Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 mai 2015 à 9h30
Communication du président sur l'application des lois

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Comme chaque année à la même époque, les présidents des commissions permanentes procèdent à une communication sur le bilan de l'application des lois. Je voudrais préciser à nos collègues qui ont rejoint notre assemblée en octobre dernier, que le Sénat se préoccupe de longue date de l'application des lois. C'est en effet en 1971 qu'il a mis en place un dispositif de contrôle, placé sous la responsabilité de chaque commission permanente pour les textes relevant de sa compétence.

Concrètement, chaque commission assure un suivi permanent de la parution des textes réglementaires, vérifie si les décrets ou les arrêtés nécessaires à l'application des dispositions législatives sont bien intervenus et analyse la conformité de leur contenu à la volonté exprimée par le législateur.

De 2011 à 2014, ce travail de suivi a continué à être mené alors que parallèlement était créée une nouvelle instance : la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Dans les faits, cette dernière se reposait très largement sur le travail et les moyens des commissions permanentes. C'est pourquoi le bureau du Sénat a décidé en novembre dernier de ne pas la pérenniser, tout en maintenant bien entendu l'intégralité de la fonction de contrôle de l'application des lois confiée aux commissions permanentes.

L'ensemble des informations collationnées par les commissions font l'objet d'un rapport de synthèse annuel présenté en conférence des Présidents. Celui-ci fait ensuite l'objet d'un débat avec le Gouvernement qui aura lieu cette année le jeudi 11 juin Chaque commission peut par ailleurs donner la suite qu'elle juge utile aux constats qu'elle effectue sur les textes relevant de sa compétence.

Ce contrôle de l'application des lois nourrit un dialogue régulier avec le Gouvernement, qui dispose lui aussi de son propre dispositif de suivi, placé sous la responsabilité du Secrétariat général du Gouvernement. Le Gouvernement est tenu de présenter dans les six mois suivant la promulgation d'une loi un rapport faisant le point sur les mesures d'application prises et celles restant à prendre. Des échéanciers de publication des textes à paraître sont diffusés sur le site internet Légifrance. Les rapports établis par le Sénat contribuent ainsi, avec le concours des services du Premier ministre, à aiguillonner cabinets et services des ministères en pointant les défauts de parution.

Le bilan annuel que je vous présente aujourd'hui porte uniquement sur les lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2013-2014, c'est-à-dire entre le 1er octobre 2013 et le 30 septembre 2014. Il intègre les mesures d'applications publiées jusqu'au 31 mars 2015, c'est-à-dire six mois au-delà des dernières lois prises en compte. Pourquoi cette borne de six mois ? Parce que dans une circulaire du 29 février 2008, le Gouvernement de l'époque avait fixé un objectif d'édiction des « mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de la loi ». Il s'agit donc de mesurer le degré de réalisation de cet objectif.

Je précise que vous recevrez d'ici la semaine prochaine une note détaillée d'une quarantaine de pages, avec des analyses texte par texte. Celle-ci sera reprise dans le rapport d'ensemble qui sera publié au mois de juin. Je vais donc me limiter aujourd'hui aux constats principaux qui résultent du contrôle arrêté au 31 mars dernier pour les textes de l'année parlementaire 2013-2014.

Durant celle-ci, le Parlement a adopté quatorze lois examinées au fond par notre commission des affaires sociales. C'est le même nombre que lors de l'année précédente, un nombre particulièrement élevé qui n'avait pas été atteint depuis la session 2007-2008. Traditionnellement, les débuts de législature se caractérisent en effet par une production législative plus intense. Sur ces quatorze lois, six résultaient d'une initiative gouvernementale : la loi annuelle de financement de la sécurité sociale et une loi de financement rectificative votée l'été dernier ; la loi sur les retraites ; la loi sur la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale ; la loi d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la santé ; la loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relatives à l'accessibilité pour les personnes handicapées.

