Intervention de Chantal Jouanno

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 avril 2015 : 5ème réunion
Santé environnementale — Communication

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno :

Notre deuxième axe de réflexion au cours de ces travaux a été d'identifier et de faire le bilan des connaissances en matière de risques émergents. Plutôt que de parler de risques émergents, il nous a d'ailleurs été suggéré de parler de « risques à forte incertitude scientifique ».

L'enjeu central qui ressort des auditions menées sur ce sujet est le soutien de la recherche. En matière de santé environnementale, la preuve épidémiologique arrive bien souvent trop tard. Comme nous l'ont rappelé nos interlocuteurs, le lien entre corrélation épidémiologique et causalité médicale n'est pas toujours évident à établir. À titre d'exemple, en matière d'ondes électromagnétiques, la corrélation entre exposition aux basses fréquences et leucémies chez les enfants est présente et étudiée depuis 1979 mais le lien de causalité n'est toujours pas établi. Dans son avis de 2013 sur l'effet des radiofréquences sur la santé, l'Anses relève une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale, sur le long terme, pour les utilisateurs intensifs de téléphones portables. Cette conclusion est cohérente avec la position du CIRC qui classe les radiofréquences comme cancérogène possible pour les utilisateurs intensifs des téléphones mobiles.

Il apparaît donc nécessaire de favoriser les recherches multidisciplinaires sous l'égide des grands regroupements comme Avicent : cela permet d'allier recherche épidémiologique, recherche biologique et recherche médicale.

Les études épidémiologiques requièrent des financements pérennes afin de mesurer l'impact des expositions multiples sur la santé des populations. La cohorte Estéban, actuellement en cours de suivi, nécessite 8 millions d'euros pour fonctionner mais n'a pas de garanties de pérennité.

Sur ce sujet du financement, plusieurs points nous semblent devoir être approfondis. Le financement des appels d'offres mais aussi leur forme devraient être adaptés à la prise en compte des problèmes spécifiques de santé environnementale. Les acteurs du secteur ont souligné la perte de structuration voire de mobilisation des chercheurs français compétents dans ces secteurs, à la suite de la modification des appels d'offres de l'Agence nationale de la recherche. L'enjeu est véritablement celui du maintien d'une compétence de la recherche française en santé environnementale.

Au-delà de cet enjeu global en matière de recherche, deux sujets d'attention sont ressortis de cette première série d'auditions en matière de risques émergents : les perturbateurs endocriniens et les nanoparticules.

Les perturbateurs endocriniens sont une bonne illustration de la dimension fortement européenne de la problématique santé-environnement. Ainsi que l'indiquait notre collègue Gilbert Barbier dans son rapport, les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d'origine naturelle ou artificielle, étrangères à l'organisme, qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système hormonal et induire des effets délétères sur l'individu ou sur ses descendants.

L'Europe a adopté en 1999 une stratégie communautaire sur les perturbateurs endocriniens. L'enjeu à court terme était d'établir une liste, au niveau européen, des substances reconnues prioritaires. Quinze ans plus tard, il n'existe toujours pas de définition des perturbateurs. Le poids du lobbying des industriels européens sur cette question a été décisif. En effet, en fonction de la définition retenue, une liste plus ou moins longue de produits tombe sous le coup de la définition.

En France, le bisphénol A, perturbateur endocrinien reconnu, a été interdit. Selon les informations qui nous ont été fournies, cette interdiction risque de placer la France sous le coup d'un contentieux communautaire. La législation européenne est en effet très stricte sur ce type de moratoires : il faut avoir démontré la proportionnalité de l'interdiction, ainsi que son caractère non discriminatoire. Or, les négociations au niveau européen se heurtent souvent à la difficulté pour les pouvoirs publics de chiffrer les bénéfices économiques attendus d'une mesure de santé publique, tandis qu'il est facile pour les industriels d'évaluer le manque à gagner provoqué par une telle interdiction.

