Le droit des contrats publics ne concerne pas seulement les commandes publiques et va enfler avec la transposition des deux directives sur les secteurs classique et spéciaux. C'est une matière technique, dont les règles évoluent rapidement ; ces modifications sont parfois considérées comme des détails, alors qu'elles ont un effet d'onde, qui désoriente le citoyen ou les élus. J'étais récemment à l'université autonome de Barcelone pour un séminaire sur les conventions d'occupation du domaine public, dont certaines vont basculer dans le champ de la commande publique avec la transposition des directives : nos collègues européens sont eux aussi préoccupés.
Les deux directives Marchés comportent des adaptations techniques intéressantes. Elles multiplient les objectifs assignés à l'achat public et oblige à les concilier, ce qui introduit un assouplissement dans l'interprétation et la mise en oeuvre des textes. Ces transformations auront sans doute un effet d'onde sur le droit des contrats publics. À la différence de certains de mes collègues, j'estime que la transposition des directives ne devrait pas remettre en cause notre classification des contrats publics. Nous n'avons pas besoin de faire exploser notre droit des contrats publics en faisant un copier-coller du droit européen.
Les directives apportent de nombreuses adaptations techniques sur les règles de passation ou d'exécution des marchés publics, qui seront facilement intégrées en droit interne. Parmi les innovations intéressantes, citons la procédure concurrentielle avec négociation pour la passation des marchés publics, avec une amélioration du cahier des charges en cours de sélection des candidats et des effets sur les prix, ce qui répond à vos préoccupations. Des innovations sont aussi possibles en matière de dématérialisation.
L'exécution du régime des avenants est améliorée sans grand changement mais la question des cessions de contrats, auparavant plutôt maîtrisée par notre jurisprudence, le sera à l'avenir par les textes communautaires.
La directive brasse généreusement une mixité d'objectifs et de principes de l'achat public. Alors que la législation européenne visait précédemment essentiellement l'ouverture du marché intérieur, assurée par le principe de concurrence, la directive marchés « secteurs classiques » place les objectifs environnementaux et sociétaux et la bonne utilisation des deniers publics au même niveau. Ainsi, la conciliation rogne la portée des principes de publicité et de transparence, et la liberté de gestion des autorités publiques est réaffirmée solennellement par le droit européen. Le préambule de la directive admet l'existence de traditions nationales en matière de marchés publics, de pratiques et d'expériences propres. Bref, en forçant un peu le trait, on dira que la technique des achats publics n'est plus totalement saisie par un ensemble de règles d'inspiration communautaire, et qu'il est possible d'adapter les pratiques.
Les règles européennes concilient des objectifs de niveau comparable. Les nouvelles directives allègent les seuils pour les services sociaux ou spéciaux, et permettent de réserver des marchés à des organisations chargées d'un service public, tout en les encadrant, avec une place dérogatoire pour la négociation dans le cahier des charges des marchés publics. Dans la même veine, lorsqu'il est nécessaire de procéder à une modification substantielle du contenu du marché en cours d'exécution, il fallait précédemment refaire le marché, avec appel public à concurrence. Avec la directive « secteurs classique », la modification substantielle l'est moins qu'auparavant, ce qui devrait permettre d'adapter le cahier des charges.
On avance donc. Il faudra sans doute aller plus loin. J'ai le sentiment que les rédacteurs des directives se défient moins des autorités publiques et administratives qu'auparavant. Ils admettent que le pouvoir adjudicateur peut, même après un appel public à concurrence, améliorer le document pour améliorer l'exécution du contrat, voire le prix. La conciliation des objectifs de l'achat public alimentera les travaux des praticiens et de la jurisprudence, ce qui aura une incidence sur la passation des marchés publics.
Difficile de mesurer l'efficacité de la législation européenne car seul un faible pourcentage des marchés publics nationaux est attribué à des entreprises d'autres États-membres : selon un rapport de la Commission européenne de 2011, les marchés transfrontaliers directs représentent 1,6 % des attributions de marchés dans toute l'Union, en volume financier et en nombre d'entreprises.
La transposition des directives ne devrait pas, à mon sens, remettre en cause les catégories de contrats publics. Le droit interne est devenu un droit des contrats publics spéciaux. Ceux-ci sont complexes et difficiles à distinguer les uns des autres - on est loin d'une classification à la Buffon ! Cela ne me gêne pas car les différentes catégories se recouvrent en partie ; dans le secteur privé, le droit civil et le droit commercial offrent également toute une palette de contrats et d'outils. Les techniques du privé ont été transposées dans le public avec l'adjonction de normes de droit public pour concilier intérêt général et efficacité économique.