Je vous remercie de m'avoir invitée à exposer devant vous les points significatifs du rapport sur la parité intitulé Parité en politique : entre progrès et stagnations - Évaluation de la mise en oeuvre des lois dites de parité : municipales et communautaires, européennes et sénatoriales, issu d'un travail d'évaluation du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh).
Tout d'abord, si vous m'y autorisez, je vais me présenter. Je suis politiste, chercheure CNRS affectée au Centre de recherche politique de Sciences Po (CEVIPOF) et membre du comité de pilotage du programme PRESAGE (Programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre) mis en place à Sciences Po, il y a cinq ans, pour institutionnaliser et compléter des cours dispensés, dès 1945, année du premier vote des femmes, sur la question de la dimension sexuée du vote. Maurice Duverger et Jacques Narbonne ont publié des études sur la participation des femmes à la vie politique en 1955 et à partir des années 1980, Janine Mossuz-Lavau, Mariette Sineau et Françoise Gaspard ont traité des questions du vote des femmes et de l'égalité femmes-hommes.
L'enseignement dispensé à Sciences Po dans le cadre du programme PRESAGE irrigue l'offre pédagogique du collège universitaire aux masters et écoles, notamment de journalisme. La philosophie générale des enseignements proposés repose sur une approche transversale de la question du genre, afin que les étudiants y soient sensibilisés comme ils le sont aux autres disciplines majeures que sont le droit, la sociologie, l'histoire, l'économie et la science politique. J'assure pour ma part le cours intitulé « La science politique au défi du genre ». Un tronc commun aux masters permet aux étudiants d'accéder aux enseignements de PRESAGE. 140 étudiants de master peuvent suivre un cours sur le thème « égalité et politique », ainsi que le cours d'Hélène Périvier sur les inégalités entre les sexes dans le monde économique.
J'ai été nommée, en tant qu'universitaire spécialiste de ces sujets, au sein du HCE|fh, instance consultative placée auprès du premier ministre créée en janvier 2013 et issue du regroupement de différentes instances, parmi lesquelles l'Observatoire de la parité. Celui-ci s'est trouvé recomposé au sein de la commission du HCE|fh en charge de la parité politique, administrative, économique et professionnelle, que je préside. Nous y avons étudié l'exclusion des femmes de la citoyenneté active puis leur accès à celle-ci à partir de l'ordonnance de 1944, ainsi que l'impact de la réforme constitutionnelle de 1999 et des lois qui ont été votées depuis cette date pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Le rapport que je suis venue vous présenter est décliné en deux versions, l'une exhaustive, l'autre condensée. Il s'attache à mettre en exergue les modalités d'application, pour chaque type de scrutin (de liste, uninominal, binominal) des dispositifs paritaires prévus par les neuf lois sur la parité votées depuis 2000. Il pose aussi un état des lieux de la présence des femmes dans les différentes élections en mettant en question les idées préconçues à déconstruire, notamment les prétendues compétences masculines pour certains sujets ou le désintérêt des femmes pour l'exercice de certaines fonctions.
Ce rapport du HCE|fh, issu d'un travail d'évaluation de la mise en oeuvre des lois dites de parité dans le cadre des élections 2014, confirme qu'en l'absence d'obligations légales claires, la parité ne progresse que très lentement. Il n'y a pas de « pente naturelle » vers l'égalité femmes-hommes dans ce domaine. En revanche, si des contraintes légales existent, on peut s'approcher de la parité.
Notre étude sera actualisée pour intégrer les données des élections départementales de 2015, dont le mode de scrutin inédit adopté par la loi du 17 mai 2013 institue des binômes paritaires.
Ce rapport propose une présentation globale des élections municipales, intercommunales, européennes et sénatoriales de 2014 et compare les résultats selon que le scrutin est soumis ou non à des contraintes légales, qu'elles soient partielles, incitatives ou strictes. On observe par exemple que si aucune disposition n'est prévue pour encadrer l'élection des exécutifs, des assemblées ont beau être paritaires, la proportion de femmes dans ces exécutifs est faible. L'exemple des élections départementales et régionales est éclairant sur ce point : on ne compte en effet plus qu'une seule femme présidente de conseil régional ; il y a en revanche plus de 90 % d'hommes présidents de conseils départementaux. La proportion d'hommes présidents d'intercommunalité est, quant à elle, de 92,3 %.
