Intervention de Francelyne Marano

Commission d'enquête coût économique et financier de la pollution de l'air — Réunion du 18 mai 2015 à 15h00
Audition de mmes francelyne marano vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement et kiran ramgolam conseillère scientifique du haut conseil de la santé publique

Francelyne Marano, vice-présidente de la commission spécialisée risques liés à l'environnement du Haut Conseil de la santé publique :

Le Haut Conseil de la santé publique, auquel j'appartiens en tant que personnalité qualifiée, a été créé par la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. C'est une instance d'expertise sur toute question relative à la prévention, à la sécurité sanitaire ou à la performance du système de santé. Il peut être consulté par les ministres intéressés, les présidents des commissions compétentes du Parlement, le président de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé. Le HCSP contribue à la définition des objectifs pluriannuels de santé publique, évalue leur réalisation et contribue à leur suivi ; à ce titre, nous sommes amenés à évaluer le Plan national santé environnement (PNSE) 3. Il fournit aux pouvoirs publics l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires et à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire. Enfin, il fournit des réflexions prospectives et des conseils sur les questions de santé publique.

Le HCSP compte deux comités techniques et six commissions, dont la commission qui traite des risques liés à l'environnement, que préside le professeur Denis Zmirou-Navier. Notre commission compte dix-neuf personnalités qualifiées, essentiellement des experts du secteur public et des universitaires aux profils diversifiés et aux champs de compétence allant de la toxicologie aux aspects socio-économiques - domaine dans lequel la France manque malheureusement d'experts. L'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Institut national du cancer (INCa) y sont représentés de droit.

Nos missions sont larges : expertise d'aide à la gestion des expositions liées à l'environnement (pollution de l'air extérieur et intérieur, amiante, plomb, niveaux sonores élevés, etc.) ; avis sur les textes réglementaires, évaluation des politiques publiques. Ayant participé à l'élaboration du PNSE 3 en tant que personnalité qualifiée, comme je l'avais fait pour le PNSE 2, je ne prendrai pas part à son évaluation, pour éviter tout conflit d'intérêts, sachant que la commission spécialisée risques liés à l'environnement a été saisie sur les indicateurs d'objectifs et d'efficacité.

Vous m'interrogez sur la part des pathologies ORL, cardiaques ou cancers, attribuables à la pollution de l'air. Difficile de vous répondre, car les études épidémiologiques menées en France portent sur la mortalité, pas sur la morbidité. Mme Agnès Lefranc, que vous avez auditionnée, vous a sans doute présenté les données obtenues par l'InVS et ses homologues européens.

Je m'en tiendrai donc à mon domaine de compétence, la toxicologie et l'étude des mécanismes d'action des polluants environnementaux. Quels sont les polluants présents dans l'air et quelle est leur origine ? Outre les pollutions naturelles, continues ou ponctuelles, comme celles associées à des éruptions volcaniques par exemple, il y a les pollutions d'origine humaine, dans les zones urbaines et industrielles essentiellement, qui peuvent avoir des conséquences planétaires, comme dans les espaces clos, avec des échanges importants entre les deux. Parmi les sources anthropiques, citons celles qui résultent des combustions : centrales thermiques, combustions industrielles, trafic automobile mais aussi combustion du bois. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) attire ainsi l'attention sur la pollution aux particules fines dans les régions où l'on se chauffe beaucoup au bois.

Parmi les polluants dits réglementés, il y a les oxydes et dioxydes d'azote, le monoxyde de carbone, les hydrocarbures, le dioxyde de souffre, les particules. Les polluants d'origine métallique - plomb, fluor, dioxine - sont parmi les plus problématiques. Citons aussi les polluants dits secondaires, liés à l'évaporation, notamment dans les stations-essence, les composés organiques volatils, l'ozone ou certaines aldéhydes.

