Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 avril 2015 à 9h00
Ratification de l'accord d'association entre l'union européenne et la communauté européenne de l'énergie atomique et leurs etats membres d'une part et l'ukraine d'autre part — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, rapporteur :

L'accord d'association entre l'Union européenne (UE), Euratom et les Etats membres d'une part, l'Ukraine, d'autre part, que nous examinons aujourd'hui est un accord ambitieux comprenant à la fois un volet politique, un volet commercial visant à une libéralisation quasi-totale des échanges et un volet dit « de coopération », dont l'objectif est la reprise par l'Ukraine de l'acquis normatif communautaire dans un grand nombre de domaines.

Il s'agit d'un accord mixte dans la mesure où il comprend des dispositions relevant de la compétence de l'UE et d'autres (comme celles relatives aux droits de l'homme, à la non-prolifération ou encore aux sanctions pénales dans le domaine commercial) qui relèvent des Etats. C'est pour cette raison qu'il doit être ratifié par l'ensemble des Etats membres.

Résultant de négociations entamées dès 2007 à la demande de l'Ukraine, cet accord a été signé en deux étapes (le 21 mars 2014 pour les dispositions politiques, le 27 juin 2014 pour le reste), en même temps que deux autres accords d'association semblables, l'un avec la Moldavie (que le Sénat a ratifié en mars dernier), l'autre avec la Géorgie (qui restera à examiner).

Visant à remplacer l'accord de partenariat et de coopération signé en 1994 entre l'UE et l'Ukraine et entré en vigueur en 1998, il s'inscrit dans le cadre du Partenariat oriental, initiative lancée en 2009 pour relancer la politique européenne de voisinage sur le flanc est de l'Europe, qui concerne, outre les trois pays précités, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Biélorussie.

Le contexte actuel en Ukraine donne évidemment une dimension particulière à l'examen de ce texte. On se rappelle, en effet, que c'est la décision du président Viktor Ianoukovitch de suspendre brutalement le processus de négociation, à une semaine de la signature de l'accord prévue au sommet de Vilnius de novembre 2013, qui avait déclenché le soulèvement populaire de Maïdan et la crise politique et internationale qui a suivi. La Russie avait alors fait monter les enchères auprès de l'Ukraine pour qu'elle rejoigne l'Union eurasiatique, projet dont l'objectif est l'intégration économique des pays de l'espace post-soviétique. Néanmoins, le gouvernement provisoire mis en place après le départ de V. Ianoukovitch a très vite affirmé son intention de signer l'accord, ce qui a été fait quelques mois plus tard. Il a été ratifié par le Parlement ukrainien le 16 septembre 2014.

S'agissant du contenu, cet accord est très volumineux, comme en témoignent le nombre d'articles (486) et la taille de ses annexes (notamment le tableau relatif à l'élimination des droits de douane qui s'étale sur plus de 1 000 pages), et ambitieux.

Le volet politique prévoit le développement d'un dialogue sur les réformes intérieures et le renforcement de la coopération dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Ce dialogue vise à promouvoir la paix et sécurité internationales et à renforcer le respect des principes démocratiques, de l'état de droit, de la bonne gouvernance, des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il prend place dans des instances spécifiques, notamment un conseil d'association composé de représentants des parties au niveau ministériel, et un comité d'association, composé de hauts fonctionnaires qui est chargé de préparer les réunions du conseil d'association.

L'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), qui constitue le noyau dur de l'accord et son deuxième volet, prévoit la libéralisation complète des échanges grâce à la suppression des droits de douane sur la quasi-totalité des lignes tarifaires pour chacune des parties et à des mesures non tarifaires visant à faciliter l'accès aux marchés, comme la transparence des marchés publics, l'harmonisation des procédures douanières, la libéralisation des services...

Enfin, le troisième volet, qui apparaît comme la contrepartie de la libéralisation des échanges, vise à l'adoption par l'Ukraine d'une grande partie de la réglementation et des normes communautaires applicables dans vingt-sept domaines allant de l'énergie à l'agriculture et aux transports, de la politique industrielle à celle en faveur des PME, ou encore l'environnement, la protection des consommateurs, la culture et l'éducation...Ce rapprochement réglementaire et normatif doit être réalisé avec l'assistance de l'UE.

Quels sont les avantages de cet accord pour chacune des parties ?

Pour l'Ukraine, il s'agit d'accélérer son rapprochement économique avec l'Union européenne qui, avec 31 % de ses échanges extérieurs, est d'ores et déjà son premier partenaire commercial. Elle y exporte principalement de l'acier, du fer, des produits miniers, des produits agricoles et des machines. L'accord représente également un puissant levier pour moderniser son économie, par l'adoption de standards propres à instaurer un environnement favorable à la concurrence et aux investissements (état de droit, bonne gouvernance) dans un pays où la corruption et l'économie informelle sont encore des réalités. Or, la situation économique de l'Ukraine est telle qu'elle a besoin de manière urgente d'une modernisation en profondeur qui lui permette de se relever et de redémarrer. Je ne citerai que quelques chiffres pour illustrer le marasme économique actuel dans ce pays : depuis un an, la monnaie ukrainienne a perdu 70 % de sa valeur par rapport au dollar, l'activité s'est effondrée, la dette publique a doublé. Bien évidemment, l'état de guerre que connaît ce pays y est pour quelque chose : cette guerre coûterait au pays quelque 10 millions de dollars par jour.

Consciente que l'application de l'accord pourra, dans un premier temps, provoquer des ajustements difficiles, notamment pour la production industrielle et les biens de consommation courante, l'Ukraine espère néanmoins valoriser à moyen terme son potentiel dans le domaine agricole et agro-alimentaire, l'énergie et les transports.

Il faut également mentionner l'aide financière conséquente que l'UE accorde à l'Ukraine : 1,4 milliard d'euros sur la période 2014-2020 dans le cadre de l'Instrument européen de voisinage, en vue de mettre en oeuvre les réformes prévues par l'accord, qui vient s'ajouter aux 3,4 milliards d'euros au titre de l'assistance macro-financière et jusqu'à 8 milliards d'euros sur la période dans le cadre de la Banque européenne d'investissement (BEI) et de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD), en complément du plan d'aide accordé par le FMI (15 milliards d'euros).

Pour certains produits industriels sensibles comme l'automobile et pour une partie des produits agricoles, le calendrier de réduction des droits de douane est asymétrique, la diminution étant plus rapide pour les exportations ukrainiennes vers l'UE que pour les exportations européennes vers l'Ukraine. Néanmoins, des contingents tarifaires ont été prévus, notamment pour les viandes.

En ce qui concerne l'UE, le premier avantage de l'accord est de favoriser le développement économique et la stabilité d'un pays du voisinage, tout en étendant son influence par l'extension du champ d'application de son corpus normatif.

Les pays européens y gagnent également des perspectives en matière d'investissements directs et de commerce (les principales exportations de l'UE vers l'Ukraine étant actuellement les machines et l'équipement pour les transports, les produits chimiques et les produits manufacturés). L'Ukraine ne représente encore toutefois que 1,1 % des échanges européens.

Enfin, l'accord permet des avancées au bénéfice de l'UE, notamment en matière de protection de la propriété intellectuelle : lutte contre la contrefaçon, respect des indications géographiques protégées (ainsi, moyennant une période de transition, l'Ukraine ne pourra plus utiliser les dénominations de Cognac, Champagne ou encore Cahors pour des vins produits sur son territoire). Il faut également souligner le progrès que représentera l'application par l'Ukraine des normes sanitaires et phytosanitaires : elles contribueront à l'égalisation des conditions de concurrence en même temps qu'à une sécurité sanitaire accrue pour le commerce des produits végétaux et issus de l'élevage.

Pourquoi ratifier maintenant cet accord ?

Tout d'abord, pour permettre à la France d'être à la hauteur du rôle moteur qu'elle joue en faveur du règlement du conflit en Ukraine et de l'engagement personnel du président de la République, de concert avec la chancelière allemande, en faveur de la conclusion et de l'application des accords de Minsk II. Il s'agit de faire en sorte que, dans la perspective du sommet de Riga des 21 et 22 mai prochains sur le Partenariat oriental, la France ait engagé le processus de ratification (selon nos informations, le Bundestag serait également en train de ratifier ce texte).

Il s'agit également de répondre à l'attente de l'Ukraine qui se prépare à l'application de cet accord ; elle a en effet lancé, depuis un an, tout un train de réformes : libéralisation de nombreux secteurs, stabilisation du marché des changes, mesures visant à la limitation de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et à l'augmentation des prix du gaz, réforme fiscale, lutte contre la corruption, réforme judiciaire...Même s'il ne faut pas sous-estimer les difficultés rencontrées (lenteur du rythme des réformes, notamment s'agissant du système électoral et de la justice, engorgement législatif, faiblesse de l'Etat), il existe une volonté réformatrice en relation avec l'accord d'association. Par ailleurs, une fois cet accord entré en vigueur, il cessera définitivement d'être un point d'irritation avec la Russie, mieux vaut donc avancer rapidement dans cette direction.

Enfin, il s'agit d'honorer un engagement pris par l'Union européenne, qui vise à développer une « association politique et une intégration économique » avec l'Ukraine. Précisons bien que l'accord ne donne aucune perspective d'adhésion à l'Ukraine. C'est un point sensible car plusieurs Etats membres souhaitaient aller plus loin, et c'est également le souhait de l'Ukraine. Sur ce point, la position du gouvernement français, mais aussi d'autres pays comme l'Allemagne et la Belgique, est très claire : nous sommes opposés à un élargissement de l'UE à l'Ukraine.

Afin de faire baisser les tensions et de dissiper tout malentendu avec la Russie, il importe à mon avis de bien faire connaître cette position et d'indiquer que l'accord d'association n'implique pas la rupture des liens économiques existants avec celle-ci, qui pourrait même en bénéficier indirectement.

Pour toutes ces raisons, je vous propose donc d'adopter le projet de loi ratifiant l'accord d'association entre l'UE et l'Ukraine. Il sera examiné en séance publique le jeudi 7 mai à 9h30 pour une discussion en forme normale.

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