L'analyse des résultats des élections de 2014 montre bien, quinze ans et neuf lois après la révision constitutionnelle de 1999 et soixante-dix ans après le premier vote des Françaises, que les lois sur la parité sont absolument nécessaires pour limiter ce que l'on peut qualifier de discrimination structurelle des femmes. Il suffit de constater à cet égard qu'en 1993, il y avait le même pourcentage de femmes parlementaires (5 %) qu'en 1945 ! Même des responsables politiques situés plutôt à droite de l'échiquier et qui étaient réticents à adopter des lois favorisant la parité le reconnaissent maintenant. En effet, de deux choses l'une : soit il y a des blocages structurels, en particulier dans les partis politiques, qui excluent les femmes de l'éligibilité, soit Jean-Jacques Rousseau avait raison de dire que les femmes ne sont pas faites pour être des citoyennes, mais que leur destin est d'être des mères et des épouses de citoyen.
Le principe constitutionnel de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives doit s'appliquer à toutes les élections. En effet, l'article premier de la loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l'égalité entre les femmes et les hommes a complété ainsi l'article 3 de la Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Puis l'article premier de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a ainsi complété l'article 1er de la Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Cette révision constitutionnelle de 2008 dispose donc que la loi doit aussi favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, disposition qui a permis l'adoption des lois dites Copé-Zimmermann et Sauvadet dont le HCE|fh a débuté l'évaluation en auditionnant la présidente de l'Institut français des administrateurs. Ces lois ont été nécessaires pour que la proportion de femmes au sein des conseils d'administration passe de 7 % à 30 %.
Ceci démontre qu'en l'absence de contraintes légales, le constat de la confiscation des postes de pouvoir ultimes, que l'on observe dans le monde politique, vaut aussi pour le monde économique. On ne compte en effet aucune dirigeante dans les sociétés composant l'indice CAC 40, alors que 45 % des diplômés du supérieur sont des femmes et que le taux d'activité des femmes en France est l'un des plus élevés d'Europe.
Pourquoi n'existe-t-il aucune règle favorisant la parité pour les vice-présidences d'intercommunalité ? Pourquoi des candidats aux sénatoriales peuvent-ils créer des listes dissidentes pour contourner les règles concernant la parité, en ayant l'assurance de pouvoir se rattacher, une fois élus, à leur groupe politique d'origine ? Cette manipulation ne sera plus possible pour les candidats aux législatives en 2017 : pourquoi cette différence ?
Les réformes successives ont conduit à des applications différenciées du principe de parité en fonction des élections. Les recommandations que formule notre rapport ont pour objectif de faire appliquer la parité de la même manière pour toutes les élections. L'idée est aussi de rendre de plus en plus difficiles, voire impossibles, les contournements de la loi, en particulier les rattachements a posteriori de candidats dissidents qui réintègrent le groupe issu de leur parti d'origine une fois élus. Il faut tenir compte des conséquences de la multiplication des listes, les partis récupérant l'ex-candidat dissident notamment pour bénéficier du versement de la seconde fraction de la dotation financière publique. On peut imaginer que les partis seront plus vigilants vis-à-vis de ces stratégies de contournement si le rattachement d'un dissident n'est plus possible.
Afin de respecter la parité, dans les communes de 1 000 habitants et plus, la liste des candidats aux conseils municipaux comprend alternativement un homme et une femme, chaque démissionnaire devant être remplacé par un élu du même sexe. Nous demandons la généralisation de cette règle pour combattre une autre stratégie de contournement.
