Intervention de Natacha Polony

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 28 mai 2015 à 9h00
Audition de Mme Natacha Polony journaliste auteure de école : le pire est de plus en plus sûr 2011

Natacha Polony :

La perte d'autorité des enseignants est une « vieille lune » qui fait régulièrement l'objet de pétitions de principe, de considérations abstraites. Il faut rétablir l'autorité des enseignants, mais l'autorité arbitraire d'hier ne peut plus, aujourd'hui, s'exercer sur des adolescents de 13, 14 ou 15 ans, pas plus que le châtiment corporel pour l'assurer, et nous ne les souhaitons pas pour notre école.

L'autorité découle naturellement de la clarté de la mission de l'enseignant. À partir du moment où un enseignant a conscience qu'il est dans une classe pour transmettre le savoir, parce qu'il sait, que l'élève, lui, ne sait pas et qu'il est fondamental qu'il apprenne, et parce que c'est sa liberté qui est en jeu, son autorité peut commencer à s'asseoir.

Il m'est arrivé d'entendre, au cours de ma formation en IUFM : « vous avez beaucoup plus à apprendre de vos élèves que vos élèves de vous ». On peut comprendre de manière abstraite qu'enseigner à des jeunes gens nous transforme, que c'est une expérience formidable et qu'il faut réfléchir à la beauté de l'enseignement, mais quand cette phrase s'adresse à de jeunes professeurs qui attendent de la part de leurs formateurs des réponses concrètes sur la manière d'enseigner, cette phrase est dramatique. Et je n'en ai cité qu'une parmi d'autres...

Je pense qu'il faut « réinstituer » le professeur dans toute sa dignité, en lui rappelant sa raison d'être. Cela suppose de recentrer sa mission de transmetteur des savoirs fondamentaux. Avec des pédagogies modernes comme le constructivisme, le professeur ne sert plus à rien.

J'ai le souvenir du président de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP), en 2000, qui expliquait que l'introduction des ordinateurs à l'école était une invention formidable permettant au professeur de se placer non plus en face de l'élève mais à ses côtés : « ils regardent dans la même direction, c'est la pédagogie de la main sur l'épaule ». C'est-à-dire que l'élève chemine seul et que le professeur, qui est présent non pas pour le guider mais pour intervenir de temps en temps, se transforme ainsi en animateur. Ce rôle d'animateur du groupe classe a été mis en avant par les IUFM, en leur temps. Rien de tel pour saper l'autorité des enseignants.

L'autorité d'un enseignant découle de la certitude de ce qu'est sa mission mais aussi de la qualité de son savoir. Ma fonction d'enseignante pendant dix ans m'a appris que le professeur devait posséder au décuple sinon au centuple les connaissances qu'il est censé transmettre. L'interdisciplinarité dont on nous parle depuis trente ans ne consiste pas à faire travailler sur deux disciplines en même temps. C'est la capacité d'un professeur à relier le savoir qu'il transmet à d'autres disciplines. Un professeur de français doit connaître l'histoire et la philosophie, un professeur de philosophie les sciences, un professeur de sciences doit s'être intéressé à la philosophie des sciences. C'est par cette qualité du savoir que l'autorité du professeur ne sera pas remise en cause.

Imposer un savoir dogmatique ne suffit pas, encore faut-il être en mesure de pouvoir expliquer. Mon expérience m'a également appris que les différences entre les notions de savoir, d'opinion, d'information, de sentiment, de vérité restaient à définir auprès de jeunes collégiens et lycéens, qui retiennent de la part du professeur l'expression d'une opinion parmi d'autres et non pas celle d'un savoir.

Dans la loi d'orientation sur l'école de 1989, l'article 10 met en valeur la liberté d'expression des élèves à l'école. Le Conseil d'État s'est appuyé sur cet article 10 pour expliquer, lors des premières affaires de voile, que le port du voile n'était pas incompatible avec la laïcité. À partir du moment où l'on considère que l'école est un lieu d'expression de la liberté de l'élève et non un lieu d'apprentissage de la liberté à travers le savoir, on fragilise tout l'édifice et par là-même le professeur qui ne pourra plus imposer son savoir car ce sera un savoir vérifié.

Comment se concentrer sur les savoirs fondamentaux ? En leur accordant de la place. Les problèmes d'échec scolaire au collège et au lycée, dont on constate l'étendue dès l'entrée en 6e, et de rejet des valeurs de la République sont liés en partie à la réduction du temps scolaire - en trente ans, un élève de 3e a perdu plus d'une heure de cours de français. Si certains savoirs fondamentaux ne sont pas acquis par les enfants dès l'école primaire, les professeurs de collège auront par la suite d'importantes difficultés à combler leurs lacunes.

Il est nécessaire de mettre en place une véritable recherche pédagogique, malheureusement plutôt sinistrée en France, l'Institut national de la recherche pédagogique ayant servi pendant des années à prôner des procédures idéologiques plutôt que de s'appuyer sur des recherches de terrain. Les méthodes de lecture syllabique, par exemple, sont reconnues actuellement par des spécialistes en neurosciences comme étant les plus efficaces chez les enfants issus de milieux défavorisés. Pourquoi ne pas reconnaître que la méthode globale, au cours préparatoire, donne de mauvaises habitudes aux enfants ? Comment enseigne-t-on la grammaire, l'orthographe, la conjugaison qui ne sont pas, comme je l'ai entendu dire par tant de pédagogues, « la science des imbéciles ».

1 commentaire :

Le 23/09/2023 à 14:31, aristide a dit :

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"À partir du moment où l'on considère que l'école est un lieu d'expression de la liberté de l'élève et non un lieu d'apprentissage de la liberté à travers le savoir, on fragilise tout l'édifice et par là-même le professeur qui ne pourra plus imposer son savoir car ce sera un savoir vérifié. "

ça chauffe les sophismes...Que n'inventerait-on pas pour justifier l'injustifiable ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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