Huit lois examinées par notre commission résultaient d'une initiative parlementaire, dont sept propositions de loi venant de l'Assemblée nationale et une seule issue du Sénat, celle de Muguette Dini relative à l'expérimentation des maisons de naissance. Sur quatorze lois, quatre pouvaient s'appliquer directement, sans texte réglementaire. Pour les dix autres, un total de 265 mesures d'applications étaient attendues, dont 85 pour la loi sur la formation professionnelle, 80 pour la loi de financement et 65 pour la loi sur les retraites, ces trois lois représentant à elles seules plus de 85 % des mesures attendues.

Premier constat, en dépit du nombre exceptionnellement élevé des mesures d'application prévues - le double de l'année précédente - le taux de parution des décrets ou arrêtés se situe dans la fourchette haute de ceux constatés au cours des dernières années. En effet, 208 mesures avaient été prises au 31 mars 2015, soit un taux de 78 %, quasiment identique à celui constaté l'an dernier à la même période pour un nombre de dispositions à appliquer deux fois moins important. S'agissant des seuls décrets d'application, près d'une cinquantaine, soit 27 % du total de ceux qui étaient attendus, avaient été pris dans les six mois de la promulgation, c'est à dire dans le délai fixé par la circulaire gouvernementale de 2008. Au total, environ 80 % des décrets ont paru dans un délai d'un an. Là encore, c'est un niveau relativement satisfaisant par rapport à celui des années passées.

Le deuxième constat tend à nuancer cette appréciation plutôt positive. En effet, la mise en application des lois comporte de fortes disparités selon les textes. Ainsi, les textes majeurs, qui traduisent les priorités de la politique gouvernementale, sont généralement rapidement mis en oeuvre. C'est le cas des lois de financement, de la loi sur les retraites et de la loi sur la formation professionnelle. Sur ces textes, seules quelques dispositions législatives, de nature généralement technique, sont encore en attente de mesures d'application.

Je signale toutefois, pour la loi relative à la formation professionnelle, trois points importants pour lesquels les textes d'application attendus n'ont toujours pas été pris. Il s'agit des dispositions prévoyant un contrôle de la qualité des actions de formation (des décrets et arrêtés doivent définir des critères d'appréciation et un cahier des charges) ; des dispositions qui permettent la cession gratuite aux régions de certains biens immobiliers actuellement mis à la disposition de l'Afpa par l'Etat ; et du décret qui doit assurer aux régions, pour un montant évalué à plus de 200 millions d'euros, la compensation financière des compétences qui leur sont transférées.

S'agissant de la loi relative aux retraites, il existe également, vous le savez, un problème d'application pour la mise en oeuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Les décrets ont bien été pris dès octobre 2014, mais précisément, c'est l'application de ces décrets qui soulève des difficultés. Je ne développe pas puisque le Sénat en a débattu lors de l'examen de la loi de simplification de la vie des entreprises, puis du projet de loi « Macron ». Le Gouvernement attend d'ici quelques semaines les conclusions de deux missions destinées à « préparer les règles d'application pour les facteurs qui entreront en vigueur au 1er janvier 2016 » et à « apporter des précisions et améliorations pour les facteurs entrés en vigueur au 1er janvier 2015 ». A ce stade, il ne semble donc pas exclu que les décrets d'octobre 2014 soient modifiés sur certains points. Dans ce cas précis, les problèmes rencontrés tiennent moins, me semble-t-il, à des questions de délais d'application, qu'à l'absence d'enchaînement cohérent et réaliste entre l'étude d'impact préalable, l'adoption de la loi, la concertation sur la mise en oeuvre et la date d'entrée en vigueur effective.

Cette année encore, nous devons constater que les textes d'origine parlementaire figurent assez systématiquement parmi ceux dont le taux de mise en application est le moins élevé. Je mentionnerai deux cas emblématiques.

Celui tout d'abord de l'application à la fonction publique de la loi permettant le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade. La proposition de loi avait été adoptée par l'Assemblée nationale début 2012, puis définitivement par le Sénat il y a un peu plus d'un an. L'article 2 prévoit que l'application du texte aux agents publics sera précisée par un décret qui n'a toujours pas été pris. Le Gouvernement avait émis des réserves sur cette proposition de loi, sans toutefois s'y opposer. Dès lors qu'elle a pris force de loi, il me semble normal que ses dispositions soient pleinement applicables dans des délais raisonnables.

