Il me revient, en tant que présidente de la septième chambre de vous présenter les constats et les recommandations issus de cette enquête sur les soutiens à la filière forêt-bois, qui a été menée dans le cadre d'une formation inter-chambres associant la deuxième et la septième chambre de la Cour. Je suis entourée pour ce faire de Sandrine Rocard, conseillère référendaire à la septième chambre, rapporteure générale de la formation inter-chambres, et de Michèle Pappalardo, conseillère maître à la deuxième chambre, contre-rapporteure de l'enquête. Les quatre objectifs de cette enquête, tels qu'ils ont été définis en février 2014 avec les sénateurs Yannick Botrel et Joël Bourdin, sont les suivants :
- présenter pour la période 2006-2013 les enjeux et les difficultés des principales composantes de la filière : la forêt, les scieries, les industries du bois, le bois énergie ;
- recenser et quantifier les soutiens publics directs et indirects qui sont apportés ;
- évaluer la contribution de ces soutiens à l'atteinte des objectifs qui sont assignés à la filière ;
- analyser la gouvernance de la filière, en ce qu'elle facilite ou non la cohérence et l'efficacité des différents soutiens.
Il se trouve que la filière forêt-bois a déjà fait l'objet de nombreux rapports émanant de parlementaires, d'organismes d'inspection, de personnalités ou d'institutions diverses, souvent demandés par les pouvoirs publics. Nous avons donc décidé d'une méthode pour apporter quelque chose de nouveau. L'originalité des travaux que nous présentons tient d'abord au point d'entrée choisi : celui des soutiens publics à la filière, dont l'estimation financière est en soi un apport. L'enquête a notamment permis de quantifier et d'analyser les aides apportées non seulement par l'État mais aussi par les collectivités territoriales, auparavant méconnues, grâce à une enquête spécifique menée auprès de l'ensemble des régions métropolitaines et de vingt-deux départements. Nous nous sommes appuyés également sur des entretiens auprès des parties prenantes de la filière, mais aussi sur les contrôles récents de sept organismes - Centre national de la propriété forestière, institut technologique Forêt cellulose bois-construction ameublement (FCBA), Comité national pour le développement du bois (CNDB), France Bois Forêt (FBF) - ou de politiques publiques dans le domaine forêt-bois, ce qui a permis d'affiner le diagnostic des difficultés de la filière et de formuler des recommandations opérationnelles.
Le contrôle de l'Office national des forêts (ONF), établissement public à caractère industriel et commercial chargé de gérer les forêts publiques, c'est-à-dire celles de l'État (10 %) et celles des collectivités territoriales (15 %), a été mené en parallèle. Il a fait l'objet d'un rapport particulier de la Cour, rendu public fin novembre 2014, et que votre commission a souhaité annexer au rapport d'enquête. Cet établissement est par conséquent peu abordé dans le rapport présenté aujourd'hui, si ce n'est pour évaluer le soutien financier qui lui est apporté par l'État et pour évoquer son rôle important dans la filière. Les forêts publiques gérées par l'ONF, qui représentent un quart des forêts françaises, sont en effet à l'origine de 40 % des bois vendus en France. La Cour a souligné, à cet égard, dans son rapport particulier, la nécessité pour l'ONF de respecter les objectifs de production de bois qui lui sont fixés par la tutelle. Pour le reste, ce rapport particulier constate les difficultés de cet établissement à trouver un équilibre économique et propose des pistes d'économies de dépenses ou de mobilisation de recettes dans les différents segments de son activité. Sont évoqués à ce titre la réduction de ses coûts de gestion notamment pour les forêts des collectivités, l'amélioration de sa politique commerciale, un recentrage sur les activités concurrentielles les plus rentables, un meilleur financement des missions de service public qu'il assure. La Cour a identifié par ailleurs des pistes d'économies en matière de ressources humaines, de recherche, de formation, de participations dans diverses filiales. Mais l'ONF ne constituait pas l'objet principal du rapport que je vais présenter maintenant.
Il est nécessaire tout d'abord de se représenter ce qu'est la filière forêt-bois : c'est une filière complexe, hétérogène et qui doit faire face à de multiples enjeux.
