Intervention de Olivier Cadic

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 16 avril 2015 : 1ère réunion
Compte rendu du déplacement des membres de la délégation à londres le 13 avril 2015

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

Je vous remercie d'avoir accepté de proposer ce déplacement à Londres, et je suis très heureux d'avoir constaté l'intérêt suscité par ce projet puisque notre délégation était composée de dix membres. En effet mes chers collègues, Mme Lamure et moi-même étions accompagnés de Mmes Létard et Billon, ainsi que de MM. Canevet, Dominati, Durain, Karam, Nougein et Vial.

Nous avons été accueillis dans les locaux d'International SOS, une ETI créée il y a 30 ans à Singapour par deux français, MM. Arnaud Vaissié et Pascal Rey-Herme. Cette société d'assistance médicale aux expatriés et voyageurs d'affaires fédère près de 12 000 salariés dont 1400 médecins et opère dans 76 pays. Nous avons pu apprécier la mobilisation et la forte réactivité de ses équipes tant pour des cas individuels que dans le cadre de drames collectifs tels que le passage du cyclone au Vanuatu ou encore l'accident d'hélicoptères survenu en Argentine, lors du tournage de l'émission « Dropped ».

Deux tables rondes successives ont été organisées dans les locaux d'international SOS, avec la participation d'Arnaud Vaissié, également président de CCI International qui regroupe les chambres de commerce françaises à l'étranger.

La première a réuni des acteurs économiques, avec notamment des présidents ou représentants des chambres de commerce françaises à l'international, des conseillers de commerce extérieur, ou de la chambre de commerce française en Grande-Bretagne. La seconde table ronde a permis d'entendre le témoignage concret d'une dizaine d'entrepreneurs français installés à Londres. Je tiens à préciser que les profils présents étaient particulièrement variés. J'avais pris soin d'éviter un panel « cliché » avec des Français travaillant tous dans la finance. Étaient ainsi présents le représentant d'une fromagerie familiale vendéenne implantée récemment au Royaume-Uni pour accéder aux marchés anglo-saxons et asiatiques, la fondatrice d'une société immobilière accompagnant les Français s'installant au Royaume-Uni, le directeur d'une société de « web-conseil » et d' « e-mailing », ou encore un ancien sportif international de haut niveau, Serge Betsen -les amateurs de rugby le connaissent forcément-, qui a développé une activité de conseil et créé une association après avoir renoncé à son entreprise française.

Tous ces témoignages étaient saisissants. Il n'y avait aucun doute sur l'amour de ces entrepreneurs pour la France ni sur leur espoir d'avoir un jour un cadre plus favorable pour développer davantage leur activité sur notre territoire. Pourtant nous avons mesuré le poids d'une amertume partagée, en constatant à quel point les règles françaises freinent le développement et la croissance de nos entreprises. Plusieurs ont dénoncé un tissu législatif français rempli de mesures dont personne n'interroge l'efficacité. Mais nous avons en même temps goûté à leur optimisme, puisqu'ils apportent la preuve qu'il est possible de créer de l'emploi.

Voici les principaux messages délivrés par nos interlocuteurs au cours de ces deux tables rondes, lors de leur description du système britannique :

- Le premier point est d'ordre philosophique et culturel. Rappelons que le Royaume-Uni était dans une situation économique bien pire que la France il y a 30 ans, et qu'un changement de mentalité a été opéré, d'abord avec Mme Thatcher qui a changé la donne en rendant le dialogue social plus direct au sein de l'entreprise, entre patron et salariés, mais qui s'est prolongé avec Tony Blair qui a confié à son administration la mission de faciliter la vie des entreprises et donc l'emploi au Royaume-Uni. Les hauts fonctionnaires ont alors été évalués sur leur capacité à atteindre cet objectif. Plus récemment, le Gouvernement de David Cameron a choisi de faire face à la crise financière en dévaluant et en réduisant les dépenses publiques. Le résultat est aujourd'hui le suivant : une croissance de 2,8% en 2014, maintenue en 2015, et une hausse de 1,4 million d'emplois dans le secteur privé qui est venue plus que compenser la réduction de 550 000 emplois publics. En outre, le taux de chômage est tombé à 5,7%, ce qui s'apparente à une situation de plein emploi. Tous les témoignages entendus lundi convergent pour décrire la philosophie britannique : ce qui est bon pour les entreprises est bon pour les citoyens britanniques et pour le Royaume en général et doit par conséquent être prioritaire.

Les entrepreneurs français ont comparé le cadre général des deux pays : ils estiment que le sentiment largement partagé est que la France diffuse une atmosphère et des réflexes de méfiance vis-à-vis des entreprises, notamment via son administration fiscale. A l'inverse, le Royaume-Uni offre des règles claires, simples, et promeut une « attitude administrative » visant à aider et à faciliter la vie des entreprises.

