Intervention de Élisabeth Lamure

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 19 mars 2015 : 1ère réunion
Examen d'amendements au projet de loi n° 300 2014-2015 pour la croissance l'activité et l'égalité des chances économiques — Compte rendu du déplacement dans le rhône du 6 mars 2015

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, présidente :

L'objectif, encore une fois, n'était pas de déposer « une batterie » d'amendements pouvant faire l'objet de polémique, mais plutôt de faire écho aux aspects sur lesquels la délégation a été interpellée dans le cadre de ses déplacements, tels l'apprentissage ou les difficultés de financement des entreprises.

Je vous propose à présent de revenir sur le dernier déplacement de la délégation dans le Rhône où j'ai eu l'honneur d'être accompagnée par plusieurs membres de la délégation : Mmes Nicole Bricq et Sophie Primas, MM. Jérôme Durain et Michel Forissier. Notre collègue Catherine di Folco, Sénateur du Rhône, a aussi passé la matinée avec nous à Lyon.

Notre journée a commencé par une table ronde organisée autour d'une vingtaine de PME et d'ETI partenaires de grands groupes, avec l'objectif d'appréhender le fonctionnement d'une grappe d'entreprises dans le secteur de la chimie et de la pharmacie. Les interventions étaient riches et prouvent l'importance d'un environnement favorisant la recherche et l'innovation pour la compétitivité de nos entreprises, à l'instar de Lyon Biopole.

S'agissant d'entreprises très actives en matière de Recherche et Développement, la question du financement est apparue comme une priorité. Les entrepreneurs se félicitent que notre pays offre un « tissu » qui les aide au démarrage des entreprises, tels que le concours OSEO -devenu la BPI-, le fonds unique interministériel (FUI) ou encore les aides des collectivités territoriales (régions, départements). De même, de nombreux outils financiers sont mis à leur disposition dans les premières phases de l'innovation. Le Crédit impôt recherche (CIR) a été unanimement salué comme un élément de compétitivité clef de la recherche française : grâce à lui, la France se hisse au 5ème rang en termes de coût d'un chercheur alors qu'elle serait au 18ème rang sans cette incitation fiscale. Un chef d'entreprise nous a ainsi assuré qu'un chercheur à Lyon ne lui coûte pas plus cher qu'un chercheur en Chine pour la même compétence. Il importe donc de pérenniser ce dispositif.

En matière de recherche toujours, si des efforts ont été menés pour rapprocher la recherche universitaire du monde des entreprises, certains intervenants font le constat de la persévérance d'une summa divisio entre ces deux environnements au détriment de l'innovation. Par ailleurs, les dispositifs de soutien à la recherche publique sont parfois préjudiciables à des structures de recherche privées, telles les entreprises de recherche sous contrat concurrencées par les Instituts de recherche technologique (IRT) soutenus par l'État. Dans le même ordre d'idée, les patrons d'ETI estiment que le secteur public ne coopère pas assez. La CNAM, par exemple, refuse de mettre ses données à disposition des laboratoires de recherche, alors qu'elles sont d'une valeur inestimable pour des entreprises qui développeraient des innovations liées à la santé.

Une fois le stade de la recherche passé, la course à la levée de fonds est alors présentée comme un « parcours du combattant » et les chefs d'entreprises regrettent que les dispositifs mis en place pour les aider au démarrage ne soient pas plus efficaces pour les accompagner ensuite dans la phase de croissance ; les rares ETI présentes ont d'ailleurs déploré que beaucoup d'aides soient réservées aux PME. C'est un comble, puisque les projets, la valeur et l'emploi sont alors délocalisés, empêchant la constitution d'une filière industrielle : il y a là une déperdition considérable des efforts faits par l'État en faveur de l'innovation. Un intervenant résumait cette situation : « en France, après la phase de recherche, c'est le no man's land pour développer le produit : il faut retenir les fruits de la recherche ». Et le Président de France Biotech de conclure « la France finance 99% du parcours, mais à cause de l'absence de financement dans la dernière phase de développement, les plus beaux projets partent à l'étranger ».

Les banques invoquent les nouvelles règles de solvabilité pour justifier leur frilosité dans l'octroi de crédits. De ce point vue, la BPI est vue comme un outil essentiel pour prendre le relai mais les chefs d'entreprises ont le sentiment qu'elle ne s'intéresse pas aux projets relativement modestes, jugés trop petits ou pas assez « révolutionnaires », alors qu'il est impossible de les financer de manière autonome en l'absence de retour sur investissement avant sept, huit, voire douze ans. Enfin, la BPI ne peut, à elle seule, financer tous les projets et le recours au marché est très peu utilisé par les PME et les ETI françaises.

Par ailleurs, la France manque d'outils de financement de longue durée essentiels au développement industriel ou au soutien à l'innovation. Un des entrepreneurs présents rappelait que le fléchage de seulement 1% des cotisations annuelles de l'assurance-vie représenterait, à lui seul, plus d'un milliard d'euros par an pour soutenir l'innovation dans notre pays. Les Français pourraient être plus incités à investir dans l'innovation, notamment dans le cadre des Fonds communs de placement innovation (FCPI), dont on observe une « décollecte » à cause des plafonds instaurés sur l'impôt sur la fortune : l'investissement dans l'innovation est moins encouragé que celui dans le cinéma (via les SOFICA). On peut se demander si cela est légitime ?