Dans le cas du scrutin de liste, il faudrait imposer que le remplaçant d'un élu démissionnaire soit choisi dans la suite de la liste, parmi les candidats de même sexe. Cette recommandation vise à éviter une stratégie dont une liste Front national a fourni un exemple éclairant lors des dernières élections européennes : un accord était intervenu en amont du scrutin pour qu'une candidate femme démissionne si elle était élue. Elle a ensuite changé d'avis et l'affaire s'est ébruitée, stigmatisant le FN. Cette pratique ne lui est pourtant pas exclusive, comme l'indiquent les résultats sexués à l'issue des scrutins reproduits par le rapport du HCE|fh. Aux élections cantonales, la proportion de femmes élues est passée de 16 % à l'issue du scrutin à 13 % à la veille du renouvellement de 2015. Cette constatation vaut pour toutes les élections.
Le HCE|fh examine comment améliorer la loi pour redistribuer le pouvoir et tendre vers son réel partage entre hommes et femmes. Pour généraliser les bonnes pratiques en politique, il faut procéder à un bilan de l'application des différentes lois sur la parité et définir l'objectif de cette politique publique. Il faut aussi adopter un référentiel commun à toutes les élections, en retenant les bonnes pratiques, comme celle qui prévoit, pour les élections sénatoriales, que le candidat et son remplaçant soient de sexes différents. Nous demandons que cette formule soit étendue à tous les scrutins uninominaux, notamment aux élections législatives.
Une philosophe américaine, Nancy Fraizer, a élaboré une théorie très stimulante, la règle dite des « 3R », qui comprend trois volets, pour assurer l'égalité entre hommes et femmes.
La redistribution est le premier volet, car l'égalité ne peut pas être seulement analysée et observée à l'aune de la redistribution des places, ainsi que l'a rappelé la présidente dans son introduction. Si les lois sur la parité permettent une redistribution des places dans une instance élue (48,5 % de femmes au sein des conseils municipaux du fait de l'application des lois sur la parité, 48 % dans les conseils régionaux et 50 % dans les conseils départementaux avec la création des binômes paritaires), elles ne permettent cependant pas d'assurer l'égalité entre les candidats placés en tête de liste : le premier - souvent un homme - devient généralement le président de l'exécutif.
La reconnaissance est le deuxième volet : il faut que les femmes soient considérées comme des pairs et qu'elles briguent des mandats, non pas en tant que représentantes des femmes, mais comme des candidates à part entière, aptes à décider et à trancher comme les hommes. Cette remarque vaut aussi d'ailleurs pour les candidats issus de la diversité. Il ne faut plus que les femmes soient assimilées à des représentantes complémentaires, destinées à éclairer la tête de l'exécutif, encore majoritairement masculine. Le Sénat et l'Assemblée nationale n'ont encore jamais compté de présidente et la fonction de Président de la République n'est pas encore conjuguée au féminin. Une seule a été nommée chef de gouvernement.
Le troisième volet est politique, celui de la représentation. L'égalité au sein d'une instance ou d'un parti politique ne devient en effet vraiment effective que lorsque l'on détient le pouvoir de modifier le cadre et de changer les règles du jeu. Or le pouvoir d'investir les candidats, fonction clé, demeure encore détenu en grande majorité par des hommes dans la gouvernance locale des partis, parmi les têtes de section ou les responsables des élections des fédérations.
Il n'y a que 16 % de femmes maires et 28 % de femmes adjointes au maire. On pourrait penser que, les femmes n'étant pas parmi les responsables exécutifs, on pourrait au moins leur confier les postes de n° 2 (première vice-présidente, première adjointe) mais il n'en est rien. La loi impose la parité dans l'exécutif depuis 2007 mais les délégations les plus valorisées sont confiées à des hommes. 80 % des femmes occupent des postes dans des délégations liées au « care » - l'écoute de l'autre, la sensibilité : famille, culture, petite enfance, environnement, école... 80 % des hommes exercent des responsabilités dans le domaine des finances ou de l'urbanisme, considérés comme plus prestigieux en termes de pouvoir. Cette association « genrée » répond à une logique de complémentarité entre hommes et femmes aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique. Cette logique est liée au partage des tâches traditionnel entre les parents : en politique aussi, « le papa » est hiérarchiquement plus élevé que « la maman » ; il y a une logique de spécialisation et de moindre autonomie. Les femmes ont moins de pouvoir décisionnaire.
