S'agissant de l'insuffisance de nos moyens, nous alertons les pouvoirs publics sur ce point depuis quatre ans. Nous avons d'ores et déjà obtenu une avancée très notable, compte tenu de la rigueur budgétaire, avec trente emplois en plus dans les trois ans à venir sur les 200 dont nous avons besoin. Je ne suis pas certain que le budget de l'État puisse à lui seul nous fournir les marges de manoeuvre dont nous avons besoin. Par conséquent, nous suggérons une évolution du financement qui serait plus largement assis sur une taxe affectée. La taxe existe déjà mais la difficulté réside dans la réaffectation des 600 millions de collecte qui sont en grande partie alloués au budget général, tandis que les systèmes de contrôle ont un coût qui avoisine 300 millions par an. Nos besoins supplémentaires étant de l'ordre de 50 millions d'euros, une augmentation de 10 % de cette taxe serait nécessaire si l'on souhaite maintenir l'alimentation du budget général à son niveau actuel. Je rappelle, à titre de comparaison, que les enjeux industriels concernés se chiffrent en dizaines de milliards d'euros. En loi de finances pour 2015, le Parlement a demandé un rapport au Gouvernement sur ce sujet et nous sommes prêts à accueillir les corps d'inspection pour qu'ils puissent nous auditer et donner leur point de vue sur nos demandes de moyens supplémentaires.
Pour répondre à votre seconde interrogation, les États-Unis n'ont pas la même philosophie que la nôtre : ils ont pour priorité le maintien de la sûreté nucléaire tandis que nous nous efforçons de la faire progresser. Ce principe général d'amélioration continue, qui prévaut, en France, nous conduit à moderniser les centrales nucléaires existantes plutôt que de se limiter à vérifier leur bon fonctionnement. La conception française repose également sur l'idée que l'alternative à la prolongation des centrales est la construction de nouvelles entités, avec des normes de sécurité plus élevées. Concrètement, cela amène à s'efforcer d'étendre les caractéristiques de sécurité de l'EPR aux centrales existantes : nous avons engagé des discussions sur ce sujet techniquement complexes avec EDF.
À l'exportation, nous facturons des frais de dossier mais l'essentiel, pour nous, est une question de personnes et de moyens. Si nous obtenons les emplois supplémentaires que nous demandons, il nous sera sans doute possible de fournir un appui technique à l'exportation sur des installations que nous connaissons bien en France.
Je rappelle que l'EPR constitue un progrès et incorpore une réflexion, en termes de sûreté, qui a commencé dans les années 1990. Sa conception générale et son design représentent un important saut qualitatif par rapport à ce qui existait antérieurement. Les difficultés sont survenues dans la réalisation du projet, pour les premières centrales construites en Finlande ou à Flamanville.
Une nouvelle autorité de sûreté nucléaire japonaise a été mise en place et elle est montée en puissance. Nous entretenons de multiples relations avec cet organisme qui me parait aujourd'hui d'un très bon niveau d'indépendance et d'expertise.
De façon générale, je rappelle que l'intervention de sous-traitants qualifiés est, pour nous, une nécessité. Bien entendu, l'intervention débridée et non contrôlée de sous-traitants pourrait constituer un danger pour la sécurité. En ce qui concerne EDF, je souligne que l'inspection du travail intervient et cela nous a, par exemple, amené à pointer des dysfonctionnements sur le chantier de Flamanville. La réglementation actuelle met également à la charge d'EDF une obligation de contrôle de toute la chaine de sous-traitants. Le projet de loi sur la transition énergétique vise également à nous donner la mission d'inspecter non seulement les sous-traitants intervenant sur les sites mais également dans leurs activités préparatoires de fabrication dans leurs usines. Nous devons exercer une vigilance toute particulière dans ce domaine.
S'agissant des déchets nucléaires, un inventaire détaillé et pluraliste est rendu public et actualisé depuis plus de dix ans. Toute la question est de déterminer ce que nous devons faire à l'avenir. Tel est l'objet des travaux conduits dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs : tous les trois ans, cela aboutit à la publication d'une vision prospective de la gestion des déchets et matières nucléaires et ce document est transmis au Parlement.
En ce qui concerne les questions de sécurité, je précise que nous ne sommes pas en charge de la protection contre les actes de malveillance. Aucune autorité de sûreté dans le monde n'est chargée d'évaluer la menace ni de recourir à la force publique car ce n'est pas notre métier. En revanche, dans 90 % des pays, l'autorité de surveillance intervient, au plan technique, dans la détermination des mesures physiques et les systèmes à mettre en place pour retarder les attaques et protéger les installations. Aujourd'hui, en France, ce sujet relève d'un service technique du ministère en charge de l'environnement et telle est la singularité de notre système français. À mon sens, une réforme de nature à nous rapprocher du droit commun international est inéluctable mais ce n'est pas une priorité. En revanche, la protection contre l'usage malveillant des sources radioactives, dont les rayonnements très puissants sont utilisés sur les chantiers pour radiographier les tuyaux, n'était jusqu'à présent traitée par personne, ni en termes de capacité à édicter des règles ni à les faire respecter, alors même qu'on les compte par milliers. C'était pour nous un sujet prioritaire et nous nous réjouissons donc que le projet de loi relatif à la transition énergétique confie à l'ASN le contrôle de ces sources ainsi que la fixation d'une partie des règles applicables en la matière. Elle n'avait à les connaître jusqu'ici que sous l'angle de la protection des travailleurs.
