Intervention de Michèle André

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 mai 2015 à 9h32
Application des lois — Communication

Photo de Michèle AndréMichèle André, présidente :

Le Bureau du Sénat a entériné la disparition de la commission sénatoriale pour le suivi de l'application des lois. Pour autant, cela ne signifie pas que notre assemblée renonce à sa tradition ancienne de suivi de l'application des lois. Cette semaine et la semaine prochaine, tous les présidents de commission présenteront un bilan de l'application des lois examinées au fond par leur commission entre le 1er octobre 2013 et le 30 septembre 2014, les « compteurs » pour l'élaboration des statistiques relatives à la mise en application des lois ayant été arrêtés au 31 mars 2015. Un débat devrait être organisé le jeudi 11 juin à 11 heures.

Premier point de cette présentation : quel est le champ de notre contrôle ?

Au cours de la période de référence, six lois promulguées ont été examinées par la commission des finances, étant entendu qu'il n'est pas tenu compte des conventions fiscales et des traités. C'est un retour à l'étiage classique, après deux années de pointe à neuf lois.

Sur ces six lois, deux étaient d'application directe (la loi de règlement et celle relatives aux emprunts structurés) et une (la loi relative aux comptes bancaires et aux contrats d'assurance vie en déshérence) n'entrera pour l'essentiel en vigueur qu'en 2016, ce qui doit conduire à en tenir compte dans les statistiques.

Bien entendu, il n'y a pas forcément de corrélation entre le nombre de lois et le nombre de textes réglementaires attendus pour les mettre en oeuvre. Depuis quelques années, environ 20 à 30 % des textes réglementaires attendus au cours d'une année concernent les lois traitées par la commission des finances. L'année dernière, avec la loi bancaire, cette proportion est même montée à 37 %.

Deuxième point de cette présentation : un bilan statistique rapide.

Les résultats ne sont pas les mêmes selon que l'on prend en compte ou non la loi sur les comptes en déshérence, dont l'absence de publication des 14 textes d'application attendus n'est pas critiquable puisque la majorité des dispositions n'entrera en vigueur qu'2016.

Si l'on exclut cette loi, nous attendions 101 mesures d'application des lois adoptées en 2013-2014, contre 190 l'année dernière et 118 l'année précédente. Le taux de mise en application s'élève à 67 %, soit plus que l'année dernière (58 %) mais moins que l'année précédente (76 %).

Il faut relever une baisse de la proportion de textes publiés dans le délai de six mois prescrit par la circulaire du Premier ministre du 1er juillet 2004 : 44 %, contre 73 % l'année dernière et 62 % il y a deux ans.

Notre contrôle porte sur les mesures réglementaires mais aussi sur les rapports au Parlement. Nous attendions onze rapports thématiques et nous n'en avons reçu que deux, parfois pour de bonnes raisons et parfois sans explication. Manque par exemple un rapport sur les axes d'une éventuelle réforme du taux effectif global (TEG), que nous avions demandé lors de notre examen de la loi sur les emprunts structurés. Manque également le rapport qui devait explorer la piste du remplacement d'une partie des aides fiscales à l'investissement outre-mer par des prêts bonifiés servis par la Caisse des dépôts et consignations. Sur 202 rapports demandés depuis 2001, seuls 81 ont été déposés.

Troisième point : quelques remarques plus qualitatives.

On peut renouveler cette année les constats formulés les années précédentes et j'évoquerai à nouveau l'exemple de la TGAP sur les sacs plastiques, votée par le Parlement en 2010 mais qui n'a jamais été mise en oeuvre car, en dépit de la volonté clairement exprimée du législateur, aucun gouvernement n'a pris le décret nécessaire. Cette TGAP ne verra sans doute jamais le jour puisque la loi sur la transition énergétique prévoit l'interdiction des sacs plastiques à usage unique à compter de 2016.

