Intervention de George Pau-Langevin

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 9 avril 2015 : 1ère réunion
Audition de Mme George Pau-langevin ministre des outre-mer sur les questions européennes

George Pau-Langevin, ministre des outre-mer :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir pris l'initiative de cette audition qui constitue pour moi l'occasion de faire un point aussi complet que possible sur l'ensemble de notre actualité européenne.

Je connais votre intérêt pour ces sujets, votre implication permanente et l'aide que vos rapports et résolutions - je pense notamment à ceux consacrés à la politique commune de la pêche ou à la fiscalité du rhum des départements d'outre-mer - nous ont apportée dans la consolidation de la position de la France auprès de Bruxelles.

Notre actualité européenne est dense. Elle illustre, une fois de plus, tout à la fois l'impact direct des politiques européennes sur nos territoires et la nécessité de pouvoir anticiper très en amont l'élaboration de la norme européenne pour en mesurer et en adapter l'impact dans nos territoires. Cette actualité témoigne, s'il en était encore besoin, de l'imbrication étroite entre ces politiques européennes dans toutes leurs dimensions et les conséquences sur nos territoires.

J'occupe la fonction de ministre des outre-mer depuis maintenant un an. Durant cette année, nous avons travaillé très activement sur les questions européennes. Aujourd'hui, je crois pouvoir dire qu'il est juste de se féliciter collectivement des résultats que, ensemble, nous avons obtenus.

Je souhaite vous rappeler quelques faits marquants.

Les enveloppes de la politique de cohésion ont augmenté de 25 % par rapport à 2007-2013, soit plus de 3,9 milliards d'euros pour 2014-2020, c'est à dire 28 % de l'enveloppe française au titre de la politique de cohésion. Ces moyens sont indispensables au rattrapage en matière de retards d'équipement, mais ils constituent également un gage pour l'investissement dans l'avenir.

La « rupéisation » de Mayotte au 1er janvier 2014, avec un certain nombre de dérogations négociées pour rendre soutenable la mise en oeuvre de l'acquis communautaire, constitue un autre fait marquant. L'enjeu est aujourd'hui de mettre en oeuvre les nouveaux moyens rendus disponibles, afin de faire évoluer la réalité de Mayotte au rythme adéquat.

Le fonds européen pour le développement (FED) au bénéfice des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) a par ailleurs augmenté de 37 %. Les montants sont sans commune mesure avec ceux en faveur des régions ultrapériphériques (RUP), mais je suis très attachée à obtenir en faveur des PTOM les mêmes avancées que pour les RUP.

Je tiens à souligner en outre la mise en place d'une fiscalité préférentielle sur le rhum des DOM, validée jusqu'en 2020, alors même que nous étions dans une situation d'illégalité manifeste, avec un risque élevé de remboursement.

Enfin, nous pouvons nous féliciter de la reconduction de l'octroi de mer jusqu'en 2020, par une décision du Conseil de l'Union de décembre 2014, après une instruction qui nous a beaucoup mobilisés mais qui, en définitive, conforte notre dispositif en le prorogeant sur un équilibre quasiment inchangé et qui augmente le nombre de productions bénéficiant d'un différentiel de taxation.

Nous reviendrons sur chacun de ces points plus précisément si vous le souhaitez au cours de notre échange à venir.

Notre actualité est tout aussi chargée et nous poursuivons les mêmes objectifs.

Il s'agit tout d'abord de contribuer à installer durablement la dimension ultramarine dans le fonctionnement des institutions européennes. Le fait ultramarin est une réalité. Le minorer ou en faire abstraction dans l'élaboration de la norme européenne est une erreur.

Il convient par ailleurs de faire prévaloir une prise en compte adaptée et différenciée, si besoin, de nos territoires. J'ai à l'esprit par exemple le programme Erasmus+, dont les modalités actuelles ne permettent pas de prendre en compte suffisamment l'hyper-éloignement (celui à plus de 8 000 kilomètres de l'Hexagone). Je pense également à l'ensemble des programmes horizontaux pour lesquels les modalités d'accès en faveur des RUP et des PTOM doivent encore être renforcées.

Il nous faut en outre utiliser le levier européen pour contribuer directement à la relance de l'activité et à la résorption des retards dans nos territoires.

Enfin et surtout, il est essentiel d'éviter toute rupture juridique ou discontinuité dans l'allocation des aides, parce que l'incertitude ou l'instabilité des règles freinent irrémédiablement l'investissement et l'activité.

J'identifie aujourd'hui quatre enjeux prioritaires au regard de l'équilibre économique et social de nos territoires :

- accompagner la reprise de l'activité et de l'investissement avec la mise en oeuvre des régimes d'aides d'État et la mise en oeuvre du plan Juncker ;

- assurer la compétitivité de nos secteurs productifs avec la finalisation de la reconduction de l'octroi de mer et la mise en oeuvre d'accords commerciaux équilibrés ;

- garantir la pérennité de secteurs essentiels confrontés à des bouleversements, comme la fin des quotas sucriers ;

- assurer la transition nécessaire, le cas échéant, avec ces nouveaux dispositifs négociés, mais dont certains ont pris beaucoup de retard : je pense notamment à la filière pêche et aquaculture pour laquelle je souhaite qu'un accompagnement ad hoc puisse être mis en place sans délai.

Revenons sur ces différents enjeux.

Le premier objectif que j'ai cité est d'assurer l'accompagnement adapté de nos économies. Pour cela, différents régimes d'aide d'État ont été mis en place et doivent être périodiquement validés. Ces dispositifs sont évalués globalement à environ trois milliards d'euros par an, un montant tout à fait raisonnable. Depuis le 1er juillet 2014, l'encadrement communautaire de droit commun est celui fixé par le RGEC, qui a l'avantage de simplifier les modalités d'autorisation des aides en substituant une logique d'information de la Commission à la notification préalable. Il s'agit d'une avancée positive, à ceci près que, d'une part, ce règlement énumère un certain nombre de secteurs exclus du bénéfice des régimes d'aide, essentiellement en raison de distorsions de concurrence qui en résulteraient, et que, d'autre part, il limite les intensités d'aide autorisées.

Dans le prolongement de l'initiative portée par l'intergroupe parlementaire des outre-mer auprès de la commissaire européenne à la concurrence, pour laquelle je me dois de vous remercier, j'ai plaidé comme vous pour une mise en oeuvre du RGEC adaptée à nos RUP. J'y ai posé deux impératifs : premièrement, la continuité des aides sans rupture juridique pour accompagner nos secteurs économiques ; deuxièmement, la prise en compte des spécificités des outre-mer lors de la révision du règlement.

La plupart de nos régimes d'aide au fonctionnement sont désormais adossés au RGEC. Cet adossement ne modifie en rien la nature de ces dispositifs d'aide. Ainsi, leurs modalités de mise en oeuvre sont maintenues et tous les secteurs économiques demeurent éligibles, selon les règles nationales, aux régimes d'aides d'État, y compris les secteurs des transports et de l'énergie. La France a en effet obtenu une « lettre de confort » dans laquelle la Commission reconnaît que tous les secteurs économiques dans les régions ultrapériphériques bénéficient de ces aides. Par ailleurs, les autorités françaises négocient avec la Commission les modalités des contrôles qui seront effectués afin qu'ils soient proportionnés et que, en particulier, ils ne soient pas réalisés entreprise par entreprise. Enfin, les aides fiscales à l'investissement ont été approuvées selon des modalités spécifiques. Le régime d'aide à l'investissement au logement social, approuvé par la Commission européenne en décembre 2014, est désormais qualifié de service d'intérêt économique général (SIEG), ce qui permet de maintenir les intensités d'aide précédentes. L'aide à l'investissement productif a quant à elle été approuvée pour la partie propre à l'investisseur fiscal et adossée ensuite au RGEC.

