Je suis accompagné de Jean-Christophe Chouvet, conseiller-maître à la première chambre, et de Claire Lignières-Counathe, rapporteure extérieure à la quatrième chambre, qui ont été respectivement rapporteur général et rapporteur général adjoint de cette enquête qui a mobilisé l'ensemble des chambres de la Cour des comptes.
La Cour des comptes a souhaité réaliser une synthèse de la politique immobilière de l'État pour trois séries de raisons. Tout d'abord, cette politique a été définie sous sa forme actuelle en 2009 : il existe désormais un recul suffisant pour tenter d'en dresser un bilan. Cette politique fait l'objet d'un suivi attentif par les assemblées parlementaires mais aussi par plusieurs institutions spécialisées, au premier chef le conseil de l'immobilier de l'État.
Deuxièmement, les enjeux sont importants en termes patrimoniaux, budgétaires, mais aussi en termes d'adaptation fonctionnelle, de conditions de travail des agents, d'image de l'État.
Troisièmement, la Cour des comptes a réalisé de nombreux contrôles au cours des années récentes qui lui ont donné une vision concrète de l'application effective de cette politique. Elle a ainsi publié depuis 2008 plusieurs insertions dans son rapport public sur des opérations immobilières du ministère des affaires étrangères, du ministère des affaires sociales, sur la SOVAFIM. Elle a effectué des contrôles d'ensemble sur la gestion immobilière de plusieurs ministères : finances, intérieur, écologie et développement durable. Elle a enfin analysé de nombreuses opérations particulières : du campus de Jussieu aux partenariats publics/privés (PPP) de l'administration pénitentiaire, en passant par la rénovation du site de Ségur-Fontenoy abritant l'administration centrale des ministères sociaux ou la gestion des parcs hospitaliers, avec un rapport de juin 2013 sur la gestion du patrimoine immobilier des centres hospitaliers universitaires (CHU) affecté aux soins, demandé par votre commission en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
Ce référé est le produit de la synthèse de ces travaux. Il est assez long pour un référé de la Cour des comptes - vingt pages - en raison de l'importance des enjeux et de la complexité du sujet. Vous en avez eu connaissance, et je vais donc seulement en rappeler devant vous les principaux messages.
Quels sont les principes de la politique immobilière de l'Etat ? Celle-ci est fondée sur l'affirmation de l'État propriétaire, innovation par rapport à la situation antérieure où les ministères étaient affectataires et se comportaient chacun en quasi-propriétaire : ils sont désormais, en théorie du moins, simplement occupants, l'État décidant de la meilleure manière de satisfaire leurs besoins immobiliers. Dans ce cadre, le parc possédé et occupé par l'État doit faire l'objet d'une gestion rationnelle, davantage centralisée, impliquant l'abandon de certains sites, le choix de nouvelles implantations, dans la recherche d'une adaptation aux besoins, d'une maîtrise des coûts, d'une optimisation continue.
Cette orientation implique plusieurs exigences. Tout d'abord, et c'est évident en principe, moins évident en pratique, l'exigence d'une bonne connaissance de l'ensemble du parc de l'État, dans sa volumétrie, sa consistance, son état technique. Ensuite, une mesure correcte des coûts, actuels et à venir. La définition d'une doctrine d'emploi de l'immobilier adaptée aux caractéristiques de l'État, impliquant l'identification de critères d'arbitrage entre la propriété, la location, les formes intermédiaires, crédit-bail et autres, et la conformité à ces critères des mouvements du parc. Une analyse des besoins et la détermination de normes d'occupation, référence commune pour les ministères, notamment la norme des 12 mètres carrés de surface utile nette (SUN) par agent. Enfin, des outils administratifs et budgétaires appropriés et un pilotage affirmé.
Le référé vise à faire le point sur ces différents éléments. La Cour des comptes a d'abord relevé des progrès tangibles.
Ainsi, des efforts ont été faits dans la connaissance du parc. La surface de l'ensemble du parc occupé par l'État seul représente 67,2 millions de mètres carrés de surface utile brute (SUB) ; la surface des bureaux utilisés par l'État et ses opérateurs est de 22,6 millions de mètres carrés ; la valeur globale du patrimoine immobilier contrôlé par l'Etat a été estimée à 58,5 milliards d'euros. La Cour a par conséquent pu lever en 2013, dans le cadre de sa certification des comptes de l'État, la réserve qu'elle avait formulée sur le recensement et la valorisation du parc.
