Comment se fait-il que ces travaux tout à fait remarquables que vous avez menés dans le cadre de la délégation à la prospective du Sénat n'aient pas donné lieu à plus de débats, à une appropriation par les acteurs concernés ?
J'ai assisté, la semaine dernière, à une réunion de France Stratégie à laquelle participaient le Commissaire général, le Medef, représenté par son vice-président, et la Fonda, qui fédère un certain nombre d'associations, représenté par le préfet Yannick Blanc. Tous avaient le même discours : la France est extrêmement riche d'innombrables innovations sociales, sous-entendu la France d'en bas est vigoureuse et vivace ; il faut passer du top down au bottom up. Je n'ai pas pu m'empêcher de réagir en posant cette question : n'y a-t-il pas dans ces propos un tant soit peu excessifs une espèce de reconnaissance de l'impuissance des pouvoirs publics et de l'État à agir ? Certes, les innovations ne manquent pas. Encore faut-il qu'elles essaiment, se développent, que la TPE puisse devenir une PMI. Or il y a un certain nombre de blocages qu'il faut lever pour que ces innovations prospèrent.
Autre exemple : dans le cadre de ma collaboration avec les Yvelines, que je citais au début de mon propos, j'ai défendu l'idée de développer le maraîchage en agriculture car cela me paraissait assez logique pour un département proche de Paris. Il m'a été répondu que les Yvelines cultivaient des céréales et ne faisaient pas de maraîchage, pour lequel il y avait un blocage au regard des aides de la politique agricole commune.
Sur la politique aussi, je me permettrai de livrer un sentiment un peu abrupt. Il faut réinventer la politique en allant plus loin qu'un simple bricolage politico-institutionnel. La scène politique nous renvoie l'image de personnes qui sont plus dans la gestion et dans la communication que dans la politique. Je suis désolé de le dire, mais il y a un vrai vide politique dans notre pays, une absence de culture politique qui fait d'ailleurs le lit des extrêmes. Trouver les moyens de redonner à la politique ses lettres de noblesse est l'un des objectifs qui me motivent le plus en faisant de la prospective. C'est peut-être un vrai travail pour le Sénat. La politique, c'est l'incarnation du bien commun, et non la somme d'intérêts particuliers tels qu'ils s'expriment dans la rue ou dans les sondages, avec d'ailleurs des résultats différents d'une semaine à l'autre.