De cette philosophie découle une réglementation marquée par la flexibilité. Une flexibilité qui se décline sur tous les sujets pour répondre à un objectif de pragmatisme.

Elle se traduit par les éléments suivants :

- une fiscalité peu complexe et légère sur les salaires (12% de charges patronales et autant de charges salariales), et pas de prélèvements sociaux additionnels ; soit 24% de charges sociales face à 60% en France ;

- une feuille de paie simple, avec une retenue à la source favorisant la consommation une fois le salaire versé. Les patrons présents ont pu mettre en regard le comportement économique de leurs personnels français, qui sont davantage enclins à réduire leurs dépenses pour faire face à une fiscalité fluctuante et croissante ;

- la flexibilité permet également des variations du temps de travail et donc de salaires, qui sont acceptées par les salariés lorsque l'alternative est le licenciement. Certains entrepreneurs ont été contraints de faire travailler leurs personnels 3 jours par semaine lors des périodes les plus difficiles de la crise. Cela a évité à beaucoup le chômage mais aussi, du point de vue de l'entrepreneur, une perte de compétences, fruit de leur formation dans l'entreprise. L'adaptation à la situation économique constitue un élément normal, intégré par les actifs ;

- le pragmatisme guide également l'évolution du droit du travail. D'abord il n'y pas de seuils donc pas d'effets de seuils. Ensuite, pour faire face à la crise, le Gouvernement de David Cameron a augmenté la période pendant laquelle entreprise et salarié peuvent se séparer sans formalités excessives, même s'il reste des procédures à suivre. Cette sorte de période d'essai de deux ans semble considérée comme un atout par les deux parties. Le paradoxe vertueux qui en découle, c'est que plus il est facile de débaucher, plus on embauche. Les entrepreneurs rencontrés ont tous évoqué le défi que constitue la fidélisation des personnels compétents, qui apporte très naturellement un équilibre dans les relations et favorise un dialogue « gagnant-gagnant » ;

- le pragmatisme concerne également le processus de création d'une entreprise, comme le met en évidence l'analyse comparative du Cercle d'outre-Manche dans une publication intitulée « La France et le Royaume-Uni face à la crise (2008-2014) » ;

- impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu s'appliquent selon des barèmes progressifs, mais sans exception, ce qui semble favoriser un sentiment partagé de responsabilité;

- la fiscalité sur les plus-values est plafonnée à 10% et l'on prévoit une déduction fiscale pour les financements des jeunes entreprises jusqu'à 1,5 million de livres par an ;

- une forte incitation pour les particuliers à investir dans les start-ups avec le « Seed Enterprise Investment Scheme » qui prévoit 50% de réduction d'impôts sur le revenu pour les investissements dans les entreprises de moins de 25 salariés (en début d'existence) ; il existe aussi l'«Enterprise Investment Scheme » qui permet une déduction d'impôts de 30% du montant investi dans une entreprise ;

- par ailleurs le contentieux social est très rare, les agréments sur les indemnités de départ étant assez facilement établis ;

- enfin, la formation professionnelle est laissée à la liberté des entreprises : là aussi, le paradoxe vertueux joue à plein puisque les entreprises britanniques, qui ne sont pas obligées de financer de la formation professionnelle, en financent bien plus que les entreprises françaises, qui sont, elles, soumises à une telle contrainte de financement mutualisé : au Royaume-Uni, la formation professionnelle est dédiée aux salariés de l'entreprise et ciblée pour augmenter la performance. Sur ce sujet, je recommande également l'analyse comparative proposée par le Cercle outre-Manche.

Les témoignages convergeaient tous pour dénoncer la peur du risque comme l'un des principaux handicaps français. Cette peur concerne aussi bien le risque d'embaucher, compte tenu du risque de contentieux et financier qui pèse sur l'entrepreneur en cas de licenciement, mais aussi le risque d'un contrôle fiscal. Le nombre de contrôles est neuf fois plus élevé en France que dans les pays anglo-saxons. L'un des entrepreneurs présents nous a dit qu'actuellement il avait plus de contrôles fiscaux pour ses 20 entreprises françaises que pour la totalité de ses 60 sociétés britanniques ! Le contentieux social est également très inhibant pour les entreprises. Un chiffre intéressant nous a été donné : 20 000 dossiers sont traités chaque année par la Cour de Cassation, contre seulement 5 000 au Royaume-Uni où la Cour Suprême sélectionne les cas utiles à la jurisprudence.

Les témoignages entendus au cours de ces tables rondes ont également confirmé une tendance qui interpelle : il s'agit de l'exode des jeunes les plus compétents au Royaume-Uni. En moins de 20 ans, le phénomène d'expatriation s'est transformé en un phénomène d'immigration. La démarche n'est plus la même : les jeunes Français ne vont plus simplement vivre une expérience temporaire, ils nous quittent définitivement. Cette nouvelle tendance, confirmée par Madame l'ambassadeur de France que nous avions invitée au déjeuner, a parfaitement été illustrée lors des rencontres de l'après-midi. Je pense tout d'abord à la société Ekimetrics, société créée en 2006 par de jeunes français qui proposent de mettre les mathématiques et les statistiques au service du marketing des plus grands groupes mondiaux : le traitement numérique de masse des données clients permet d'optimiser les dépenses marketing des clients. Avec une croissance annuelle située entre 30 et 40% et bientôt 100 consultants, Ekimetrics montre que les diplômes des plus grandes écoles de commerce et d'ingénieurs perçoivent aujourd'hui le Royaume-Uni comme un pays d'opportunités professionnelles, où leurs profils sont très recherchés.

Notre seconde visite de l'après-midi a également confirmé les propos des entrepreneurs. Il s'agit du Centre Charles Péguy. Cette association créée sur le modèle d'une « charity », et subventionnée par le ministère des affaires étrangères, accueille et aide les jeunes Français à trouver du travail, voire un logement, au Royaume-Uni. Environ 1 000 jeunes trouvent ainsi un emploi chaque année. Le directeur du Centre, comme tous les jeunes présents lors de notre visite, ont partagé le constat des intervenants de la matinée : ces Français déclarent quitter la France car ils n'y trouvent pas de travail. C'est ce que nous avons entendu à plusieurs reprises. Ils savent qu'ils seront très facilement embauchés une fois arrivés à Londres, et que la flexibilité du marché du travail leur permettra d'évoluer rapidement et d'ajuster l'emploi occupé à leur niveau de compétences. Il est temps d'intégrer la mobilité dans notre approche de la problématique de l'emploi.

En conclusion, ce déplacement nous a montré que les entrepreneurs installés au Royaume-Uni sont soucieux d'aider notre pays. Ils souhaitent y contribuer en suggérant les vraies réformes de fond qui permettront enfin de lutter efficacement contre le chômage et d'accroître la compétitivité de la France. Mais aujourd'hui ils ne comprennent plus les règles qui s'imposent aux entreprises et finalement ont le sentiment qu'on ne les comprend plus du tout. Ils évoquent les points forts de notre pays, comme l'excellence de nos formations ou notre capacité à investir pour le long terme dans des projets d'infrastructures. Ils rappellent que si notre productivité est remarquable par rapport au Royaume-Uni, il faut la rapporter au choix des entrepreneurs qui privilégient en France l'acquisition de machines pour éviter de recruter de la main d'oeuvre.

Il me semble qu'il est temps de se poser les bonnes questions pour envisager, avec nos forces, comment réformer utilement en prônant une approche pragmatique. Une rencontre entre les entrepreneurs français installés au Royaume-Uni et ceux rencontrés lors de nos déplacements en France pourrait être très instructive. Les premiers pourront témoigner de leur satisfaction d'un environnement économique, professionnel et social favorable. Ensemble, ils pourraient répondre aux questions qui nous ont été posées à Londres. Alors que Mme Thatcher et M. Blair ont fait évoluer le pouvoir des syndicats et leur nature corporatiste, nos syndicats ne sont-ils pas devenus un frein en France au lieu de remplir leur rôle de facilitateur ? À quoi servent les seuils sociaux ? En quoi cela aide-t-il au développement des entreprises ? Ne pourrait-on pas fixer aux hauts fonctionnaires français un objectif de service aux entreprises ? Ne peut-on pas envisager, nous aussi, une période d'essai plus longue qui non seulement serait préférable à des successions de contrats à durée déterminée - ce que connaissent aujourd'hui 90% des personnes embauchées, mais qui aurait également l'avantage de rééquilibrer les relations entre patrons et salariés ? Comment justifie-t-on aujourd'hui toutes les contraintes définies pour créer une entreprise ? Qu'attend-on de toutes ces règles ?

Il a fallu deux décennies pour obtenir ce consensus au Royaume-Uni : « C'est l'emploi qui crée la croissance et non l'inverse !». Nous devons comprendre cette logique.

En nous fondant sur cette approche, en comparant notre arsenal législatif et réglementaire avec celui qui semble convenir parfaitement à nos compatriotes installés outre-Manche, nous pourrions faire émerger les pistes de réformes prioritaires qui donneront envie à nos entrepreneurs d'embaucher à leur tour sans limite.

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