Les études épidémiologiques récentes ont mis en évidence le rôle des particules atmosphériques fines dans les pathologies respiratoires, cardiovasculaires ou les cancers, notamment pulmonaires. Ces particules sont très complexes : s'y mélangent des particules d'origine naturelle, provenant des éruptions volcaniques, de l'océan ou des végétaux, celles qui sont d'origine anthropique et ce qui est remis en suspension. C'est cet aérosol que nous respirons, ces composés gazeux qui entrent en contact avec nos voies respiratoires. Les études épidémiologiques mettent en évidence le lien avec l'asthme, les manifestations bronchiques et, de façon plus étonnante, avec l'augmentation de maladies cardiovasculaires et d'infarctus du myocarde. Des études ont été menées à partir des années 1980, notamment par des toxicologues qui avaient travaillé sur des polluants atmosphériques en milieu industriel comme la silice.

Les polluants pénètrent dans l'appareil respiratoire et s'y déposent à différents niveaux en fonction de leurs propriétés physico-chimiques et de leur taille. La région naso-pharyngée est surtout concernée par les vapeurs d'acide : c'est le phénomène des pluies acides et des « fumées noires » qui ont causé des pics épidémiologiques intenses et une mortalité conséquente à Londres dans les années 1950. Cette question du dioxyde de soufre est aujourd'hui quasiment résolue, du moins en France, par la réglementation sur les véhicules à essence et sur les échappements industriels.

Si les vapeurs de soufre se déposent très haut, l'ozone et les oxydes d'azote, en revanche, descendent jusqu'aux alvéoles, où se produit l'échange gazeux. C'est pourquoi ces deux produits doivent être suivis de façon rigoureuse. Leur diminution est insuffisante, et est arrivée à un palier depuis dix ans. Les particules se répartissent dans l'appareil respiratoire en fonction de leur taille. Les plus grosses, d'un diamètre de 5 à 30 micromètres, comme celles associées à l'usure des routes ou des bâtiments, restent au niveau du nez. C'est aussi le cas des particules d'origine biologique telles que les grains de pollens ou les moisissures, au contraire des bactéries qui, elles, rentrent plus profondément dans le poumon.

Celles qui posent réellement problème sont les particules dites fines et ultrafines : non pas les PM10, dont le diamètre est inférieur à 10 microns, mais les PM2,5, d'un diamètre inférieur à 2,5 microns, qui sont désormais également mesurées par les réseaux de surveillance de la qualité de l'air. Il s'agit de particules associées à l'incinération, provenant du diesel, de la combustion du bois ou de l'incinération des déchets.

Les systèmes de protection permettant d'évacuer ces polluants fonctionnent bien chez un adulte en bonne santé respiratoire, mais pas chez les populations fragiles : bébés et jeunes enfants, personnes souffrant d'asthme ou de bronchite chronique, personne âgées. C'est pourquoi les messages sanitaires ciblent plus particulièrement ces catégories. Les systèmes de protection sont différents selon le niveau : tapis roulants rapides dans les voies de conduction de l'air, systèmes plus lents dans les alvéoles, où les macrophages - qui s'attaquent normalement aux bactéries - absorbent les particules mais ne savent pas qu'en faire. Plus l'atmosphère est polluée, plus il y a un risque de stagnation de ces particules au niveau alvéolaire.

Une particule diesel est constituée de nanoparticules formant des grappes, avec un coeur de carbone inorganique, peu réactif, et, en surface, des molécules organiques : ce sont les imbrûlés du diesel. Dans cette fraction organique se trouvent des molécules classées comme cancérigènes, en particulier les hydrocarbures aromatiques polycycliques, dont le benzo(a)pyrène. Ces molécules sont en faible quantité, mais si elles s'accumulent et ne sont pas bien éliminées, elles peuvent, sur le long terme, entraîner un risque. C'est pourquoi le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été conduits à classer le diesel comme cancérigène certain, au même titre, sinon dans les mêmes proportions, que la fumée de cigarette : tout le monde n'y est pas sujet, les quantités de substance ne sont pas comparables avec celles auxquelles est exposé un gros fumeur, mais le mécanisme est le même.

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