Intervention de Réjane Sénac

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 16 avril 2015 : 1ère réunion
Audition de Mme Réjane Sénac chargée de recherche cnrs au centre de recherches politiques de sciences po cevipof hdr et présidente de la commission parité du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes hcefh — Évaluation de la mise en oeuvre des lois dites de parité dans le cadre des élections de 2014 municipales et communautaires européennes sénatoriales

Réjane Sénac :

La place des femmes en politique ne peut pas être analysée sans considérer celle que la société assigne aux femmes, ainsi que l'exposent les deux rapports que votre délégation a publiés sur les stéréotypes dans les manuels scolaires et les jeux et jouets. Ces travaux démontrent qu'il faut déconstruire la socialisation « genrée », voire sexiste, par les instances de socialisation que sont l'école, les médias et la famille, et aussi agir sur ce qui peut apparaître comme une répartition encore trop stéréotypée des postes. Jacques Derrida explique dans son ouvrage Politique de l'amitié que lorsque l'on veut changer les choses, on se trouve placé devant un dilemme qui est celui du choix entre modifier l'existant ou se projeter dans un monde différent. Selon lui, il faut s'attacher à modifier le monde tel qu'il est tout en le rendant différent ; nous devrions donc travailler sur ces deux versants. La répartition des métiers entre les hommes et les femmes est éclairante sur ce point, les femmes sont concentrées dans moins de métiers moins valorisés, moins rémunérés et plus précaires que les hommes.

En ce qui concerne le traitement de la question du rattachement de dissidents ayant été élus en contournant la loi, il suffirait pour y remédier d'étendre aux élections sénatoriales les dispositions qui existent déjà pour les candidatures aux élections législatives. Il s'agit d'une simple harmonisation législative vers le haut des dispositifs favorisant la parité en politique.

L'argument selon lequel il est difficile de trouver des femmes pour occuper des fonctions politiques n'est pas nouveau. Le modèle social qui prévaut en France, à la différence d'autres pays, demande aux Françaises d'être des « wonderwomen » qui concilient parfaitement vie professionnelle et vie familiale, dont l'éducation de leurs enfants, ce qui les occupe déjà à plein temps. Il ne reste donc pas de temps pour un engagement politique. La France présente le taux d'activité des femmes et le taux de fécondité les plus élevés par comparaison avec l'Italie, l'Espagne, les Etats-Unis ou l'Allemagne, alors même que seulement 10 % des enfants non scolarisés sont gardés en crèche et que plus de 50 % des enfants non scolarisés sont gardés par un des parents, en l'occurrence la mère. Les carrières des femmes dans notre pays sont hachées : entre périodes de congé parental et emploi à temps partiel, elles essaient de tout cumuler. Les enquêtes « emploi du temps » de l'INSEE montrent qu'en 10 ans, le temps consacré au temps domestique et familial n'a diminué que de 10 %. Et encore est-ce dû non pas à l'aide du conjoint mais à l'utilisation de plats surgelés tout préparés. Les femmes consacrent moins de temps à cuisiner.

On demande à des jeunes femmes de s'investir en politique alors qu'elles sont déjà en situation de « burn out », écartelées entre vie professionnelle et vie familiale. Dans le même temps, on les invite, au nom du renouvellement de la classe politique, à n'effectuer qu'un ou deux mandats, alors que les hommes privilégient une stratégie de cumul dans le temps et bénéficient de la prime au sortant et à l'expérience. Cette vision asymétrique n'est pas acceptable.

Le rapport du HCE|f/h propose douze recommandations. Nous serions très heureux que notre travail puisse être repris dans une proposition de loi, notamment la recommandation 11 concernant le rapport de situation comparée qui porte sur l'harmonisation des règles de présentation de rapport en matière d'égalité femmes-hommes pour l'Assemblée nationale et le Sénat avec celles prévues pour les communes et les intercommunalités de 20 000 habitant-e-s et plus, ainsi que pour les conseils départementaux et régionaux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion