Loin de moi l'idée de plaider en faveur d'une planification de type Gosplan. Mais si tout le monde n'a pas le même objectif, il n'en demeure pas moins que les pays et les régions, les entreprises qui réussissent le mieux ont en général fixé un cap, une stratégie à long terme. Les différences tiennent à la manière d'ajuster les voiles en fonction de la conjoncture, laquelle est difficilement prévisible, y compris à quelques mois.
Je n'irai donc pas jusqu'à dire que les objectifs à long terme de la Corée, de la Chine, de l'Allemagne, du Royaume-Uni ou des États-Unis sont identiques, d'autant que les données de départ et l'exercice de la politique diffèrent. J'ai eu la chance de pouvoir suivre d'assez près l'élaboration du plan désormais mis en oeuvre en Chine et d'assister à un débat étonnant sur les terres rares. Arguant que le pays exportait à vil prix ses terres rares, alors qu'il s'agissait d'un atout considérable pour le long terme, des experts plaidaient pour un arrêt de leurs exportations. Ce fut validé politiquement et, ô surprise pour un petit Français comme moi, mis en application dès l'année suivante.
Dans le domaine de recherche, on a raisonné pendant très longtemps en distinguant recherche fondamentale, recherche appliquée, développement et innovation. Ce n'est plus exactement le paradigme dominant aujourd'hui. Recherche et innovation sont liées par une relation beaucoup plus complexe. Il y a de l'innovation sans recherche et de la recherche sans innovation. Incidemment, l'innovation est non pas exclusivement scientifique ou technologique, mais aussi sociale.
Alors qu'internet n'existait pas encore, la France se montrait très fière de la télématique, du minitel, et annonçait un développement à grande vitesse du télétravail. Ce ne fut pas du tout le cas. La technologie était au rendez-vous, mais pas les conditions économiques et sociales propres à la diffuser et à modifier les usages en ce sens. Cela suppose souvent de remettre en cause nos modes d'organisation, nos portefeuilles de compétences, nos manières d'être, notre culture. D'où l'importance du couple innovation technologique-innovation sociale.
Aucune époque n'a bénéficié d'un tel gisement de technologies nouvelles, lesquelles peuvent déboucher sur les usages les pires comme les meilleurs. Les usages sont de plus en plus ambivalents. En ce qui concerne les sciences de la vie, certains imaginent l'avènement d'une médecine « prédictive » - je préfère dire « présomptive » - quand d'autres insistent sur les possibilités de clonage de l'homme ou de la femme idéale. Ce seul exemple illustre à mon sens toute l'importance du débat.