Après cet exemple de non application d'une mesure décidée par le législateur, on peut relever plusieurs exemples de mesures fiscales qui ne sont pas appliquées comme l'avait souhaité le législateur en raison de l'absence de texte réglementaire. Le crédit d'impôt développement durable a été réformé par la loi de finances pour 2012 mais l'éco-conditionnalité prévue par cette réforme n'a été appliquée qu'en 2014 en l'absence du décret attendu.

De même, alors que la loi instituant le dispositif « Pinel » d'aide à l'investissement locatif prévoit qu'un immeuble neuf d'au moins cinq logements n'est éligible à l'avantage fiscal que si un pourcentage de logements fixé par décret, et au minimum de 20 %, est acquis sans pouvoir ouvrir droit au bénéfice de la réduction d'impôt. En pratique, cette condition n'est pas appliquée en raison de difficultés, notamment techniques, pour contrôler la destination du bien.

Le droit européen et notamment la procédure de contrôle des aides d'État, peut aussi retarder de manière importante l'entrée en vigueur de dispositions votées par le Parlement. C'est ainsi que la réforme des dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer votée fin 2013 n'a été rendue applicable que par un décret de mars 2015.

Autre cas lié au droit européen, les textes réglementaires qui, à peine entrés en vigueur, devront être modifiés voire élevés au niveau législatif pour des raisons de transposition de texte européen. Il en va ainsi du décret sur les contributions des banques au Fonds de garantie des dépôts et de résolution, pris en application de la loi bancaire de 2013, qui devra être abrogé et remplacé, au niveau législatif, par les mesures de transposition des accords entre États dans le cadre de la mise en oeuvre du Mécanisme de résolution unique.

Pour finir, je voudrais évoquer plus spécifiquement deux sujets auxquels notre commission a consacré des travaux importants.

Tout d'abord, puisque j'évoquais à l'instant la loi bancaire de 2013, je dirai un mot de la mise en oeuvre de la règle de séparation des activités bancaires, qui était l'objet initial de la loi du 26 juillet 2013. Vous savez que la séparation doit être effective au 1er juillet 2015, c'est-à-dire dans moins de deux mois. Pour nous rendre compte des conditions dans lesquelles se prépare ce changement, nous avons organisé des auditions le 18 février dernier.

Tout d'abord, il faut rappeler qu'un décret du 8 juillet 2014 a établi le seuil à partir duquel un établissement doit opérer la filialisation de ses activités bancaires pour compte propre, autrement dit séparer ses activités. Le seuil a été fixé de manière à ce que cette obligation s'applique aux principales banques françaises, conformément à ce que le Gouvernement avait annoncé lors de l'examen du projet de loi.

Ensuite, un arrêté portant application de l'ensemble du titre 1er de la loi, relatif à la séparation des activités, a été publié le 9 septembre 2014.

L'essentiel des dispositions de cet arrêté concerne les activités de négociation non filialisées. En effet, par construction, les activités pour compte propre sont cantonnées dans une filiale qui se voit appliquer des règles prudentielles renforcées. Les risques qu'elle porte sont donc bien circonscrits.

En revanche, il convient de surveiller les activités de négociation non filialisées, afin de s'assurer que des risques systémiques ne s'y développent pas. En particulier, certaines activités pour compte propre, telles que la tenue de marché, bénéficient d'une exception et ne sont pas filialisées. Dès lors, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) doit vérifier que les établissements ne profitent pas de ces exceptions pour développer des activités pour compte propre qui devraient normalement être filialisées.

Lors de l'audition conjointe, organisée par la commission des finances le 18 février, Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire général de l'ACPR, avait insisté sur le fait que, « en nous offrant un niveau de granularité plus important, la loi française nous donne une arme supplémentaire. En France, comme en Europe, nous avons fait le choix d'une supervision renforcée et plus intrusive, qui entre dans le détail ».