À la faveur du plan de relance, des audits techniques d'une certaine ampleur ont été conduits entre 2009 et 2012. L'identification de la dépense immobilière a progressé notamment avec l'élaboration d'un document de politique transversale visant à rassembler les données jusque-là éparses. Les outils de gestion, notamment les systèmes d'information, ont été améliorés. Le parc de l'État a été effectivement mis en mouvement, avec la création du compte d'affectation spéciale (CAS) et avec le développement des cessions. Une organisation a été mise en place au niveau déconcentré, avec la réalisation de schémas départementaux, la mise en chantier de schémas régionaux, la création des responsables de la politique immobilière de l'État (RPIE) et la confirmation de la région comme niveau d'animation de cette politique.
Si ces avancées sont réelles et bienvenues, il reste toutefois du chemin à parcourir, d'abord en ce qui concerne les instruments de gestion.
Tout d'abord, en ce qui concerne les éléments techniques, la connaissance des dépenses reste à préciser. Les chiffres fournis pour les dépenses de l'État font l'objet de deux évaluations qui les situent entre 6,6 milliards d'euros et 9 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter environ 3 milliards d'euros pour les opérateurs. De même, les informations disponibles sur l'état des bâtiments sont toujours lacunaires, et les systèmes d'information doivent encore être perfectionnés.
Au-delà de ces problèmes techniques, les orientations mêmes de la politique immobilière de l'État ne sont qu'imparfaitement suivies. La norme d'occupation, pourtant de facto peu exigeante, n'est pas globalement respectée, et il existe de grandes disparités entre administrations. Le mécanisme des loyers budgétaires, qui a pour finalité de marquer les nouveaux rapports entre l'État propriétaire et les administrations occupantes et d'enclencher un cercle vertueux de réduction des coûts, subit des retards dans sa mise en oeuvre ; ce mécanisme soulève des critiques et doit faire l'objet d'une réévaluation.
Tant sur les progrès enregistrés que sur les nécessaires améliorations, il n'est pas surprenant que le Premier ministre ait, dans sa réponse, exprimé son accord avec les constats de la Cour des comptes.
Il faut mener maintenant la réflexion plus avant. Pour aller à l'essentiel, l'État se comporte-t-il aujourd'hui vraiment en propriétaire ? Et est-il un bon propriétaire ? Il n'est pas à ce jour possible de répondre par l'affirmative à ces deux questions.
L'État n'est pas totalement maître des décisions immobilières : les localisations et les modes d'occupation ne sont pas imposées mais les opérations sont négociées avec les ministères. En fait, l'État n'a pas vraiment de doctrine d'emploi de l'immobilier. Cette carence, à laquelle s'ajoute le partage du pouvoir avec les ministères, conduit à ce que les décisions soient prises au coup par coup, souvent en fonction d'opportunités de marché, et non en conformité avec une authentique vision stratégique.
Corrélativement, le suivi de la programmation et de la réalisation des opérations conduites par les ministères est insuffisant ; la direction du budget et France Domaine ont utilement développé leur coordination à cet égard, mais ce dispositif est encore quasi-expérimental.
Les crédits budgétaires, de fonctionnement comme d'investissement, sont toujours entre les mains des ministères. Les deux programmes budgétaires gérés par France Domaine, c'est-à-dire le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et le programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État », ne représentent que 6 % du total des crédits consacrés à l'immobilier ; le reste est inscrit dans les programmes gérés par les ministères. Sur les produits de cession enregistrés par le CAS, la part consacrée au désendettement de l'État demeure marginale - elle n'a jamais dépassé 18 %. Si la mutualisation des recettes pour financer les opérations de restructuration immobilière a été renforcée, elle demeure partielle et les « taux de retour » au profit des ministères sont hétérogènes, certains bénéficiant d'un retour intégral.