Le premier maillon de la filière est la forêt. La forêt française est composée aux trois quarts de forêts privées et d'un quart de forêts publiques, qui doivent faire face tout à la fois, à travers ce qu'on appelle la « gestion durable », à des enjeux économiques, écologiques et énergétiques. Dans sa fonction économique de premier maillon de la filière, la forêt française présente de nombreux handicaps - morcellement de la propriété forestière privée, difficultés à « sortir le bois de la forêt » etc. - qui expliquent sa sous-exploitation. La moitié seulement de la production biologique a été prélevée annuellement depuis une dizaine d'années. Sa composition, avec deux tiers de feuillus, ne correspond pas à la demande actuelle des marchés du bois les plus porteurs comme celui de la construction. La forêt est par ailleurs source d'une grande biodiversité. Elle contribue à la lutte contre l'effet de serre en tant que puits de carbone. Elle apporte enfin une contribution majeure à l'atteinte des objectifs de la France en matière d'énergie renouvelable grâce à l'usage du bois comme combustible.
L'aval industriel de la filière est hétérogène. On y distingue :
- la première transformation du bois, c'est-à-dire, schématiquement, les scieries, maillon central de la filière ;
- la seconde transformation du bois, constituée par les industries qui produisent des meubles, des charpentes et menuiseries, des parquets, du papier-carton ou encore de l'emballage.
À l'exception de quelques industries de niche, cet aval industriel est vulnérable, en perte de vitesse et il présente un déficit commercial structurel.
La filière bois énergie, qui repose sur l'utilisation du bois comme combustible pour fournir de la chaleur ou de l'électricité, connaît, à l'inverse, un fort développement.
Notre rapport s'organise de la manière suivante :
Le premier chapitre recense l'ensemble des soutiens publics qui sont apportés aux différents maillons de la filière. Le deuxième chapitre présente l'organisation et le pilotage de la filière, dans leurs composantes aussi bien publique qu'interprofessionnelle, au niveau national comme au niveau local, afin d'analyser les conséquences de cette gouvernance sur la cohérence des soutiens. Après ces approches transversales de la filière (financement et organisation) le rapport tente d'apprécier dans les deux chapitres suivants la contribution des soutiens à l'atteinte des objectifs assignés à la filière :
- d'une part dans les activités amont, soit les soutiens dirigés vers la forêt privée, c'est-à-dire les aides d'origine budgétaire, les mesures fiscales et l'action du Centre national de la propriété forestière en faveur des propriétaires forestiers privés ;
- d'autre part dans les activités aval, en examinant les aides à l'investissement pour les industries de première et seconde transformation du bois et les soutiens aux filières bois énergie, bois-construction et au secteur de l'ameublement.
Voici nos principaux constats et recommandations.
Premier constat : les soutiens publics aux différents maillons de la filière sont nombreux, d'origine et de nature très différentes, et atteignent environ 910 millions d'euros par an ces dernières années.
L'État, à travers les dépenses budgétaires, fiscales, les recettes fiscales fléchées et les financements d'établissements publics apporte 84 % de ces soutiens, le bois énergie bénéficiant de 36 % de ces soutiens étatiques. Les collectivités territoriales sont la deuxième source de financement, avec 9 % des soutiens totaux, mais leurs apports sont plus significatifs pour l'aval de la filière : développement économique de l'aval de la filière, scieries comprises, et animation de la filière au niveau local. Les fonds européens (5 %) et les fonds d'origine interprofessionnelle (2 %) constituent un financement d'appoint pour la filière.
La filière bénéficie aussi de l'action et de l'appui d'établissements publics et de centres techniques industriels, dont les budgets sont en partie financés dans ce cadre. On peut citer à ce titre : l'Office national des forêts (ONF) et le Centre national de la propriété forestière (CNPF), chargé de conseiller les propriétaires forestiers.
On observe un empilement des soutiens d'origine et de nature très diverses, sans lien entre eux et sans hiérarchisation des priorités de financement.
Le deuxième constat c'est que la gouvernance actuelle de la filière, faible et éclatée, ne permet pas d'apporter une cohérence à ces soutiens dispersés, que ce soit la gouvernance publique ou la gouvernance interprofessionnelle.