Pour autant, là aussi, la recherche progresse. Plusieurs études récentes ont chiffré le coût des perturbateurs endocriniens pour la société, avec d'importantes variations dans les chiffres, qui tiennent à l'instabilité de la définition :

- selon le rapport de l'Alliance pour la santé et l'environnement (Health and Environment Alliance, HEAL) du 18 juin 2014, ce coût serait de 5 milliards d'euros pour le système de santé allemand, de 4 milliards d'euros par an pour le système français et de 31 milliards d'euros au niveau européen ;

- un rapport encore plus récent, de 2015, paru dans le Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism évalue à plus de 150 milliards d'euros le coût sanitaire pour l'Union européenne de l'exposition des populations à ces substances, dont 45 milliards pour la France.

Là encore, vous le voyez, des approfondissements de nos travaux seraient utiles sur les perturbateurs endocriniens.

Autre risque émergent qu'il conviendrait d'étudier en détail : les nanoparticules. Nous n'avions pas prévu, à l'origine, de soulever cette question. Mais nos interlocuteurs, tous membres d'instances officielles, ont manifesté le souhait de le voir inscrit dans nos débats. La France est relativement pionnière sur cette question, dans la mesure où elle impose une déclaration aux pouvoirs publics pour les entreprises important et fabriquant des produits à base de nanomatériaux. Ces déclarations ont permis de constater l'importation ou la fabrication de 400 000 tonnes de nanomatériaux, dans des secteurs qui vont des peintures aux cosmétiques, en passant par l'alimentation et le textile.

Il faut développer la recherche sur ces matériaux, ce qui implique de les définir et de mettre en place un protocole d'étude adapté. À ce jour, il nous a été indiqué que la définition des nanoparticules se fonde sur leurs dimensions, et non sur des notions de risque.

Aux États-Unis, un programme de recherche fédéral, le National Nanotechnology Initiative (NNI), regroupe les travaux relatifs aux nanomatériaux de 20 départements et agences gouvernementales. Son budget 2015 s'élève à 1,5 milliard de dollars, dont 105 millions sont consacrés aux questions sanitaires et environnementales... On mesure facilement le retard considérable pris en Europe dans la recherche sur ce sujet, et les conséquences que cela implique ensuite en termes de prévention des risques. L'Ineris nous a indiqué l'écart particulièrement important qui existe entre les budgets alloués par les entreprises pour développer des nanoparticules et les budgets de recherche en France ou en Europe qui ne dépassent pas le million d'euros.

Les personnes auditionnées ont particulièrement insisté sur l'importance d'une prise en compte des risques liés aux nanoparticules qui se trouvent désormais dans un nombre considérable de produits de consommation mais dont le suivi est incomplet et l'évaluation encore insuffisante. Vous serez probablement comme nous surpris d'apprendre qu'on retrouve des nanomatériaux jusque dans les enrobages en dragée de nos chewing-gums...

De manière générale, après ce bref état des lieux des connaissances en matière de santé environnementale, il ressort des auditions qu'il est urgent de trouver les moyens de sortir du modèle « crise sanitaire - réaction des pouvoirs publics ». Ce n'est pas un mode d'action efficace, surtout quand la santé de la population est en jeu.

Il nous semble nécessaire de poursuivre les travaux débutés : de nombreuses pistes de travail intéressantes restent à explorer. Après ce point d'étape, il nous semble important de réaliser un rapport d'information. De nombreux amendements santé-environnement ont d'ores et déjà été adoptés à l'Assemblée nationale, de manière transpartisane, dans le cadre de la loi santé. Le Sénat pourrait utilement compléter et enrichir cette démarche par la réalisation d'un travail de fond sur le sujet.

Nous pensons notamment à la réalisation d'une étude de droit comparé qu'il nous a été impossible de mener faute de temps. Un pays comme la Suède, qui a pris des mesures de réduction de l'exposition de certaines catégories de la population aux facteurs de risques environnementaux, semble constituer un bon exemple.

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