Intervention de Réjane Sénac

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 16 avril 2015 : 1ère réunion
Audition de Mme Réjane Sénac chargée de recherche cnrs au centre de recherches politiques de sciences po cevipof hdr et présidente de la commission parité du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes hcefh — Évaluation de la mise en oeuvre des lois dites de parité dans le cadre des élections de 2014 municipales et communautaires européennes sénatoriales

Réjane Sénac :

Pour répondre à Catherine Génisson, je précise que ce que je prends en compte est la hiérarchie qui est elle-même portée au sein de ces institutions. Nous avons observé l'ordre des délégations tel qu'il apparaissait pour les nominations aux vice-présidences. Les statistiques nationales nous montrent que, parmi les quatre premières, en particulier dans les communes, les délégations sont plutôt de l'ordre de la gestion que de l'organisation, plutôt de l'ordre de l'autorité ou de la décision que de l'écoute ou du soin, pour aborder la question de manière « genrée ».

Le questionnement à avoir relève plus de l'ethos du politique. Le constat opéré par notre rapport livre une photographie de la hiérarchisation actuelle des missions politiques. Nous avons le premier gouvernement paritaire mais aucune femme, en dehors de Mme Taubira, à la fois femme et issue de l'outre-mer, n'occupe de poste régalien. Il y a un vrai questionnement à porter sur ce qui se joue en termes de légitimité politique au sein des instances et ce que c'est de faire de la politique.

En ce qui concerne la question des partis politiques, il n'est pas concevable juridiquement, Chantal Jouanno l'a relevé, d'agir sur leur organisation interne par la loi. Ce que l'on observe, c'est qu'il y a des partis qui, historiquement, imposent la parité dans leur gouvernance depuis leur création - on peut citer Les Verts, maintenant Europe Écologie Les Verts - ou qui, comme le Parti communiste français, se sont posé cette question en interne depuis longtemps. Au Parti socialiste, cette question est posée depuis moins longtemps. Ces partis conduisent des interrogations sur leur cohérence idéologique et, historiquement, ont été amenés à s'interroger sur le principe d'égalité qui est au coeur de leur corpus idéologique : comment ne pas être en contradiction entre lutte des classes et lutte des sexes en particulier ? Hubertine Auclert a prononcé, au congrès national ouvrier à Marseille en 1879, un très beau discours : ses premiers mots mentionnaient le fait qu'elle parlait en tant que représentante du groupe des femmes et en tant que représentante des travailleurs de Belleville. Elle a poursuivi en réfléchissant au sens de la République et elle a demandé aux « prolétaires » de l'assistance ce qu'ils pensaient de l'égalité, et plus particulièrement de l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle pointait là les contradictions qui existent au sein de la République et au sein de la gauche.

La gauche a été mise face à ses contradictions, en interne, par un groupe de militantes. À droite, on défend l'idée qu'il y a une place pour les femmes et une place pour les hommes ; on pense en termes de complémentarité et cette notion va s'incarner aussi dans la manière dont est pensée la gouvernance des partis politiques. Mais s'il y a eu une pression, surtout à gauche, pour que les partis politiques excluent moins les femmes de la gouvernance, c'est le plus souvent de la gouvernance nationale qu'il s'agit. Au niveau local, c'est beaucoup plus difficile, en particulier au Parti socialiste où l'on constate qu'il y a une parité au niveau du bureau ou du secrétariat national - c'est dans les statuts - mais rien n'est dit s'agissant du niveau local, qui est pourtant déterminant pour les investitures. Celles-ci sont « le coeur du réacteur ».

Le communiqué du HCE|f/h, après la remise en février dernier de son Guide de la Parité - Des lois pour le partage à égalité des responsabilités politiques, professionnelles et sociales, était explicitement adressé aux partis politiques. En effet, on peut toujours améliorer la loi, mais il y aura encore une partie de l'égalité qui dépendra de l'attitude des partis politiques. Ceux-ci devront être cohérents ou assumer une dissonance. Ils ne pourront plus jouer l'ambivalence en défendant le principe de l'égalité femmes hommes, en particulier en termes de valeurs de la République, tout en justifiant, en interne, une inégalité flagrante dans leur gouvernance et dans leurs investitures !

Il y a eu un argument récurrent pour l'élection des conseillers départementaux, celui du vivier. Cet argument consistait à dire que les femmes étaient nouvelles dans ces conseils et qu'il était donc normal qu'elles soient peu nombreuses à y siéger ! Cela nous a paru incroyable d'oser utiliser cet argument, qui a pourtant été cité à tous les moments de notre histoire, en particulier lors de l'élaboration des lois sur la parité ! Il est absolument faux de prétendre que les femmes sont nouvelles ! La tentation est grande, pour éviter de poser la question de l'égalité et de la reconnaissance, de choisir des femmes dont les profils sont différents de ceux des hommes et d'ouvrir l'accès aux mandats à la société civile ou à la diversité par les femmes. À cet égard, un porte-parole de l'UMP m'a un jour objecté : « On ne va pas se faire hara-kiri deux fois ». Il voulait dire que les hommes blancs en position de pouvoir étaient obligés de sacrifier des places au profit à la fois des femmes et de la diversité. Il y a également eu le manifeste des trentenaires blancs « sacrifiés de la parité » au Parti socialiste. Cette posture est valable à droite comme à gauche. Les partis font alors donc de la « résilience électorale », des calculs électoraux en ouvrant les listes à des femmes représentant, par exemple, des quartiers ou des associations.

Cette démarche peut être très positive car elle peut permettre de renouveler l'élite politique. Mais pourquoi renouveler celle-ci de manière asymétrique ? Pourquoi les femmes devraient-elle payer le prix de ce renouvellement ? C'est aussi un risque pour ces femmes en matière d'autonomie, car elles doivent tout à ceux qui viennent les chercher. Elles demandent donc moins de vice-présidences, moins de postes de n° 1. Yvette Roudy qualifie cela de « fait du prince » : ces femmes doivent tout au « prince » qui les a choisies. Il y a donc une question à poser dans le pouvoir, central pour l'accès des femmes aux mandats électoraux et aux responsabilités, qui est celui d'investir les candidats.

Ces méthodes de choix posent un problème de reconnaissance : on intègre à la politique des femmes et des non blancs pour les mêmes raisons qu'on les avait exclus. On les avait exclus parce qu'ils étaient différents, et que cette différence était théorisée comme incompatible avec les instincts et missions naturelles qui étaient, pour les femmes, d'élever leurs enfants. Or on les inclut pour les mêmes raisons, au nom de la plus-value susceptible de résulter de cette différence. Les femmes vont apporter autre chose que les hommes : elles font de la politique autrement... Les femmes sont ainsi piégées parce qu'elles sont là pour ce qu'elles vont apporter d'autre, alors qu'elles veulent être là en tant que politiques, pas en tant que femmes en politique. Il y a cette idée d'égalité sous condition de performance de la différence, performance au sens de rentabilité électorale en particulier.

En ce qui concerne les propositions de binômes pour les législatives, cela faisait partie des propositions de Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall dans le livre que j'ai cité précédemment : elles proposaient des binômes pour tous les scrutins uninominaux. L'idée n'est pas très récente.

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