Le deuxième exemple est celui de l'expérimentation des maisons de naissance. Cette mesure avait été proposée dans un PLFSS en 2010 par le Gouvernement, mais la disposition avait été annulée par le Conseil constitutionnel au motif qu'il s'agissait d'un « cavalier social ». Le texte a été repris au Sénat sous forme de proposition de loi par Muguette Dini puis définitivement adopté par l'Assemblée nationale à l'automne 2013. Comme le prévoit la loi, la Haute Autorité de santé a publié au mois de septembre 2014 un cahier des charges préalable à l'expérimentation. L'application de la loi est désormais subordonnée à la parution du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 5. Il doit préciser les conditions de l'expérimentation, notamment l'établissement de la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner, leurs modalités de fonctionnement et la prise en charge par l'assurance maladie de la rémunération des professionnels. Si les maisons de naissance existent sous la forme de projets pilotes, la parution de ce décret est évidemment indispensable à la sécurisation de leur cadre juridique et de leur financement.

Pour compléter ce bilan, je voudrais signaler qu'au cours de la période étudiée, plus d'une vingtaine de mesures réglementaires sont intervenues en application de lois votées avant octobre 2013, dont près d'une dizaine pour des lois votées avant 2012, sous la précédente législature.

Ont ainsi été enregistrées 5 mesures pour l'application de la loi de financement pour 2013, 4 mesures pour celle de la loi portant réforme de la biologie médicale de mai 2013, 3 mesures pour celle de la loi sur la sécurisation de l'emploi de juin 2013.

On peut aussi noter que 5 années après la promulgation de la loi HPST de 2009, les dispositions de son article 8 prévoyant la possibilité de créer des fondations hospitalières associant des acteurs publics ou privés de la recherche clinique peuvent désormais entrer en application, grâce à un décret paru au mois d'août 2014.

Je voudrais également signaler qu'un arrêté de février 2015 venu en application de l'article 28 de la loi de bioéthique de juillet 2011, plus de trois ans et demi après sa promulgation, a précisé les conditions de formation et d'expérience des praticiens exerçant les activités d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Ce texte ne satisfait d'ailleurs que de manière très partielle l'amendement qui avait été adopté par le Sénat en vue d'établir des règles de bonnes pratiques en la matière. En effet l'assistance à la procréation avec tiers, qui reste couverte par le secret s'agissant de l'identité du donneur de gamètes, laisse aux praticiens une marge d'appréciation particulièrement importante s'agissant de l'adéquation entre les caractéristiques physiques des parents et celles du donneur.

Enfin, comme l'an dernier, on peut déplorer l'absence de parution de l'arrêté devant permettre d'appliquer une teneur maximale en sucres ajoutés aux produits exclusivement distribués outre-mer. Le dispositif de l'article 1er de la loi du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire outre-mer est ainsi rendu largement inopérant.

Je voudrais terminer par un mot sur la loi de décembre 2012 suspendant la fabrication et la mise sur le marché des conditionnements alimentaires contenant du bisphénol A. Cette loi est pleinement applicable depuis le 1er janvier dernier, mais des incertitudes juridiques subsistent en raison de la procédure engagée auprès de la Commission européenne contre la France sur la conformité de cette loi au droit de l'Union européenne, notamment au principe de libre circulation des marchandises. Par ailleurs, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a rendu en janvier dernier un avis sur les risques associés au bisphénol A, concluant à une absence de risque pour la santé des consommateurs aux niveaux actuels d'exposition. Ce dossier méritera donc d'être suivi attentivement, d'autant que d'autres mesures législatives relatives au bisphénol A sont en discussion dans le projet de loi relatif à la santé.

Tels sont les principaux enseignements pouvant être tirés de ce bilan annuel. Des informations plus détaillées figurent dans la note que vous recevrez et qui sera intégrée au rapport publié au mois de juin.

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