquis » et qu'il supposait d'« infléchir fortement et sur toute la période de programmation la croissance de la dépense publique ».

Par conséquent, compte tenu du fait que la croissance des dépenses publiques en volume a été de 2 % en moyenne entre 2000 et 2013 et de ce que le Gouvernement a rarement tenu ses objectifs en la matière, il convient de mettre en évidence la sensibilité de cette trajectoire au respect de l'effort en dépenses programmé - d'autant que les objectifs affichés par le Gouvernement en la matière paraissent particulièrement ambitieux ; à cet effet, des projections ont été réalisées à partir de deux scénarii :

- un premier scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 1,1 % au cours de la période 2016-2018, ce qui correspond au taux d'évolution de la dépense en 2014 ;

- un second scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 0,7 % entre 2016 et 2018, soit une progression intermédiaire entre le taux d'évolution constaté en 2014 et la prévision du Gouvernement.

Ces projections montrent que le non-respect de l'objectif d'évolution annuelle de la dépense publique en volume fixé dans le programme de stabilité aurait pour conséquence de dégrader fortement la trajectoire des soldes structurel et effectif et de la dette publique.

Une progression de la dépense publique de 1,1 % par an en volume entre 2016 et 2018 conduirait ainsi à un déficit structurel d'environ 1,4 % du PIB en 2018, contre une « cible » de 0,1 % du PIB. Le déficit effectif ne passerait pas en-dessous de 3 % au cours de la période de programmation. Enfin, la dette publique augmenterait jusqu'en 2017 pour atteindre 98,5 % du PIB.

Si la progression de la dépense publique en volume était de 0,7 % par an au cours de la période 2016-2018, le solde structurel serait de 0,8 % du PIB en 2018. Pour ce qui est du déficit effectif, celui-ci ne reviendrait en deçà du seuil de 3 % du PIB qu'à l'horizon 2018. La dette publique, elle, serait supérieure de près de 1,5 points de PIB en 2018 par rapport à la prévision.

Ces résultats montrent bien que le Gouvernement n'a pas droit à l'erreur et devra donner plus de substance à son programme d'économies, en engageant les réformes structurelles nécessaires à un ralentissement pérenne de la dépense publique, s'il souhaite tenir ses engagements.

En dépit de la « prudence » des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement dans le projet de programme de stabilité, il paraît utile de mesurer la sensibilité de la trajectoire de solde effectif et de la dette publique à la conjoncture économique.

C'est la raison pour laquelle il est proposé de retenir deux scénarii conventionnels, qui ne constituent aucunement des prévisions alternatives, dans lesquels la croissance du PIB sur la période 2015-2018 est supposée être supérieure de ½ point à la prévision du Gouvernement dans un cas et inférieure de ½ point dans l'autre.

Sur l'ensemble de la période de programmation, il apparaît que la trajectoire d'ajustement structurel proposée par le Gouvernement ne permettrait pas, en cas de croissance inférieure de ½ point aux prévisions, de faire revenir le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017. Le déficit effectif ne passerait, en effet, le seuil de 3 % du PIB qu'en 2018 pour atteindre 3,0 % du PIB, contre un objectif de 1,9 % du PIB à cette échéance. En outre, le taux d'endettement ne se réduirait pas avant 2018, tout en approchant 100 % du PIB.

Il convient de souligner qu'il est absolument nécessaire que la France parvienne à respecter les engagements pris dans le cadre de ce programme de stabilité dans la mesure où elle figure parmi les « mauvais élèves », en matière budgétaire, de la zone euro et de l'Union européenne. Au regard des données publiées par la Commission européenne en février dernier, il apparaît que notre pays, avec un déficit de 4 % du PIB en 2014, affiche le solde public effectif le plus dégradé avec l'Espagne (- 5,6 % du PIB), la Slovénie (- 5,4 % du PIB) et le Portugal (- 4,6 % du PIB).

S'agissant de la dette publique, la France, avec un taux d'endettement de 95 % du PIB, figure parmi les huit pays de l'Union européenne à afficher un niveau de dette supérieur à 90 % du PIB, avec l'Espagne (98,3 % du PIB), la Belgique (106,4 % du PIB), Chypre (107,5 % du PIB), l'Irlande (110,8 % du PIB), le Portugal (128,9 %), l'Italie (131,9 % du PIB) et la Grèce (176,3 % du PIB).

En conclusion, si tous les pays européens ont vu, durant la crise, leurs finances publiques se dégrader, la France figure parmi ceux dont la situation budgétaire s'est le moins améliorée. Au cours des dernières années, notre pays a affiché une progression des dépenses publiques significativement supérieure à nos partenaires européens.

Il ne fait aucun doute que les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement sont plus prudentes que par le passé. Toutefois, le changement des « méthodes », en particulier à travers la révision des hypothèses de croissance potentielle, est, lui, critiquable. Aussi est-il probable que la Commission européenne, dans quelques mois, sera amenée à demander à la France de mieux documenter ses efforts budgétaires - celle-ci n'ayant « identifié » que 25 milliards d'euros d'économies dans le programme de 50 milliards d'euros d'économies annoncé par le Gouvernement -, mais également d'adopter des mesures additionnelles et d'engager de véritables réformes structurelles.

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