Intervention de Philippe Portier

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 avril 2015 : 1ère réunion
Femmes et laïcité — Audition de M. Philippe Portier directeur d'études à l'école pratique des hautes études paris-sorbonne directeur du groupe sociétés religions laïcités grsl

Philippe Portier, religions, laïcités (GRSL) :

Notre époque se caractérise par le « triomphe des identités » et par ce qu'on appelle, en France, le « communautarisme », qui n'est pourtant pas un concept courant à l'étranger et qui fait d'ailleurs l'objet de nombreuses critiques dans les pays anglo-saxons, dont le modèle diffère du nôtre.

La poussée des mouvements d'extrême droite traduit également un triomphe global de l'identité. La société démocratique libérale s'est structurée autour du paradigme de l'arrachement à l'ensemble des traditions, afin de pouvoir construire une cité émancipée sur le fondement de la délibération. Ce qui caractérise philosophiquement les mouvements populistes, c'est la remise en cause, précisément, de ce principe délibératif. Ces mouvements partent du postulat selon lequel une société se construit par son ré-enracinement dans des traditions préalables. Lorsque les mouvements populistes parlent du religieux, le plus souvent, ce n'est pas sa dimension spirituelle, mais culturelle, qu'ils évoquent. Ils font alors référence au religieux en tant que principe structurant de la nation à partir de laquelle doivent se construire les existences. Ce schéma remet en cause, de façon philosophique, la construction de notre modèle démocratique qui repose, depuis l'héritage des philosophes des Lumières et des républicains de la IIIe République, sur le refus des identités et des traditions, en ce qu'elles contribuent à cloisonner les individus.

Les mouvements populistes affirment, au contraire, qu'un tissu culturel préalable serait nécessaire pour construire la société, dont le noyau dur résiderait dans la religion dominante. Au Danemark, par exemple, les partis populistes louent le caractère structurant du luthéranisme ; à l'Est de l'Europe, l'orthodoxie apparaît comme le fondement même de la nation, en particulier en Russie ; pour les mouvements populistes de la Mitteleuropa, c'est autour du catholicisme que la nation doit se reconstituer.

La France n'échappe pas à ce mouvement. L'extrême droite, s'opposant au mouvement d'arrachement aux traditions, utilise, de manière paradoxale d'ailleurs, le principe de laïcité dans son combat en faveur du ré-enracinement de la nation. Cette logique du ré-enracinement est une forme de communautarisme national, en ce que la nation ainsi comprise est enfermée dans une culture préalable : ce communautarisme national s'oppose à d'autres identités, qui sont aussi des identités du repli autour d'une norme religieuse qui viendrait structurer la totalité des existences.

Enfin, j'ajouterai que des recherches théoriques fortes se font jour sur la nécessité de réinscrire la croyance dans les délibérations publiques. D'aucuns reprochent ainsi à la France de distinguer raison et croyance. Pourtant, sous la IIIe République, prévalait l'idée selon laquelle la croyance serait l'« autre » de la raison.

S'il existe des « identités de repli », qui peuvent se former à partir de la religion, il ne faut pas oublier que, selon les thèses développées par Jean-Marc Ferry et Jürgen Habermas, les sociétés démocratiques peuvent se construire à la fois sur des aspects séculiers et sur des traditions religieuses.

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