N'oublions pas que, en 2007, lors de la dernière phase de re-notification des différents régimes d'aide d'État, une suspension des aides de dix mois avait été constatée. Il me semble que, dans la période actuelle, il aurait été insoutenable de devoir imposer une telle suspension aux entreprises et je ne doute pas que l'on nous aurait reproché ce manque d'anticipation. Aujourd'hui, aucun des dispositifs d'aide aux entreprises n'a été remis en cause, ni n'a été menacé par la Commission européenne. Celle-ci reconnaît, d'une part, l'existence de handicaps particuliers dans ces économies (et surtout l'absence de surcompensation des surcoûts admissibles) et, d'autre part, l'absence de distorsion de concurrence sur le marché intérieur.

J'ai défendu personnellement l'urgence de trouver une solution pragmatique et opérationnelle à la mise en oeuvre du RGEC, tant sur la question des secteurs exclus que sur la question des seuils et de la proportionnalité des contrôles. Nous avons tenu à ce que cette approche soit partagée, non seulement par la Commission, mais également par l'Espagne et le Portugal, confrontés aux mêmes difficultés.

Bien sûr, j'entends les interrogations qui s'expriment. Elles sont légitimes et je veille à y répondre le plus précisément possible. Il va de soi qu'il ne serait pas de bonne administration ni dans l'intérêt de quiconque de faire peser un risque inconsidéré sur les régimes d'aide versés à nos entreprises. Si la Commission revenait sur cette démarche coopérative et constructive, nous serions amenés à reconsidérer notre position, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. La Commission est consciente des difficultés auxquelles font face les économies ultrapériphériques, et semble tout à fait prompte à identifier, avec nous, les solutions adaptées.

En revanche, il est vrai que nous avons pu constater des interprétations restrictives de la portée de ces avancées, au niveau franco-français. Tous les blocages constatés, qui ne concernaient d'ailleurs pas uniquement les secteurs exclus, seront levés de manière imminente. Nous avons travaillé de concert avec le ministère des finances, le secrétariat d'État au budget et le secrétariat d'État à la pêche pour repréciser, auprès de la Commission, notre interprétation des procédures. Un courrier dans ce sens a été transmis à la Commission qui, pour l'instant, n'a pas réagi. Nous considérons donc que les ambiguïtés sont aujourd'hui en voie d'être levées.

À terme, je souhaite naturellement que cette mise en oeuvre adaptée à nos RUP puisse être consolidée au sein d'un RGEC révisé. Néanmoins, ce processus de révision sera long - tout le monde s'accorde désormais à le reconnaître - et ne peut donc constituer une solution pour le court terme. Pour l'heure, il convient avant tout de sécuriser la situation des outre-mer dans cette période transitoire.

Une autre opportunité d'accompagner l'investissement pour nos territoires tiendra à notre capacité à nous saisir du Plan Juncker. Ses modalités de financement sont sans doute peu habituelles au regard de ce qui est constaté dans les outre-mer, mais ce plan constitue une voie inédite de financement des projets de grande ampleur, innovants et exemplaires. À terme, près de 315 milliards d'euros pourront être ainsi mobilisés en faveur d'opérations structurantes. Je souhaite que nos territoires, RUP comme PTOM, puissent en bénéficier. J'ai ainsi demandé aux préfets de conduire un recensement des opérations susceptibles d'être éligibles. Je travaille également avec l'Agence française de développement (AFD) pour mettre en place localement des plateformes d'accompagnement des porteurs de projets en lien avec la Banque européenne d'investissement (BEI). Je suis convaincue que nous tenons là une chance de progresser collectivement, en démontrant notre capacité à porter des projets exigeants et solides.

