Intervention de Myriam Benraad

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 mai 2015 à 9h30
Audition de Mme Myriam Benraad chercheuse affiliée au ceri et associée à l'institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman iremam : sunnites et chiites au prisme de daesh

Myriam Benraad :

Soyons francs, il ne reste aujourd'hui pas grand-chose de la démocratie en Irak ; il en restait déjà assez peu en 2010, au lendemain des élections. Des espoirs s'étaient pourtant levés, alors ; les Irakiens, pour la première fois depuis 2003, avaient voté pour des projets politiques, et non en fonction de leur appartenance communautaire. Mais Nouri al-Maliki a dépossédé de sa victoire son concurrent Iyad Allaoui, un chiite laïc qui était très populaire, et par la même occasion les électeurs sunnites de celle-ci alors que ces derniers aspiraient à une réconciliation nationale, à des réformes et à la restauration d'un État de droit. Al-Maliki s'est d'ailleurs présenté comme le restaurateur de cet État de droit, dont la coalition qu'il conduisait avait emprunté le nom. Aujourd'hui, non sans paradoxe eu égard à son bilan et à une manière de gouverner qui avait ironiquement fini par ressembler à celle de Saddam Hussein, il conserve une certaine audience en Irak. Il n'a pas disparu de la vie politique, il est vice-président et dispose d'une influence importante grâce à certains cercles de pouvoir qu'il a su verrouiller. Il tente de se reconstruire une image positive face à l'échec de son successeur Haïdar al-Abadi. Sa carrière est loin d'être terminée : l'Irak aspire à un homme fort ; le pays est sans doute prêt à renouer avec la dictature, par lassitude, afin de retrouver l'ordre public ; alors que le gouvernement est en difficulté, Al-Maliki pourrait tirer profit de la situation.

Il n'y a plus guère de modérés sur la scène politique irakienne. On pouvait en effet qualifier comme « modérés », pour l'essentiel, les Frères musulmans dans le champ islamiste sunnite ; or ils ont été laminés par Al-Maliki, qui a traqué un grand nombre de sunnites. Ne demeurent, aujourd'hui, que quelques tribus et les officiers. Je crois que ceux-ci sont appelés à jouer un rôle clé, à la condition que le gouvernement irakien le leur permette en proposant les amnisties nécessaires - elles me paraissent incontournables si l'on vise une sortie de crise, malgré les nombreuses réticences qui s'expriment, notamment dans le camp chiite.

Abou Bakr al-Baghdadi appartient quant à lui à la génération « embargo ». Il a occupé un certain nombre de petits emplois en Irak et a fini prédicateur salafiste dans une mosquée de Bagdad ; c'est à cette époque qu'il s'est radicalisé. Après 2003, il s'est rapproché du Jordanien Abou Moussab Al-Zarqaoui, qui avait pris la tête de la branche irakienne d'Al Qaïda jusqu'à sa mort dans un raid américain en 2006. Puis il a succédé à Abou Omar al-Baghdadi, premier émir de l'État islamique d'Irak, dont il était un des lieutenants. On constate à travers cet exemple que les successions sont préparées à l'avance au sein de Daesh.

Le premier cercle du pouvoir de l'organisation djihadiste est constitué d'une élite irakienne, issue du parti Baas et salafiste. Les Baassistes, en effet, ont joué un rôle majeur dès le début de l'insurrection irakienne, dans la mesure où ils disposaient de la connaissance des lieux de dépôts d'armes, de la compétence militaire requise, et d'un ensemble de réseaux et de liens personnels qui leur ont permis de former très rapidement des groupes, dans une parfaite clandestinité dont ils étaient familiers. On ne peut opposer, comme on le fait souvent dans la presse, Baassistes et islamistes. Dès les années 1990, une partie de l'appareil d'État irakien était radicalisée : Saddam Hussein avait utilisé les islamistes comme un levier de légitimation interne après sa débâche contre l'Iran et au Koweït. Le parti Baas n'a jamais été laïc ; sa base était conservatrice. Au reste, les milieux d'État et religieux étaient très largement imbriqués, souvent au sein des mêmes familles.

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