Les risques climatiques doivent également être pris en compte. Sur la durée de vie des installations que nous suivons - soixante ans pour l'EPR par exemple -, la donne climatique peut en effet changer au cours du cycle d'exploitation.
En matière de coopération européenne, un travail très important a été accompli pour disposer d'une approche commune de la sûreté nucléaire et nous disposons désormais d'une doctrine pratiquement complète au travers, en particulier, de la directive sur les déchets, qui s'inspire largement des règles françaises, et de la très récente directive sur la sûreté nucléaire qui intègre les enseignements de l'accident de Fukushima et comporte des objectifs ambitieux. Nous avons cependant échoué à imposer la création d'autorités indépendantes partout en Europe - la moitié de nos partenaires en disposent aujourd'hui. En revanche, nous sommes parvenus, en novembre dernier, à établir une position commune en matière de gestion de crise. Compte tenu de la densité du territoire européen et du nombre important de centrales, il est en effet probable qu'un accident nucléaire du type de celui de Fukushima - dont on estime qu'il a eu des répercussions dans un rayon d'une centaine de kilomètres autour de la centrale - concernerait simultanément plusieurs pays européens. À l'époque de l'accident de Tchernobyl, les autorités françaises et allemandes avaient par exemple mesuré les mêmes retombées mais n'avaient pas les mêmes seuils de déclenchement de leurs dispositifs de sûreté et nous en sommes encore là, ce qu'il nous faut impérativement améliorer. Ce travail n'est donc pas fini, d'autant qu'il faut désormais que les différents ministères de l'intérieur s'en emparent pour le décliner dans des mesures concrètes.
Les résultats sont moins probants au niveau international puisque, malgré les efforts de l'Union européenne et de la France, la grande conférence diplomatique réunie en début d'année n'a pas permis d'aboutir à la signature d'une convention internationale en matière de sûreté nucléaire.
Concernant la centrale de Brennilis, après qu'une action en justice a conduit à annuler le décret de démantèlement de 2006, un nouveau décret partiel a été pris en 2011 et le travail technique continue, y compris pour définir à partir de quel niveau de radiation résiduelle l'état final est considéré comme « correct ». Ces travaux sont certes longs mais seront très utiles dans le cadre des futurs démantèlements. Quant à la filière du démantèlement, c'est effectivement une filière d'avenir dont le savoir-faire devrait lui permettre de s'exporter.
S'agissant de la communication sur l'anomalie constatée sur la cuve de l'EPR de Flamanville, le législateur a confié à l'ASN la mission de faire preuve de transparence et c'est pourquoi nous avons dit les choses. Dès lors que cette anomalie nécessitera plusieurs mois d'expertise, nous ne pouvions pas la qualifier autrement que d'anomalie « sérieuse », qui doit donc être traitée avec sérieux. De même, lorsque j'évoque un niveau de sûreté nucléaire « globalement assez satisfaisant » dans notre pays, il s'agit de signifier que la qualité d'exploitation des installations est, à quelques exceptions près, plutôt bonne mais que la mise à niveau de sûreté reste globalement à faire.
Nous auditionnons ce mois-ci les responsables d'Areva afin de nous assurer que l'entreprise, malgré ses difficultés actuelles, sera en mesure de faire face à ces engagements en matière de sûreté, notamment sur le traitement correct des déchets radioactifs anciens stockés sur le site de La Hague, qui représente un chantier de plusieurs milliards d'euros et qui s'étalera sur plusieurs dizaines d'années.
Dans la mesure où les cuves de l'EPR de Flamanville et des deux EPR chinois - mais pas celle du réacteur finlandais - ont été construites selon le même procédé, nous avons informé nos homologues chinois du problème et leur position n'est pas différente de la nôtre : il convient de traiter cette anomalie et je n'ai pas compris qu'ils remettaient pour autant en cause le choix de l'EPR.
Réduire la part du nucléaire à 50 % en si peu de temps est-il possible ? Il s'agit avant tout d'une question de politique énergétique sur laquelle nous n'avons pas à nous prononcer. Dans le cadre du débat préalable à l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique, nous avions exprimé deux positions qui n'ont pas varié depuis : en premier lieu, au vu de l'âge moyen de notre parc nucléaire, il était urgent de décider de ce qu'il conviendrait de faire au-delà des quarante ans d'exploitation, qu'il s'agisse de s'orienter vers la prolongation de la durée de vie du parc, de développer d'autres capacités de substitution - nucléaire ou énergies renouvelables - ou de promouvoir des économies d'énergie massives, notamment dans le bâtiment. Quelle que soit l'option choisie, nous avions insisté sur le caractère tendu du calendrier.
En second lieu, nous avions indiqué qu'il était essentiel que le système électrique dispose d'une marge de sécurité. En standardisant ses réacteurs, la France a fait un choix qui s'est révélé bon en termes industriels mais aussi, jusqu'à présent au moins, en termes de sûreté. En effet, dès lors qu'une anomalie est détectée, sa correction peut être très rapidement déployée, avec un effet d'échelle important. Mais encore faut-il la détecter très tôt car cette standardisation a un revers lorsque le problème est identifié plus tardivement, sa correction pouvant alors obliger à suspendre le fonctionnement de toutes les installations similaires. Il ne s'agit pas là d'un cas théorique puisque nous avons rencontré, il y a une vingtaine d'années, un problème de corrosion du couvercle qui aurait pu nécessiter la mise à l'arrêt d'une dizaine de réacteurs. Aussi le système électrique doit-il être configuré pour faire face à ce type de situation.