Intervention de Éric Debarbieux

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 28 mai 2015 à 9h00
Audition de M. éric deBarbieux auteur de l'ouvrage les dix commandements contre la violence à l'école 2008

Éric Debarbieux :

Mme Blandin m'interroge sur la formation des enseignants au sein des ESPÉ. C'est une question terriblement complexe. La délégation a formulé des recommandations précises, mais il demeure un réel problème, qui tient à la gouvernance des ÉSPÉ et au lien entre éducation nationale et enseignement supérieur. On voit, au sein des ÉSPÉ, se reproduire le conflit entre ceux qui s'attachent aux disciplines et ceux qui s'attachent à la pédagogie. C'est lunaire et jurassique. De même que certains pensent que l'autorité est « naturelle », alors qu'elle se construit, il en est pour penser que le travail en équipe serait naturel, et que l'idée même qu'il faudrait travailler au bien-être des élèves pour les aider à apprendre irait à l'encontre du savoir. Il existe, dans les ÉSPÉ, un tronc commun, où entre, comme le veut la loi, la gestion des conflits, mais c'est un combat de tous les instants, en dépit des circulaires successives, pour parvenir à faire comprendre l'importance de ce type de formation.

La loi est novatrice, et répond à ce que réclament à cor et à cri les enseignants, mais je crois qu'il faut s'employer, comme j'entends le faire dans les années à venir, à organiser de la formation sur sites. Il faut aussi trouver les formateurs, et ce n'est pas simple. Il en va de même que pour le harcèlement : voilà quatre ans que nous nous démenons pour former des formateurs qui pourront se rendre dans les établissements. Il y en avait peu à l'éducation nationale, quand il en existe dans les mouvements d'éducation populaire, les associations, les mouvements d'éducation à la paix, que connaît bien Mme Blandin. Nous avons fait en sorte que ces associations organisent une formation spécifique à la gestion des conflits à l'École supérieure de l'éducation nationale. Nous faisons donc des efforts, mais cela reste un combat, qu'il faut mener de façon aussi pragmatique que possible. Encore une fois, les victimes sont des victimes, elles ne sont ni de droite ni de gauche. C'est la construction d'une pensée multiple qui se joue dans cette problématique de la gestion des conflits. C'est là, dans ce multiple, qu'est la République. Je crois beaucoup, par exemple, à des pratiques comme celles des dilemmes moraux.

Je disais que l'on a tendance à considérer les filles comme des victimes, mais que ce sont les garçons, à l'école, qui sont victimes de la violence la plus brutale. S'agissant du problème spécifique de la cyberviolence, on constate que les filles exercent davantage que les garçons l'exclusion en ligne. Une étude menée par une de mes anciennes thésardes sur les punitions a montré que 80 % sont données à des garçons. « Je kiffe quand je suis puni, je suis un mec », voilà ce que lui a dit un élève qu'elle interrogeait. Les enseignants en ont conscience, sur le terrain. Il y a des élèves qui ont accumulé tant de colles que, si l'on veut monter d'un cran, il ne reste plus que l'exclusion. Si l'on ajoute à cela qu'il faut, dans certains endroits, attendre plus d'un an pour obtenir une consultation en pédopsychiatrie, on comprend que, pour un enfant en très grande difficulté il peut se passer, entre-temps, bien des choses.

Oui, j'ai des suggestions pour réduire les inégalités entre établissements. Vous avez raison de parler de méthode. Pour remédier à cette diffraction du sens qui traverse l'école de notre République, y compris entre les représentations de ce qu'est enseigner, éduquer, il faut une méthode. Nous tentons de généraliser, en coopération avec les équipes mobiles de sécurité, des enquêtes locales de climat scolaire et de victimation qui sont restituées aux équipes enseignantes. C'est une réalité qu'elles doivent regarder en face. L'idée est de localiser de plus en plus l'action, pour développer un sentiment d'appartenance. Cela passe aussi par la formation, non seulement en ÉSPÉ, mais aussi, comme je l'ai dit, sur site. Il s'agit de montrer que la transmission des valeurs de la République, cela se fait ici et maintenant.

Lorsque je fais des enquêtes de victimation auprès des personnels, 22,5 % de ceux du second degré répondent avoir été, à un moment de leur carrière professionnelle, harcelés, dont 60 % par d'autres membres du personnel. Parmi eux, 12 % disent l'avoir été depuis le début de l'année. Ce sont des chiffres supérieurs à ceux que l'on trouve chez les élèves. Il y a un vrai problème de direction des ressources humaines à l'éducation nationale, de bienveillance à l'égard des personnels. Tous les ministres qui s'y sont succédé en ont eu conscience. Songez que dans cette grande entreprise qu'est l'éducation nationale, il n'y a pas de médecine du travail. Il faut repenser la gouvernance de la machine.

Oui, il y a des inégalités territoriales. Les inégalités sociologiques justifient un certain nombre de classements. Que l'on ait deux fois plus de risques d'être victime dans l'enseignement prioritaire appelle des mesures particulières. Mais ce n'est qu'un facteur parmi d'autres. Parmi les élèves, 12 % sont victimes à répétition dans les zones d'éducation prioritaires, contre 8 % ailleurs. Cela ne veut pas dire que ces 8 % ne doivent pas être pris en compte. Mais il ne faut pas oublier non plus que 90 % des élèves disent n'avoir jamais eu de problème. Pour lutter contre le racket à la sortie des écoles, il peut être important et nécessaire de travailler avec la police, les équipes de sécurité, mais rappelons-nous que c'est avant tout en interne que les problèmes se posent, ce qui signifie que la solution est avant tout pédagogique. Mes propositions, au reste, ne valent pas que pour l'enseignement prioritaire. Ce n'est pas parce que l'air des montagnes est bon pour les asthmatiques qu'il est mauvais pour les autres, disait Fernand Oury. Le climat scolaire a son importance partout, y compris pour les élites.

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