Au total, la loi va conduire à la création d'entités spécialisées, mais leur nombre et leur taille seront réduits. En revanche, la loi va aussi renforcer la capacité de surveillance du superviseur sur l'ensemble des activités de négociation, y compris et surtout celles qui ne sont pas filialisées.

Pour clore ce chapitre sur la loi bancaire, on peut signaler qu'un décret du 29 décembre 2014 rend applicable les dispositions relatives à la transparence des activités bancaires établies dans chaque État ou territoire. Cette transparence « pays par pays » avait fait l'objet d'une vigilance particulière lors de l'examen et les banques ont d'ores et déjà commencé à publier ces informations au cours de l'année 2014.

On peut aussi relever qu'un arrêté du 28 août 2014 a homologué les modifications apportées par l'Autorité des marchés financiers en application de l'article 17 de la loi, afin notamment d'améliorer la traçabilité des transactions issues d'une négociation automatisée et à haute fréquence. Nous aurons sans doute l'occasion d'interroger le Président de l'Autorité des marchés financiers sur l'efficacité de ces mesures lors d'une audition prochaine.

Je souhaiterais conclure en évoquant le processus de révision des valeurs locatives des locaux professionnels, engagé en application d'une loi de 2010 mais relancé de manière énergique par notre commission en 2012, en particulier à l'initiative de François Marc.

Il manque aujourd'hui trois mesures réglementaires d'application de cette disposition adoptée en 2010 ; elles n'auront toutefois vocation à s'appliquer qu'une fois la révision rendue effective.

Cette communication sur l'application des lois fournit donc une bonne occasion de nous interroger sur les conditions de mise en oeuvre de la loi de 2010 et de nous demander si les reports successifs que nous avons votés dans plusieurs loi de finances traduisent un empressement modéré de l'exécutif à réviser les valeurs locatives.

Mon analyse est qu'il n'en est rien.

Depuis 2013, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a entrepris un travail considérable de collecte des données concernant la totalité des 3 millions de locaux professionnels concernés.

En janvier 2014, elle a présenté aux commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels des avant-projets de grille tarifaire, de sectorisation, etc. Toutefois, en raison de la tenue des élections municipales, il a été décidé de décaler d'un an le calendrier, afin que les nouveaux exécutifs locaux puissent être représentés dans ces commissions, dont le rôle est particulièrement important. La seconde loi de finances rectificative pour 2014 a donc reporté d'un an, à 2016, la pleine entrée en vigueur de la réforme.

En mars dernier, le Gouvernement a annoncé un nouveau report d'un an de l'entrée en vigueur de la réforme ; le Parlement sera amené à se prononcer sur ce point lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016.

Le Gouvernement justifie ce report par la nécessité de permettre aux commissions locales de disposer des documents les plus fiables et exhaustifs possibles afin qu'elles puissent mesurer les effets de la réforme sur chaque local.

La DGFiP réalisera, à l'été 2015, une simulation des effets de la réforme à l'échelle de chaque département ; elle sera rendue publique à l'automne si les commissions locales parviennent à achever leurs travaux dans les délais. Autrement dit, bien que repoussé d'un an, le calendrier reste très ambitieux et nécessite d'avancer à un rythme soutenu.

J'insiste sur ce point car certains éléments communiqués par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) en mars dernier, suivis de l'annonce du nouveau report, ont pu laisser penser que le chantier était interrompu. En tout état de cause, je vous incite à regarder avec beaucoup de méfiance ou d'esprit critique les éléments qui pourraient être diffusés sur ce sujet car, à ce jour, la DGFIP elle-même ne dispose pas d'un diagnostic global stabilisé des effets de la réforme.

Au total, l'application des dispositions de la loi de 2010 repose autant sur la publication des textes réglementaires que sur les travaux conduits dans les territoires, qui nous permettront de faire le point en PLF 2016, sur la base de simulations que l'on peut espérer de plus en plus fiables.

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