Le bras armé de l'État, c'est France Domaine. Il serait donc logique et cohérent que son positionnement dans l'État manifeste cette vocation transversale et en affirme le caractère interministériel. Dans cette perspective, plusieurs formules ont été évoquées : transformation en agence, en établissement public, rattachement au Premier ministre. La Cour des comptes, qui n'ignore pas les pesanteurs administratives, a proposé pour sa part une solution a minima : tout en conservant à France Domaine son statut de service administratif, elle propose de le détacher d'une direction de Bercy, la DGFiP, pour le rattacher directement au ministre chargé du budget, responsable du domaine. Cette évolution permettrait d'envoyer un signal clair du caractère interministériel de cette politique. Ce choix n'a pas encore été fait, sans que la Cour des comptes perçoive les motifs qui s'opposent à cette démarche. En revanche, l'idée que l'action de France Domaine doive être concentrée sur les tâches les plus indispensables à la politique immobilière de l'Etat, en remettant en cause certaines attributions comme les évaluations au profit des collectivités territoriales, semble mieux admise. Encore reste-t-il à la mettre en pratique.
L'État est un propriétaire démuni. Il est d'abord impécunieux. Les actuelles et durables contraintes budgétaires le privent des ressources requises pour maintenir et mettre à niveau ses immeubles. Par conséquent, non seulement il n'est pas un propriétaire exemplaire, puisqu'il n'est pas en mesure d'assurer l'accessibilité ou la mise aux normes environnementales, mais il n'est même pas capable de gérer son patrimoine en « bon père de famille », n'ayant pas les moyens de procéder à l'entretien lourd selon les bonnes pratiques professionnelles.
L'État a également perdu ses capacités de maîtrise d'oeuvre. Il faut rappeler que dans les années 1980-1990, il avait pu conduire en direct la construction du ministère des finances à Bercy. Il en serait incapable aujourd'hui, faute d'avoir conservé des compétences techniques suffisantes en son sein. Cette carence l'entraîne dans des voies sous-optimales, comme cela a été constaté avec des partenariats publics-privés. La Cour des comptes a de même critiqué le recours au portage par la SOVAFIM, sur financement bancaire, pour procéder à la rénovation de l'îlot Fontenoy-Ségur destiné à accueillir les services du Premier ministre et des autorités administratives indépendantes. En termes budgétaires, ces artifices peuvent permettre d'éviter de détériorer le solde à court terme, mais engendrent des charges récurrentes et au total des coûts globaux supérieurs. Les financements bancaires sont en effet contractés avec un taux supérieur à celui auquel l'État lui-même peut emprunter, et les maîtres d'oeuvre prélèvent leur marge.
Alors que l'État ne dispose pas de moyens d'action suffisants, la politique immobilière de l'État doit traiter d'autres enjeux, et relever de nouveaux défis.
L'accent a jusqu'ici été mis sur l'immobilier de bureaux de l'État, surtout celui de ses services centraux et parisiens, exception faite des conséquences de la réorganisation de l'administration territoriale de l'État (RéATE). Corrélativement, d'autres secteurs ont été traités avec moins d'attention : pour l'État, l'immobilier dit « spécifique », qui est moins cher, plus dispersé, plus difficile à négocier, mais qui représente les emprises les plus étendues ; en dehors de l'État stricto sensu, l'immobilier des opérateurs. Cet état de choses et la multiplicité des dossiers doivent entraîner une concentration sur les questions majeures, avec un ciblage sur quelques ministères - défense, intérieur, finances - et, parmi les opérateurs, sur les universités.
Enfin, les changements à venir dans la configuration des collectivités territoriales et, par suite, des services déconcentrés de l'État vont conduire à anticiper de nouveaux mouvements ; ils peuvent fournir l'occasion de régler les problèmes liés à la mise à disposition de l'État de bâtiments appartenant aux collectivités territoriales, qui perdurent depuis les débuts de la décentralisation.
Pour conclure, l'État a admis la nécessité de se doter d'une véritable politique immobilière. Plusieurs étapes ont été franchies. Il existe désormais des outils, un cadre de réflexion. Cependant, il serait prématuré de considérer que cette politique a atteint le stade de la maturité. Il reste beaucoup à faire, le premier impératif étant de renforcer la cohérence de cette importante politique publique.