Les grands groupes peuvent aussi contribuer au financement des jeunes pousses et de l'innovation. Ainsi, le groupe Sanofi, à travers sa filiale Sanofi développement, consent des prêts à des PME porteuses de projets : cela représente aujourd'hui 3 millions d'encours auprès de 140 PME. Au-delà de cette aide financière au développement, Sanofi détache sur plusieurs mois des collaborateurs pour apporter directement un appui en compétence aux PME. Par ailleurs, le groupe qui forme plus de 1 400 alternants par an, redirige ces talents vers les PME partenaires qui peinent à recruter du personnel qualifié. Enfin, le groupe mène une mission d'essaimage et accompagne la création d'entreprises par ses anciens collaborateurs.

Ce soutien actif aux PME répond aux engagements pris dans le cadre du Pacte PME, mais de nombreuses PME sous-traitantes déplorent que leur carnet de commande ne reflète pas les engagements du Pacte PME. En effet, les grands groupes qui délocalisent la sous-traitance dans une logique de rationalisation des coûts sont parfois les mêmes que ceux ayant signé en grande pompe le Pacte PME. Les entreprises attendent au contraire des grands groupes qu'ils associent les PME qui offrent qualité de service, réactivité, flexibilité et qui renforcent le tissu industriel local.

Au-delà de l'ancrage territorial des « grappes d'entreprises », les PME ont du mal à trouver un système efficace d'aide à l'export. Encore une fois, les projets en deçà d'une taille critique ne sont pas éligibles aux dispositifs prévus par la Coface et Ubifrance, désormais Business France. Mais plusieurs ont salué le travail exemplaire de la structure rhodanienne Entreprise-Rhône-Alpes-International (ERAI) d'aide à l'export.

Il s'agirait plus généralement d'adapter les mesures et les normes à la réalité économique des petites et moyennes entreprises qui n'ont pas les moyens d'assumer les lourdeurs administratives qui constituent un obstacle à la compétitivité. L'un a eu cette formule que je trouve assez symptomatique de notre pays : « Plus on fixe de degrés de liberté, moins on peut bouger ». Les intervenants ont encore une fois réclamé plus de simplification et les contraintes sont bien identifiées : excès de normes ; contrôles tatillons et fréquents, notamment des douanes ; ou encore contrôles fiscaux trop nombreux ; complexité de la feuille de paie ; rigidité des licenciements. Ces démarches administratives coûtent cher. Pour le CIR par exemple, la complexité de la constitution du dossier d'octroi du crédit nécessite le recours à un professionnel, sans compter le déclenchement automatique d'un contrôle fiscal pour en vérifier l'utilisation !

Le poids des normes a été dénoncé, précisément dans un secteur, la chimie : le programme européen REACH (programme réglementaire de gestion des substances chimiques) qui concerne des centaines de substances pour lesquelles il faut déposer des dossiers de certification de conformité, a un coût considérable. Démarré en 2008, il sera clos en 2018, mais l'opération s'étendra ensuite aux polymères : les entreprises ont le sentiment que le système de réglementation s'autoalimente. Une interprétation trop large du principe de précaution complique aussi l'octroi des autorisations, notamment par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Et si on rajoute les réglementations administratives françaises (plan de prévention des risques technologiques, plan séisme, sites classés SEVESO), nos entreprises préfèrent parfois renoncer à des activités ou les délocaliser, plutôt que de subir les délais d'obtention des autorisations d'exploitation, souvent incompatibles avec leurs activités. Oui, la lenteur est un poison dans la concurrence internationale où la vitesse est un facteur clé de succès, surtout dans un secteur où le premier qui dépose un brevet a gagné. Même le représentant de l'État, le Préfet Jean-François Carenco a reconnu l'importance de fixer et de respecter les délais pour les prises de décisions administratives.

Cette question de délais a également été soulevée au sujet de la lenteur des décisions de la Direction générale de la Concurrence à Bruxelles : une ETI de la chimie, Kem One, a ainsi dénoncé la paralysie dans laquelle était plongé son marché en raison du projet de fusion des deux leaders européens du domaine, que Bruxelles examine depuis deux ans. Parallèlement, Kem One attend depuis un an une réponse à un dossier d'aides d'État la concernant. Son représentant a fini par poser la question essentielle de la prééminence de la politique communautaire de la concurrence au détriment de toute politique industrielle de l'Europe. C'est selon moi une question politique de premier plan.

En matière de fiscalité, on nous décrit un système quasi kafkaïen : « on nous met des taxes, puis on nous redonne des subventions. C'est se compliquer la vie ! ». D'autant qu'il existe une myriade de subventions, crédits d'impôts, taxes variées dans lesquelles nos start-up se perdent. Un exemple avec le CICE dont le produit est en réalité contrebalancé par la taxe additionnelle sur l'impôt sur les sociétés, outre la contribution exceptionnelle courant jusqu'en 2015. Nous avons reçu une contribution explicite d'une entreprise à ce sujet, et je vous propose de regarder ensemble ce tableau qui récapitule l'évolution des taxes de la société NOVACAP, qui compte 1 240 collaborateurs et plusieurs implantations en Asie.

Vous constaterez que le produit du CICE est absorbé par la taxe additionnelle sur l'impôt société et rend cette mesure inopérante. L'entrepreneur indique que la convention collective de la chimie est « relativement avantageuse » pour ses salariés, ce qui explique le « peu d'impact » du CICE.

En outre, l'évolution d'un bon nombre de taxes locales, dites de production, réduit fortement leur compétitivité. À cela s'ajouterait un nouveau dispositif sur les taxes intérieures (TICC & TICGN) lié aux objectifs de réduction des émissions de CO2, qui vont ajouter une pression supplémentaire de cinq millions d'euros par an pour ce groupe.

En définitive, les chefs d'entreprises attendent des mesures fortes pour restaurer leur compétitivité.

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