Nous percevons bien à travers votre exposé qu'en matière d'accès aux soins, outre la précarité visible qui est celle des femmes dans la rue, il existe une précarité « cachée », qui touche les personnes dont les revenus ne permettent pas de se soigner. Comment déceler ces situations ?
Par ailleurs, en tant qu'homme gynécologue-obstétricien, rencontrez-vous sur le terrain des difficultés à soigner certaines femmes issues de populations étrangères, qui peuvent être réticentes, pour des raisons culturelles peut-être, à se faire examiner ?
Dr. Bernard Guillon. - Je répondrai d'abord à votre deuxième question. J'ai travaillé à plusieurs reprises dans des pays d'Afrique et du Moyen-Orient, dans le cadre de missions humanitaires. Dans ces pays, les gynécologues sont généralement des hommes.
Je ne rencontre aucune difficulté particulière dans ma pratique quotidienne à ce niveau, y compris auprès des femmes migrantes. Lorsqu'une personne a besoin de soins, elle passe assez facilement au-delà de la pudeur. Le rapport au corps est néanmoins différent selon les cultures et il faut savoir adapter la manière dont nous examinons les patientes.
Je pensais au poids que peuvent exercer la religion, l'éducation ou encore le conjoint.
Dr. Bernard Guillon. - Les difficultés, lorsqu'elles existent, proviennent effectivement du conjoint et non des femmes elles-mêmes. Ces difficultés ne concernent néanmoins que certaines régions du monde fortement touchées par l'intégrisme religieux, qui par ailleurs, ne se limite pas à l'intégrisme islamique.
Pour répondre à votre première question, je dirais qu'au-delà de la précarité économique, il existe une précarité affective, qui concerne notamment les femmes victimes de violences, que leurs compagnons isolent de toute relation sociale. Or comme nous l'avons vu, il existe une corrélation directe entre cette perte du lien social et l'état de santé.
Il est très difficile de repérer ces personnes qui souvent, par pudeur face à leurs difficultés affectives ou financières, n'iront pas spontanément se présenter en consultation. Il est nécessaire de sensibiliser l'ensemble des professionnels de santé et des travailleurs sociaux à la question de la précarité. Dans cette perspective, j'enseigne par exemple à Lille dans le cadre du diplôme universitaire « Santé-précarité ».
Il convient également de prévoir des structures de proximité qui soient accueillantes, souples et ouvertes. À cet égard, je m'inquiète depuis longtemps des fermetures des petites maternités, qui éloignent l'offre de soins et la rendent inaccessible aux personnes qui ne peuvent se déplacer facilement. Si les raisons économiques qui poussent à ces fermetures sont légitimes, il est important d'en mesurer les conséquences pour les personnes en situation précaire et de prévoir des solutions alternatives.