Du côté de la gouvernance publique, la collaboration interministérielle est peu aboutie et fait écho à la multiplicité des enjeux de la filière. La filière est placée de fait sous l'égide de cinq ministères qui ont insuffisamment collaboré entre eux ces dernières années. Elle a pâti de l'absence d'une instance de concertation, de stratégie et de décision. La démarche de filière mise en place en 2014 est positive, mais force est de constater qu'elle n'a pas évité l'écueil d'une partition entre l'amont forestier et l'aval industriel de la filière. C'est ainsi que des travaux sont menés, en suivant des calendriers non harmonisés, par deux instances différentes : le comité stratégique de filière « industries du bois » au sein du conseil national de l'industrie d'une part et le conseil supérieur de la forêt et du bois présidé par le ministre de l'agriculture, d'autre part. Ce point mérite toutefois une actualisation, car depuis le moment où nous avons déposé le rapport, un contrat de filière a été signé le 16 décembre 2014 par les trois ministères historiquement compétents, auxquels ont été associés le ministère chargé du logement, l'association des régions de France et certaines organisations professionnelles de la filière. Mais, dans cet ensemble, on note l'absence du maillon central que constituent les scieries, représentées par la Fédération nationale du bois (FNB), ces dernières estimant que le contrat est susceptible d'aggraver leurs difficultés. Plus généralement, la cohérence des orientations de ce contrat de filière, qui doit être soumis au conseil supérieur de la forêt et du bois pour avis, alors même qu'il a déjà été signé, avec celles du futur plan national forêt-bois que ce conseil supérieur devra élaborer, reste un point de vigilance majeur. Par ailleurs, une meilleure articulation entre les politiques et les soutiens mis en oeuvre au plan national, d'une part, et par les régions et départements, d'autre part, reste à établir. L'État, au niveau déconcentré, et les régions et départements ont un rôle majeur à jouer dans l'animation et le financement de la filière dans les territoires.
Du côté de la gouvernance interprofessionnelle, nous avons vu que les professionnels de la filière forêt-bois offrent eux aussi un front divisé. Ces instances sont en effet multiples ; la place des interprofessions régionales au sein du paysage interprofessionnel n'est pas arrêtée. La Cour a constaté que l'action de l'interprofession France Bois Forêt (FBF), regroupant la forêt et la première transformation du bois, pouvait être améliorée : la politique de guichet menée actuellement doit évoluer vers une démarche plus stratégique au bénéfice de la filière. Des outils communs aux professionnels de la filière font défaut. Le Comité national pour le développement du bois, chargé notamment de la communication sur le bois, devrait être repris en main par les professionnels pour en faire un outil utile pour la filière. L'observatoire économique de la filière, projet confié au départ à FBF, doit se mettre en place avec les pouvoirs publics.
Au terme de ces constats la Cour fait cinq recommandations pour améliorer la gouvernance de la filière. Il s'agit de créer un cadre de discussion interministérielle pérenne pour le pilotage de la stratégie de soutien à la filière ; de confier aux comités régionaux de la filière et du bois la responsabilité de l'animation et du financement de la filière au niveau local ; de confier intégralement au centre national de la propriété forestière la mission de développement forestier pour les forêts privées et d'en décharger les chambres d'agriculture ; et, enfin, de fusionner FBF, France Bois Industries Entreprises et le CODIFAB dans un organisme interprofessionnel unique, doté d'un contrat d'objectifs avec l'État et dont l'action territoriale s'articule avec celle des interprofessions régionales.
Notre troisième constat réside dans l'inadaptation des soutiens dirigés vers l'amont aux objectifs de valorisation économique de la forêt.
La dimension économique de la gestion forestière est insuffisamment développée dans la forêt privée. L'État met en oeuvre trois soutiens principaux en sa faveur : les dépenses budgétaires, les dépenses fiscales, le soutien au centre national de la propriété forestière. Tous se révèlent inadaptés pour obtenir les résultats escomptés en termes de desserte par les voieries forestières, d'investissement forestier, de regroupement foncier, technique et économique et, in fine, de récolte du bois au bénéfice de l'ensemble de la filière. Le levier budgétaire semble inopérant, faute de crédits suffisants. Les perspectives de financement de l'investissement forestier et du développement économique de la filière, qui reposent sur la création en 2014 d'un nouveau fonds stratégique forêt-bois faiblement doté et dont le périmètre d'intervention et le pilotage restent à définir, sont incertaines. En loi de finances pour 2015, le fonds est aussi peu doté qu'en 2014.
Les mesures fiscales en faveur des propriétaires forestiers, favorisent une approche patrimoniale plutôt qu'économique de la forêt. Une partie de l'effort fiscal est dispersée sur de nombreux dispositifs, dont l'efficacité n'est souvent pas démontrée au regard des objectifs qui sont visés. Les dépenses fiscales sont dominées par deux exonérations de type patrimonial, qui consistent à exonérer 75 % de la valeur des forêts pour le calcul de l'ISF d'une part et des droits de mutation à titre gratuit d'autre part. Ces mesures fiscales anciennes, les plus coûteuses du dispositif fiscal sont déconnectées objectifs de la politique forestière. Les conditions de gestion durable de la forêt qui sont posées ne sont, de plus, pas opérationnelles et en tout état de cause, leur respect n'est pas contrôlé.
