Intervention de Jean Maïa

Mission commune d'information sur la commande publique — Réunion du 21 mai 2015 à 11h05
Audition de M. Jean Maïa directeur des affaires juridiques des ministères économiques et financiers

Jean Maïa, directeur des affaires juridiques des ministères économiques et financiers :

La directive « marchés » contient des dispositions qui rendent possible le sourçage. La condition est qu'aucune forme de favoritisme ne résulte de ces échanges avec le monde de l'entreprise. C'est toute la subtilité de l'exercice. Mais il n'est pas interdit de rencontrer les acteurs. C'est d'ailleurs ce que fait l'État dans les conférences de l'achat public innovant, où les ministères présentent leurs prévisions d'achat innovant pour la période à venir. Les entreprises qui le souhaitent viennent à ces conférences, qui sont l'occasion d'examiner librement ce que peut proposer le marché en matière de solutions innovantes. Cela ne détermine en rien qui sera attributaire d'un marché mais permet à l'État de connaître, sur un marché donné, l'état de l'offre et d'affiner la définition de ses besoins.

La limite posée est celle du favoritisme, délit puni par notre droit depuis le début des années 1990. Je n'ignore pas qu'il s'est élevé un débat sur l'effet d'inhibition que ce délit pouvait provoquer sur les acheteurs publics. Je vous rappelle également que, dans son rapport de janvier 2015 au Président de la République sur l'exemplarité des responsables publics, M. Nadal, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, a proposé une réforme du délit de favoritisme. Il plaide pour une clarification du champ d'application de ce délit, dont il n'est pas clair, à ce jour, s'il doit s'appliquer aux seuls marchés ou également aux contrats de concession. M. Nadal juge qu'il doit être rappelé que ce délit vaut pour l'ensemble de la commande publique. Il considère cependant que la jurisprudence de la Cour de cassation conduit à une interprétation trop stricte de ce délit car elle est de nature à supprimer l'élément d'intentionnalité ; avec cette conséquence que la moindre méconnaissance de la moindre des dispositions du code des marchés publics peut exposer l'acheteur à une procédure pénale. M. Nadal recommande de revenir sur cette disposition, afin que le contrôle du juge pénal se concentre exclusivement sur le phénomène du « favoritisme intentionnel ». J'ajoute que le délit de favoritisme a été inscrit dans le code pénal à une époque où le contrôle juridictionnel sur les acheteurs était sans commune mesure avec ce qu'il est aujourd'hui. Depuis dix ans le juge administratif a beaucoup développé son intervention. L'acheteur public est exposé à une censure de sa procédure, sous l'effet de l'intervention du juge administratif des référés, à toutes les étapes de la procédure contractuelle, et, de surcroît, à l'intervention du juge pénal. Toutes ces considérations sortent du champ de l'habilitation du Gouvernement concernant la transposition des directives « marchés », et ne sauraient trouver réponse dans l'ordonnance d'application. Elles méritent toutefois d'être prises en compte si l'on veut parvenir à une meilleure utilisation de la commande publique, qui passe par le sourçage, la professionnalisation des acteurs et le pilotage par objectifs.

Une troisième série de questions portait sur le cadre juridique de la commande publique lui-même. Quelle part, pour les PME, dans les marchés globaux qui appréhendent un ensemble de prestations en un seul tenant ? Les contrats de partenariat, créés en 2004, font partie de cette catégorie de contrats. Sachant qu'ils représentent 5 % de l'investissement public, on ne peut pas dire qu'ils se soient démultipliés. Et ainsi que l'a souligné M. Doligé, quand on y regarde de près, on constate que les PME ont une part importante dans ces marchés. Il est possible, en droit, de faire en sorte que cette part soit encore renforcée, et c'est le souhait du Gouvernement. Le projet d'ordonnance prévoit que le titulaire du contrat devra faire appel, pour une part du marché dont le seuil sera fixé par décret, à des PME. Si les PME ne peuvent guère, en effet, avoir directement accès à ces contrats, il reste possible de leur en ménager une part. Et cela vaut aussi pour les contrats de concession, d'autant plus importants pour les PME qu'ils s'étalent dans le temps et qu'ils leur offrent ainsi une visibilité dans la durée.

Quid de la place des architectes dans la commande publique ? C'est un point qui soulève débat, car la directive marchés publics ne prévoit pas, à la différence du droit interne, d'obligation de concours. Sera-t-il possible de la maintenir ? La question reste juridiquement posée. Une réflexion interministérielle est en cours. La logique de la directive ne semble toutefois pas d'imposer telle ou telle procédure de marché. Si l'on s'en tient donc à l'esprit de la directive, on peut considérer que le concours est une technique de marché parmi d'autres et qu'il revient aux acheteurs de la retenir ou non. Se pose, au-delà, une question d'opportunité. Il y a donc là un vrai choix politique à opérer concernant les marchés de maîtrise d'oeuvre.

Les centrales d'achat sont un instrument utile de mutualisation, tant pour les collectivités que pour l'État. La directive de 2014 les conforte et permet même d'imaginer des centrales d'achat transfrontalières. Quant à nos dispositifs nationaux relatifs à la sous-traitance, ceux-ci sont très avancés et la directive ne les remet pas en cause. Nous nous proposons d'ailleurs de les conforter dans les textes en préparation.

Une autre question importante a trait aux offres anormalement basses, que l'on peut qualifier de concurrence déloyale, et qui s'observent, hélas, dans de nombreux secteurs. Le législateur est déjà intervenu en 2014, avec la loi sur le détachement des travailleurs, qui commence à produire des effets. Les nouvelles directives, qui reprennent la notion d'offre anormalement basse, permettent de conforter cette démarche. L'acheteur a obligation de détecter de telles offres et d'écarter celles qui, après contrôle, s'avèreraient anormales. Il me semble que le droit est très clair en la matière, mais qu'il reste encore à améliorer les pratiques...

Vous me demandez pour finir, M. le Président, si nous sommes satisfaits de nos travaux. On ne l'est jamais totalement... Les nouvelles directives répondent-elles entièrement aux souhaits exprimés par les autorités françaises ? C'est ainsi que je veux entendre votre question. Et j'y répondrai en observant que ces directives marquent une heureuse maturation de la Commission européenne sur la commande publique. Sans m'engager dans une vaste fresque historique, je relève que lorsque, dans les années 1980, les autorités européennes ont pris part à ces questions, elles étaient presque exclusivement régies par l'objectif de construction du marché intérieur. Moyennant quoi certaines souplesses nationales ont pu être remises en cause. Il en va différemment des directives de 2014, la Commission ayant travaillé dans le double souci de simplifier les procédures et de mettre la commande publique au service de l'économie européenne. Il est clair qu'elle s'est rendu compte que l'Europe, par rapport à d'autres zones géographiques comme les États-Unis ou le Japon, s'était mise en situation de faiblesse en ouvrant très largement ses marchés et en n'utilisant pas ces outils au service de son économie. L'allotissement, l'utilisation des clauses sociales et environnementales, la notion de cycle de vie du produit, consacrés dans les nouvelles directives, nous permettront de davantage mettre la commande publique au service de notre économie.

J'ajoute que la procédure de référence pour la passation de marchés sera, désormais, la négociation. C'est le signe que la Commission fait confiance aux acheteurs, qui auront ainsi beaucoup plus de marge de manoeuvre pour faire des achats utiles. Ceci n'est d'ailleurs pas sans inquiéter les entreprises, qui craignent une pression sur les prix. Au total, pour les autorités françaises, qui se sont beaucoup investies dans leur négociation, le fruit de leur travail est réel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion