Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 13 mai 2015 à 14h30
Réforme des méthodes de travail du sénat — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution dans le texte de la commission modifié

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, mes chers collègues, une nouvelle fois, la majorité de droite sénatoriale prend l’initiative d’une réforme du règlement dont l’objectif essentiel est la « rationalisation » du travail parlementaire, c’est-à-dire la réduction du temps de parole, l’encadrement du droit d’amendement et la mise en cause de la séance publique.

Monsieur le président, il faut vous reconnaître une belle persévérance. Dès 1990, M. de Raincourt, M. Allouche, alors vice-président socialiste, et vous-même formuliez des propositions qui préfiguraient celles dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Malgré les délais restreints imposés au groupe de réflexion, dont les travaux ont débuté le 3 décembre pour se terminer au mois de février, le groupe CRC a décidé d’y participer de manière constructive, en versant ses nombreuses propositions au débat.

Notre approche était sans a priori, d’autant plus que nous soutenions la démarche engagée par le groupe de travail relatif à la gouvernance du Sénat mis en place parallèlement qui vise en particulier la transparence de l’utilisation par les sénatrices et sénateurs de leur indemnité représentative de frais de mandat.

Notre approche était donc positive, l’objectif affiché de cette réforme du règlement étant d’améliorer l’agenda sénatorial et de s’attaquer au réel problème de l’absentéisme parlementaire.

Permettre aux parlementaires de mieux exécuter leur mandat est une intention louable : nous la soutenons sans hésitation.

Malheureusement, au fil des réunions du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat, une nouvelle intention, partagée notamment par le groupe UMP et le groupe socialiste, est apparue : restreindre le débat public, le droit d’amendement et le temps de parole. Aux yeux des deux corapporteurs et des deux groupes mentionnés, ce sont ces trois éléments qui portent la responsabilité de l’absentéisme. M. Hyest, rapporteur de la commission des lois, s’était même inquiété de la « dictature du temps ».

Pourtant, les statistiques qui sont mises à notre disposition démontrent la réalité de la surcharge de travail qui désorganise le Parlement. Dans les années quatre-vingt-dix, on adoptait annuellement 2 000 pages de textes législatifs. Depuis quelques années, ce chiffre approche les 4 000, atteignant même parfois 4 500.

Or, monsieur le président, la révision constitutionnelle de 2008, rejetée par la gauche, a dans le même temps réduit l’ordre du jour gouvernemental à deux semaines sur quatre, concentrant les débats législatifs sur un temps très restreint.

Nous avions dénoncé voilà sept ans le risque d’asphyxie du Parlement qui pousse aujourd’hui à l’absentéisme. Le chevauchement des réunions et des séances induit par cette inflation législative rend difficile la présence à telle ou telle séance ou à tel ou tel débat de commission.

Pourquoi mettre ainsi la charrue avant les bœufs, monsieur le président ? Vous demandez aux parlementaires, en particulier aux groupes minoritaires d’opposition, de se dessaisir de leurs prérogatives, alors que l’événement principal de la vie des assemblées depuis vingt ans, c’est la surcharge législative !

L’autre élément important qui explique la montée de cet absentéisme est la différence d’assiduité aux débats de projets de loi de finances ; vous la notiez lors de la première réunion du groupe de réflexion, monsieur le président. Elle traduit le sentiment d’impuissance du politique sur le cours des dossiers, plus particulièrement le sentiment d’affaiblissement du législatif face à l’exécutif. Le durcissement des irrecevabilités, l’utilisation excessive, drastique, de l’article 40 de la Constitution, tout particulièrement, ont considérablement augmenté le sentiment d’instabilité du parlementaire, qui ne peut pas formuler de contre-propositions, souvent créatrices de dépenses supplémentaires.

Enfin, la multiplication des groupes d’études, délégations et autres structures, conséquence de la désaffection de ce qui est la raison d’être du mandat parlementaire, c'est-à-dire la fonction législative, joue un rôle certain dans la surcharge de l’agenda sénatorial.

À la fin de l’examen du projet de loi Macron hier, chacun s’est félicité de la qualité et du sérieux du débat parlementaire. Je suis donc d’autant plus étonnée d’une telle volonté de réduire ce qui constitue, me semble-t-il, l’une des principales richesses d’une assemblée législative : le débat pluraliste et l’exercice plein et entier du droit d’amendement.

Comment imaginer que la réduction des débats en commission puisse renforcer l’intérêt de nos travaux ? Comment imaginer que la limitation du temps de parole et la réduction du droit d’amendement vont rehausser la fonction parlementaire ?

J’ai parfois l’impression que les partisans de cette réforme, et ils sont nombreux, scient la branche de l’arbre sur laquelle ils sont assis. En effet, à faire disparaître le débat idéologique et politique, à le contraindre, on menace le devenir même du Sénat.

Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC défendront tout au long de la présente discussion une conception ouverte au débat politique, ne se restreignant pas à des échanges entre spécialistes, une conception citoyenne du travail législatif, en un mot une conception moderne, répondant à la soif d’information et au désir de participation que, tous, nous pouvons constater autour de nous.

Oui, il faut renforcer le Sénat, mais pour l’ouvrir à la société, non pour le refermer sur lui-même !

La réforme qui nous est soumise va malheureusement dans le sens, me semble-t-il, d’un rabougrissement du travail législatif. Croyez bien que les membres du groupe CRC le regrettent !

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