Notre rapport propose que, une fois la tête de l'exécutif élue, une liste alternant hommes et femmes soit constituée pour les adjoints ou les vice-présidents. La tête de cette liste serait du sexe opposé à celui du responsable de l'exécutif, afin d'éviter qu'il y ait monopolisation par les hommes à la fois des postes de n° 1 et de n° 2.
Nous avons aussi des recommandations à faire sur la remontée des données « sexuées » après les élections, en particulier pour les élections départementales et intercommunales. Notre objectif, au sein de la commission Parité du HCE|fh est de dresser un bilan de l'application des différentes lois qui se sont succédé. Nous sommes encore, malheureusement, dans l'obligation de veiller à l'homogénéisation de ce principe paritaire dans toutes les élections, afin de tendre vers un réel partage du pouvoir entre hommes et femmes.
J'ai été frappée que, lors des dernières élections départementales, les médias aient surtout relaté l'affaire des binômes paritaires. C'était certes une grande première pour des élections françaises, mais n'oublions pas que cela avait été proposé dès 1992 par Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall dans leur livre Au pouvoir citoyennes ! Liberté, égalité, parité, et que des débats avaient eu lieu à ce sujet dès 1995 à l'Observatoire de la parité ! Nous avons parmi nous une de ses rapporteures, qui pourrait en témoigner. La question de la répartition des places et des postes de responsabilité entre les femmes et les hommes est récurrente en France. Il y a dans notre pays une tolérance traditionnelle envers une différence de traitement entre hommes et femmes, qui n'est pas perçue réellement comme une inégalité. Le fait qu'il n'y ait en France qu'une seule présidente de région, que 16 % de femmes maires alors que l'on compte 48,5 % de conseillères municipales et d'adjointes, personne n'en parle ! En revanche, le fait qu'il y ait désormais des binômes paritaires dans les conseils départementaux et, par conséquent, autant de conseillères que de conseillers départementaux, a été un sujet. C'est la marque d'un dysfonctionnement démocratique. J'espère que ce précédent des conseils départementaux a permis d'ouvrir une brèche favorable aux femmes.
En ce qui concerne la remarque de Maryvonne Blondin concernant l'insuffisante visibilité des premières sénatrices, force est de constater qu'il y a une sorte de cécité historique. Les historiennes qui seront présentes au colloque « Femmes citoyennes » du 19 mai prochain en parleront mieux que moi. Pourquoi sommes-nous aussi en retard en France sur la présence des femmes dans les institutions ? Je pense que c'est justement parce que nous sommes le pays des droits de l'homme, le pays de l'universalisme républicain, et que l'exclusion des femmes de la citoyenneté active a été faite au nom de cet universalisme. Il n'y avait pas de contradiction entre la proclamation de l'égalité de droit et de l'universalisme républicain et l'exclusion des femmes. Au contraire, on a validé le fait que cette « fraternité » n'existait que dans l'entre soi masculin ; on n'avait pas besoin de dire que les femmes étaient exclues et dans certaines constitutions françaises, il n'était même pas précisé que les femmes n'avaient pas le droit de vote. C'est pour ces raisons qu'il y a encore beaucoup de résistance à l'accès des femmes aux mandats et aux responsabilités et qu'il faut mettre en place des lois contraignantes - ce qui n'est pas le cas, par exemple, dans les pays nordiques. La République a exclu les femmes en théorisant cette exclusion.
Les résistances actuelles ne sont pas seulement dues au fait que les hommes ont le pouvoir et veulent le garder ; la responsabilité est historique et théorique. Nous n'avons pas fait de bilan critique des moments sacrés de notre histoire - la Révolution française, l'élaboration des constitutions, en particulier celle de 1848. Je pense que des anniversaires heureux, comme celui du premier vote des femmes en 1945, doivent fournir l'occasion de mieux comprendre notre présent à l'aune de ce passé. Sans remettre en cause cette compréhension à long terme et le fait qu'il faut travailler sur la socialisation à long terme, il faut avoir des mesures d'action positive à court terme, améliorer la loi pour débloquer la situation sans attendre qu'elle veuille bien se débloquer d'elle-même.