Le Sénat s'intéresse depuis longtemps à la mutation numérique, notamment au travers de sa commission des affaires européennes, comme l'a rappelé M. Jean Bizet, lorsqu'elle était présidée par M. Simon Sutour, ici présent, que je remercie.
La Commission européenne du président Juncker a fait de la construction d'un marché européen unique du numérique l'une de ses priorités, portée par le vice-président Ansip et le commissaire Oettinger. Cette proposition est concomitante d'une réforme du droit d'auteur, dont le caractère d'urgence est sujet à caution, tout comme sa nécessité réelle au regard de l'objectif de marché unique du numérique. De fait, en France, comme en Italie ou en Allemagne, artistes, producteurs et distributeurs ont fait état de leurs craintes que l'écosystème fragile du financement de la création européenne ne soit mis à mal au profit, in fine, des grands acteurs américains de l'Internet peu soucieux de notre diversité culturelle.
Convaincue que l'Europe ne pouvait faire fi d'un droit plusieurs fois centenaire, auquel nous devons la richesse de nos arts, notre commission de la culture a engagé aux mois de mars et avril un cycle d'auditions sur ce thème, afin de prendre la mesure du risque annoncé et de rencontrer les acteurs concernés, dont l'inquiétude était alors à son paroxysme en raison de la publication du pré-rapport de la députée européenne Julia Reda en faveur de l'extension du champ des exceptions et de la suppression de la territorialité des droits.
Nous avons reçu M. Pierre Sirinelli, professeur à l'Université Paris I-Panthéon Sorbonne et membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), mais également les représentants des sociétés françaises de gestion collective des droits. Ces interlocuteurs nous ont unanimement fait part de leurs inquiétudes quant à une modification des équilibres actuels, qui passerait outre une négociation avec les représentants des ayants droit et une réflexion sur le rôle des intermédiaires techniques. Ils ont tous appelé de leurs voeux une révision concomitante, voire préalable, de la directive relative au commerce électronique.
Enfin, nous avons pu nous entretenir avec Mme Julia Reda des conclusions de son rapport d'initiative. La rencontre fut cordiale, malgré les divergences de fond qui furent à cette occasion confirmées.
La mobilisation sans précédent des acteurs de la culture, des gouvernements et des parlementaires nationaux et européens est parvenue à modérer les velléités de la Commission à l'encontre de la propriété littéraire et artistique, telle que nous la concevons. Le contenu du marché européen unique du numérique présenté par le président Juncker le 6 mai, comme la tribune du commissaire Oettinger parue dans Le Monde du 14 mai dernier paraissent constituer, à cet égard, des éléments rassurants et constructifs. Il n'en demeure pas moins qu'il convient de rester vigilants, attentifs à ce que les prochaines étapes, notamment les discussions à venir sur l'interopérabilité des contenus et la territorialité des droits, n'aboutissent pas à des accords trop déséquilibrés pour le financement de nos industries culturelles. Nous avons, dans ce but, maintes fois appelé les acteurs à se fédérer au niveau européen pour pouvoir peser auprès de la Commission européenne.
M. Yvon Thiec est le délégué général d'Eurocinéma, qui est l'association européenne des producteurs de cinéma et de télévision.