En Europe, le financement des livres dépend très peu des subsides publics, sauf pour certaines traductions, grâce, en France, à l'action du Centre national du livre et du ministère de la culture et de la communication. Elle se finance donc presque exclusivement par les ventes d'ouvrages, dont 4 % à destination des collectivités et 96 % aux particuliers. Le chiffre d'affaires de ce secteur en Europe, qui emploie 135 000 personnes, s'élève à 24,3 milliards d'euros.
Nous dépendons peu de la territorialité des droits car notre exploitation repose sur la langue. Lorsque nous signons un contrat avec un auteur, nous disposons, le plus souvent, de droits mondiaux. Si nous trouvons des lecteurs dans un pays de langue différente, nous passons alors un contrat avec un éditeur de ce pays, qui se charge de la traduction et de la distribution de l'ouvrage.
Si nous ne sommes plus à même d'investir dans des ouvrages de qualité, la diversité culturelle s'en trouvera mise à mal. Certes, les enseignants doivent continuer à utiliser des extraits de livres scolaires pour enrichir leurs cours et les bibliothèques doivent offrir l'accès au livre numérique, mais dans un esprit de collaboration, au travers de licences négociées individuellement ou collectivement, qui rémunéreront le travail de l'auteur, de l'éditeur et du libraire.
Le livre est une pierre angulaire de notre culture européenne. Soyons donc vigilants face à des exceptions qui, pour compenser des lacunes budgétaires, mettraient en danger notre secteur.
Dans les propositions de la Commission, on perçoit nettement l'ombre des intermédiaires techniques, indispensable mais jouissant souvent d'une position dominante. Voulons-nous d'une Europe dans laquelle les oeuvres de l'esprit seraient une simple commodité ? Si les exceptions sont compensées, au mieux, par une rémunération forfaitaire, quel auteur, quel éditeur pourra encore vivre de son métier ? Je vous demande d'envoyer à la Commission un message sans ambiguïté : oui, tous les éditeurs souhaitent un grand marché numérique unifié et ils prendront leurs responsabilités. Mais celui-ci ne doit pas être réalisé aux dépens des industries culturelles. Les éditeurs feront en sorte que leurs ouvrages soient accessibles dans les bibliothèques, comme c'est déjà le cas en France grâce au projet de prêt numérique en bibliothèque expérimenté dans quatre bibliothèques-tests, à Montpellier, Aulnay-sous-Bois, Dijon et Orléans. Un tel prêt à distance doit toutefois être encadré : les pays scandinaves regrettent à présent de lui avoir donné une trop grande extension.
Sur la fiscalité du livre numérique, la France est un pays précurseur. L'Europe modifiera, je l'espère, sa position puisque la commission a annoncé sa volonté d'examiner les taux applicables. Développer un marché numérique avec des taux aussi différents qu'ils le sont actuellement relèvent de la gageure. Le législateur européen n'a pas inclus le livre dans une liste de biens et services pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA pour favoriser l'utilisation du papier, mais bien pour inciter à la lecture. Il convient donc d'aligner le taux applicable aux livres numériques sur celui applicable au livre papier. À nous de conquérir ce Far West numérique : même si nous avons déjà perdu la guerre du hardware et du software, nous pouvons gagner celle de la diversité culturelle !