Il y a toujours lieu de contester la vision de l'Union européenne - que M. Bizet et moi avons pu apprécier en nous entretenant hier avec M. Madelin, directeur général de la DG Connect - selon laquelle le grand marché du numérique rendrait le développement industriel automatique. Il ne faut pas rêver : cela passera par une action stratégique, dont l'Union européenne n'a pas les moyens budgétaires, et qui suppose donc une harmonisation des actions des États.
Nous disposons d'industries culturelles puissantes, certes, mais pas toujours harmonisées, et qui répondent à des modèles totalement différents, comme en témoigne la quasi-inexistence de droits d'auteur dans le secteur de la presse et des médias : les contenus d'information sont considérés comme des données publiques dès leur publication. Ce n'est que tardivement que la presse a été intégrée à la rémunération pour copie privée, et avec des niveaux minorés, puisque c'est ce qui prend le plus de place dans les disques durs qui obtient la plus grosse part. Défendre la culture est une chose ; défendre l'information en est une autre. Le livre correspond à un modèle particulier, fondé presque exclusivement sur le droit d'auteur, au contraire de l'industrie musicale, qui bénéficie de concerts et de produits dérivés. L'enjeu est de protéger l'industrie culturelle, mais aussi de la faire rayonner, ce qui n'est pas toujours le cas : la fiction télévisuelle française, particulièrement aidée, est ainsi incapable de s'exporter, à l'exception de l'image animée numérique.
Je comprends que des lobbies des industries culturelles - le mot n'est pas péjoratif - n'apprécient guère le rapport Reda. Mais il importe d'harmoniser la durée de protection du droit d'auteur sur des standards internationaux. Il n'est pas normal que des ayants droit continuent à hériter pendant des décennies et des décennies. Nous avons quitté la culture de la rente pour une autre économie ! Je ne suis pas contre la protection, mais nous ne pouvons pas nous battre pour le statu quo. Les auteurs - dont je suis - vivent parce qu'il y a un public, dont nous apprenons beaucoup. Ces échanges nous enrichissent. Désigné rapporteur en urgence sur le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée, j'ai auditionné, fin 2011, des personnes qui ne le sont pas habituellement, telles que les membres de la commission de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Les abus sont trop fréquents dans ce domaine. La Commission se pose des questions sur les 25 % utilisés discrétionnairement pour la promotion culturelle... Une réforme a été écartée pour ne pas choquer la France, mais il faut s'interroger sur leur utilité à l'heure où ces sociétés disposent de réserves considérables, alors que toute l'économie culturelle est en crise.