Ma deuxième préoccupation est d'accompagner nos secteurs productifs. Sur ce point, nous agissons sur deux leviers. Il s'agit tout d'abord de finaliser le dispositif d'octroi de mer, avec sa transcription en droit interne et sa notification à la Commission européenne au titre des aides d'État. Le projet sera à ce titre examiné au Sénat début mai. Notre obligation est d'achever ce processus d'ici le 30 juin prochain. Nous devons par ailleurs travailler à une cohérence renforcée au sein de l'Union européenne entre politiques internes et politiques externes, notamment en matière commerciale. Il s'agit d'éviter que des accords de partenariat ou des accords commerciaux conclus avec des États tiers ne viennent fragiliser les productions de nos territoires. Il serait en effet incohérent que l'Union consacre tant d'énergie pour ces territoires, pour en perdre tous les bénéfices à la faveur de libéralisations commerciales insuffisamment évaluées ou anticipées. Avec mes collègues en charge de l'agriculture et du commerce extérieur, nous avons interpellé la Commission sur la nécessité de préserver les productions de nos territoires, toutes confrontées à une concurrence forte par des États tiers dans lesquels les normes sociales, fiscales, environnementales sont bien moins exigeantes que les nôtres.

Le troisième objectif immédiat que j'ai cité est celui d'accompagner le secteur de la canne et du sucre face à l'échéance de la fin des quotas sucriers. Le président de la République s'est exprimé très clairement sur le caractère structurant de cette filière et sur l'engagement à poursuivre le soutien nécessaire à son équilibre. Nous travaillons actuellement avec les préfectures à la justification des surcoûts engendrés par la fin des quotas sucriers afin de présenter un dossier étayé pour relever l'intensité de l'aide.

Enfin, le dernier objectif de court terme est la mise en oeuvre d'un relais à la filière pêche et aquaculture sur le périmètre des aides au fonctionnement qui sont suspendues depuis début 2014, compte tenu du retard de l'entrée en vigueur du FEAMP. L'Union européenne, dans toutes ses composantes, a souhaité prendre en compte au sein du FEAMP la spécificité des surcoûts liés à l'ultra-périphérie, en distinguant une enveloppe trois fois plus importante à ce qui était autorisé jusque-là. L'enjeu est aujourd'hui la mise à disposition de ces aides. N'importe quel opérateur serait fragilisé par une suspension de plus de deux ans des aides au fonctionnement qui visent simplement à compenser des surcoûts. J'ai donc mobilisé mes collègues du Gouvernement, Alain Vidalies, Michel Sapin, Emmanuel Macron et Christian Eckert, pour partager une solution simple et viable qui, je l'espère, pourra voir le jour très prochainement.

Vous pouvez le constater, je souhaite privilégier dans mon approche des sujets européens une démarche fondamentalement pragmatique.

Au-delà de cette actualité européenne que je viens de vous exposer, j'ai fait part au Premier ministre de ma feuille de route européenne jusqu'en 2017, qui tient en trois objectifs principaux :

- le soutien à l'investissement et à la croissance avec, notamment, la renégociation d'un dispositif d'aide fiscale pour les investissements productifs comme pour le logement social après l'échéance de 2017 ;

- l'accompagnement de l'insertion professionnelle des jeunes des outre-mer sur le marché régional ou extrarégional, notamment par la prorogation de l'Initiative pour l'emploi des Jeunes qui donne de bons résultats ;

- enfin, le soutien aux secteurs productifs, en particulier l'agriculture, avec une révision possible du POSEI à venir dans le courant de l'année 2016 et la fin des quotas sucriers qu'il faudra accompagner.

Plus globalement, je suis convaincue que dans une Europe à vingt-huit États membres, où la problématique de l'ultra-périphérie se dilue mécaniquement au fur et à mesure des élargissements, la prise en compte de spécificités de nos territoires pourrait être mieux assurée en fédérant les intérêts des différents États concernés. Je souhaite donc prendre une initiative dans les prochains mois qui pourrait intéresser les six États membres de l'Union ayant des territoires éloignés, en présence de la Commission européenne, pour partager une approche sur différents sujets d'intérêt commun qui transcendent les spécificités statutaires (la jeunesse, la COP21, le respect de la souveraineté, l'emploi, les investissements). Seule une action concertée entre États membres peut nous permettre de peser davantage au sein de l'Union européenne et faciliter la prise de conscience de la nécessité d'une réponse adaptée pour ces régions les plus éloignées de l'Union.

Je vous remercie et suis à votre écoute pour un échange plus approfondi.

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