Intervention de Myriam Benraad

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 mai 2015 à 9h30
Audition de Mme Myriam Benraad chercheuse affiliée au ceri et associée à l'institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman iremam : sunnites et chiites au prisme de daesh

Myriam Benraad :

Il me semble que les déclarations kurdes en faveur d'une indépendance visent, en réalité, à obtenir une plus ample marge de négociation, afin de consolider leur autonomie. Les Kurdes sont bien conscients qu'ils ont besoin d'interlocuteurs arabes pour combattre Daesh. En Irak, un accord sur la contribution kurde au budget fédéral, même seulement temporaire, a été trouvé, favorisant la coopération sur le plan militaire. Les Kurdes se trouvent en position de force depuis la débandade de l'armée irakienne, et dans la mesure où le Congrès américain propose de les armer, ce qui leur permettrait de ne pas avoir à transiger avec Bagdad. Cette position de force s'accompagne d'un certain réalisme quant aux soutiens dont ils ont besoin. La Turquie est, notamment, le premier partenaire économique des Kurdes et Erbil n'a aucun intérêt objectif à se mettre à dos Ankara.

L'autonomie kurde est devenue un modèle pour tous les Irakiens, y compris les sunnites. Un certain nombre de tribus accepteraient de prendre les armes contre Daesh, avec l'aide des États-Unis, à condition que leur autonomie soit reconnue. La Constitution irakienne de 2005 prévoit la possibilité d'une telle autonomie régionale, par référendum. Les sunnites en ont déjà fait la demande en 2011, mais Nouri al-Maliki s'y était opposé.

Des rivalités existent par ailleurs entre acteurs informels et conseils de province. Les tribus ne prendront pas les armes pour servir les intérêts d'autorités politiques, celle des gouverneurs en particulier, qui ont déserté et n'ont plus aucune légitimité sur le terrain.

Le gouvernement irakien a systématiquement accusé les Frères musulmans d'être des terroristes. Or ces derniers, de retour en Irak en 2003, ont publié un projet politique jouant le jeu de la démocratie et des élections. La suppression de cette option, même islamiste, est à l'origine aussi de la montée en puissance des salafistes dans le paysage politique et armé.

Quelle que soit la légitimité de l'autorité religieuse d'Al-Azhar, elle ne me paraît pas en mesure de modifier l'attitude des populations sunnites irakiennes. Le seul moyen de convaincre ces populations, actuellement sous le joug de l'État islamique, serait d'améliorer leurs conditions de vie de manière tangible et non plus par d'éternelles promesses non tenues.

Concernant la politique étrangère française à l'égard du monde arabe, elle est faite tantôt de grandes déclarations de soutien à la démocratie, tantôt d'un silence assourdissant, au sujet de l'Égypte par exemple, où le retour actuel au tout-autoritaire ne fera qu'alimenter la radicalisation salafiste. Dans la région, le modèle démocratique occidental est délégitimé, sauf peut-être en Tunisie, encore que les Tunisiens soient aussi nombreux dans les rangs de l'État islamique.

L'approche de la France doit être plus réaliste, quitte à paraître minimaliste, et se fonder sur un soutien concret aux institutions et au rétablissement de la sécurité et des services au plan local, sans pour autant faire le jeu d'un retour à la dictature qui n'est pas une solution. À l'exception de notre participation à la coalition militaire contre Daesh, nous ne menons pas une action susceptible de reconstruire du politique. Nous avons peu de marge de manoeuvre, d'autant que les populations locales, lasses, rejettent les ingérences de l'Occident, jugées néo-coloniales et néfastes. Les autorités en place sont illégitimes et nos interlocuteurs aujourd'hui ne sont donc pas les bons.

- Présidence de M. Jacques Gautier, vice-président -

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