Le Centre national de la propriété forestière (CNPF), dont le pilotage interne et par l'État est peu directif, n'est pas en mesure d'évaluer l'efficacité de ses missions de conseil et d'appui technique auprès des propriétaires forestiers privés. Le CNPF argue que la forte dégradation de la situation économique de la production forestière et la suppression des aides publiques relatives à l'amélioration forestière incitent la majorité des propriétaires forestiers à renoncer à investir et à gérer au minimum leurs forêts, ce qui est une manière de reconnaître un échec.
Face à ces constats, la Cour fait deux recommandations visant à faire évoluer le cadre des soutiens à l'amont forestier : d'une part, la suppression des mesures fiscales patrimoniales, au profit des mesures encourageant directement l'investissement en forêt ; d'autre part le renforcement de la tutelle du CNPF, pour que ce dernier définisse et mette en oeuvre au niveau local des priorités d'action, notamment la vérification de l'application des documents de gestion durable.
Le quatrième constat, c'est que les soutiens à l'aval de la filière sont dispersés et non coordonnés. Certes, les aides à l'investissement pour les scieries et les industries du bois ont eu un effet positif, en encourageant les banques à financer les investissements indispensables à la modernisation de l'appareil productif. Ces investissements n'ont cependant pas été à la hauteur des enjeux de compétitivité et de structuration auxquels la filière était confrontée, en raison principalement de la fragilité de la plupart des entreprises et des handicaps structurels et techniques de la filière. Ces soutiens doivent être régulièrement évalués et adaptés aux objectifs qui leur sont assignés en termes de développement des industries de la filière. De ce point de vue, une stratégie de développement reste à définir pour le secteur de l'ameublement, qui est le segment qui contribue significativement au déficit du commerce extérieur de la filière.
Les soutiens apportés à l'utilisation du bois dans la construction restent modestes, malgré leur croissance. Leur impact est toujours limité par des obstacles d'ordre culturel chez les prescripteurs et par des facteurs d'ordre technique, faute d'une réglementation adaptée à l'usage du bois. Les plans d'action adoptés fin 2013 font à juste titre du bois de construction un des vecteurs stratégiques de développement économique de la filière. L'effort de soutien des pouvoirs publics à ce secteur devra être constant et pérenne pour que les objectifs dans ce domaine soient atteints.
Enfin, les mesures de soutien au bois énergie, nombreuses et qui représentent plus du cinquième des soutiens financiers à la filière, ont fait la preuve de leur efficacité, même si les objectifs poursuivis en matière de développement du bois énergie sont encore loin d'être atteints. Toutefois, leur mise en oeuvre doit être accompagnée d'une veille continue et organisée au niveau de l'amont comme de l'aval de la filière sur les conflits d'usage et les tensions qui peuvent être créées au niveau de la ressource forestière.
Les deux recommandations formulées par la Cour concernant les soutiens à l'aval de la filière visent à limiter ces conflits d'usage globalement et localement : d'une part, en évaluant régulièrement et de façon concertée la ressource en bois et les besoins qualitatifs et quantitatifs des industries du bois, d'autre part en privilégiant dans les appels à projets les unités de production de chaleur ou de cogénération d'une taille adaptée à la capacité d'approvisionnement des bassins forestiers.
En conclusion, la France dispose, avec la quatrième forêt d'Europe, d'un potentiel économique majeur mais cette filière souffre d'un sous-investissement chronique qui se traduit notamment par un déficit commercial important. Ce n'est pas faute de soutiens publics qui quantitativement sont importants avec près d'un milliard d'euros par an. Ce qui manque c'est une organisation administrative et interprofessionnelle cohérente, un pilotage plus ferme et un engagement politique fort et durable sur des objectifs clairs et partagés. Si ces conditions sont réunies, la filière sera alors en capacité de répondre correctement à la demande finale, en particulier, en bois construction et en bois énergie, à faire face à la concurrence et à conquérir de nouvelles parts de marchés en France et au niveau international. L'aval de la filière doit pour cela gagner en compétitivité : maîtriser la disponibilité, la régularité et le coût de ses approvisionnements en bois et adopter une stratégie industrielle créatrice de valeur ajoutée.