Intervention de Pierre-Franck Chevet

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 mai 2015 à 10h05
Audition de M. Pierre-Franck Chevet président de l'autorité de sûreté nucléaire asn

Pierre-Franck Chevet, président de l'autorité de sûreté nucléaire :

Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis très heureux de me trouver devant vous aujourd'hui, car même si l'ASN est une autorité indépendante, elle doit régulièrement rendre des comptes au Parlement.

Nous traversons actuellement, en matière de sûreté nucléaire, une période d'enjeux sans précédent depuis 25 ans. Plusieurs sujets, sur lesquels, comme le prévoit la loi, nous nous sommes récemment exprimés devant l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), sont à l'ordre du jour. La qualité de l'exploitation des installations nucléaires en France est plutôt bonne. En revanche, la sûreté de l'outil industriel nucléaire doit être mise à niveau. Les installations du parc industriel nucléaire français, construit entre la fin des années 1970 et la fin des années 1980, ont désormais 40 ans. Nous sommes donc amenés à nous interroger sur la prolongation de leur durée de vie, sur leur mise à niveau en matière de sûreté ou sur la création de nouvelles installations.

Nous serons amenés à nous prononcer sur la prolongation de l'activité de la centrale nucléaire de Tricastin 1 à l'occasion de la quatrième visite décennale de mise à niveau de la centrale en 2019. D'ici là, des travaux d'amélioration de sûreté auront été définis sur avis de l'ASN. Puisqu'une année environ de mise au point des améliorations devrait être nécessaire, il nous faudra nous prononcer dès 2018. Les installations du cycle du combustible et les réacteurs de recherche doivent également être mis à niveau en matière de sûreté. L'ASN devra analyser en 2015 et 2016 plusieurs dizaines de dossiers de réexamen de sûreté.

Les installations nouvelles, tels l'EPR de Flamanville, dont la mise en service est annoncée par EDF en 2017, et le projet Cigéo, donneront également lieu, au cours des deux années à venir, à de lourdes analyses et à d'importants échanges sur les enjeux de sûreté.

Il nous faut garder en tête que ces enjeux sans précédent pour les installations s'accompagnent d'enjeux similaires pour les équipes. Les personnels ont aussi 40 ans de vie active et vont bientôt s'en aller. La question du renouvellement et du maintien des compétences est cruciale.

Les exploitants, c'est-à-dire Areva, EDF, le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), etc., premiers responsables de la sûreté nucléaire, doivent avoir les capacités technique, humaine et financière de faire face à ces enjeux. L'ASN, qui compte 500 employés et qui a recours à 500 personnes en appui technique, nécessiterait une augmentation de ses moyens humains de 20 %.

Pour répondre à vos interrogations, Monsieur le président, nous sommes satisfaits que l'article 54 du projet de loi « Macron » aborde clairement la question de l'export. Par principe, en cas de projet à l'export, nous travaillons toujours avec l'autorité de sûreté du pays pour lui permettre d'accroître ses compétences. En effet, il n'est pas envisageable que l'autorité de sûreté nucléaire française se substitue dans la durée à l'autorité locale. Bien entendu, lorsque le pays concerné est amené à acheter de la technologie française que nous maîtrisons, nous leur apportons un support technique.

En ce qui concerne le projet Cigéo, un des enjeux majeurs de la loi de programme de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs était celui de la réversibilité, concept complexe. Dans quelles conditions techniques est-on en mesure de retirer les déchets dans les cent ans de la période d'exploitation ? Un équilibre doit être trouvé entre la réversibilité et les enjeux de sûreté des cent ans d'exploitation. Par ailleurs, que devons-nous faire aujourd'hui pour être prêts le jour où une nouvelle politique énergétique ne prévoirait plus de retraiter les déchets mais de stocker les combustibles en l'état ? Nous avons d'ores et déjà demandé à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) de nous démontrer qu'on saurait procéder différemment en cas de changement de politique. Comme le prévoyait la loi de 2006 et ainsi que l'appelaient les multiples débats publics qui ont été menés sur Cigéo, il est important qu'une loi se prononce à terme sur ces questions de réversibilité. L'ASN a travaillé cette année pour proposer des solutions techniques sur ce sujet.

Quelle que soit la date d'arrêt des réacteurs, la question de la gestion des démantèlements en grand nombre va se poser puisque 6 à 7 réacteurs ont parfois été mis en service simultanément. Rien ne semble infaisable en la matière mais nous insistons sur le fait qu'un démantèlement, même immédiat, peut prendre plusieurs dizaines d'années. La notion d'immédiateté porte en effet sur la préparation du plan qui, conformément à la loi, se doit d'être très rapide.

Les déchets de très faible radioactivité, mais présents en grandes quantités sur notre territoire, tels le béton et les ferrailles, semblent pouvoir être traités de façon centralisée. Mais le transport de ces matières vers des centres de stockage nationaux est-il optimum en matière de sûreté ? Des moyens de stockage plus régionaux, adaptés à ces objets peu dangereux, pourraient être envisagés. La sûreté n'est cependant pas l'unique enjeu : un débat relatif à l'aménagement du territoire, que la Commission nationale du débat public pourrait prochainement lancer, doit être engagé.

Nous allons vous distribuer un dossier comportant des indications techniques, en particulier sur l'accident de Fukushima et sur la problématique de la cuve de l'EPR de Flamanville. Je rappelle que cette centrale est une innovation et que le premier modèle d'une série entraine toujours des difficultés. Pour la centrale de Flamanville, les premiers problèmes rencontrés ont concerné la qualité du béton et la sécurité des contrôles de commandes. Immédiatement, ces difficultés ont été rendues publiques et nous avons agi de la même façon transparente pour l'anomalie détectée pour la cuve de l'EPR et que je qualifierai de très sérieuse. Je rappelle en effet que la cuve est un organe crucial en termes de sécurité. Il est exclu qu'elle puisse rompre et c'est pourquoi la réglementation impose l'utilisation d'un acier de la meilleure qualité pour sa composition, capable de résister à un choc mécanique de 60 joules. Or les essais réalisés à notre demande ont révélé des valeurs qui, au plus bas, s'établissent à 38 joules et il y a donc là très clairement une anomalie qu'il convient de traiter. Nous venons de recevoir les propositions d'AREVA à ce sujet et allons faire des essais dans les prochaines semaines pour les analyser. L'étude de l'ensemble du dossier comportant les conclusions d'AREVA, les nôtres et celles d'experts étrangers - auxquels je n'exclue pas de faire appel, prendra plusieurs mois avant que nous puissions prendre une position ferme, d'ici la fin de l'année 2015 ou début 2016.

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