J'évoquerai l'agriculture, sur laquelle mon laboratoire travaille. Elle joue un rôle très important dans la pollution, par le biais de trois facteurs : les grosses particules ; certaines particules secondaires, issues d'une combinaison de molécules, ammoniaque en particulier, même si d'autres secteurs, routier ou industriel, sont impliqués dans l'émission d'une partie des éléments nécessaires ; enfin, les produits phytosanitaires.
Je voudrais également citer des éléments plus marginaux, comme l'ozone, dont la concentration n'est pas due à ce secteur, mais qui pèsera fortement sur son équilibre en réduisant les rendements, notamment du blé, à l'horizon 2030. En outre, si l'agriculture est peu impliquée dans l'émission de composés organiques volatiles, elle est un gros émetteur de gaz à effet de serre tels que le méthane et le protoxyde d'azote (N2O). Elle véhicule aussi certains polluants organiques qu'elle n'émet pas, tels que la dioxine contenue dans le lait. Ce polluant s'accumule dans l'organisme humain sans être éliminé.
Les grosses particules, ou particules primaires, sont une source non négligeable de pollution, par exemple en Ile-de-France. Elles proviennent de l'érosion ou des poussières dues au travail du sol, au stockage ou au séchage. L'agriculture est responsable de 48 % de leurs émissions - ainsi que de 18 % des émissions de PM10 et de 10 % des émissions de PM2,5. Celles-ci provoquent de l'asthme, des allergies, des bronchites fréquentes, des cancers et des maladies cardio-vasculaires. Elles véhiculent aussi d'autres polluants et ont un coût économique pour l'agriculture en diminuant les rendements, notamment en abîmant les stomates, les organes respiratoires des plantes.
Les particules secondaires, deuxième facteur, sont issues d'une recombinaison de molécules plus fines, notamment des PM10 et des PM2,5. Elles contiennent de l'azote et surtout de l'ammoniaque - plus de 90 % de celui qui est présent dans l'air est issu de l'agriculture. En se combinant avec du dioxyde de soufre ou des oxydes d'azote, il forme ces microparticules. On ne saurait incriminer l'agriculture uniquement, puisque la combinaison nécessite des éléments issus d'autres secteurs. Néanmoins, 60 % des PM10 mesurées en Ile-de-France ces dernières années sont issues de l'agriculture.
Les dépôts d'ammoniaque favorisent l'acidification ou l'eutrophisation des milieux naturels, y compris marins, et nuisent aux rendements. Les sols acides doivent alors être traités, avec du calcaire ou de la chaux, ce qui est très coûteux et a des conséquences environnementales très importantes. Voyez la controverse que suscite le prélèvement de sable dans la baie de Lannion, pour compenser l'acidité des sols bretons.
Le troisième facteur est constitué par les produits phytosanitaires, insecticides, herbicides et fongicides. La France en est le troisième utilisateur mondial, très loin devant l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Or 20 à 40 % de ce qui est épandu ne va pas sur la plante mais part directement dans l'air en microbulles. Je précise que les pommes subissent couramment une vingtaine voire une trentaine de traitements, les céréales aussi...
Les effets varient selon les catégories. Les insecticides touchent beaucoup les organes respiratoires, comme les néo-pyrèthrinoïdes, présentés à tort comme écologiques parce que les pyrèthres existent à l'état naturel. Les composés organophosphorés agissent sur le système neurologique - les maladies d'Alzheimer et de Parkinson pourraient y être liées. Ils pourraient également être cancérogènes, mais nous avons moins de certitudes à ce sujet. Dans certains secteurs, les lobbies produisent des contre-études qui provoquent un bruit statistique, donc un flou dans les méta-analyses. Il est probable que ce soit le cas ici.
Les herbicides - en la matière, les effets sont assez bien prouvés - irritent la peau. Ils agissent aussi sur les organes respiratoires, comme les fongicides, qui provoquent également des allergies. Nous soupçonnons l'influence des cocktails de produits sur les cancers et les perturbations endocriniennes, comme l'avancement de l'âge de la puberté - dans certains pays particulièrement exposés, on a relevé des signes de puberté chez des enfants de quatre ans. Ces phénomènes sont toutefois mal étudiés et nous devons rester prudents.
Pour en revenir à l'ozone, il est l'un des principaux polluants présents lors des pics de pollution en Ile-de-France. L'inquiétude qu'il fait naître porte également sur les rendements agricoles, dont la baisse pourrait atteindre 10 à 20 % d'ici 2030. Mais il est difficile d'isoler l'impact de la hausse de la concentration en ozone dans les basses couches atmosphériques de la hausse des températures ou de l'émergence de nouvelles maladies. Les ormes sont morts, les buis, les platanes et les marronniers sont menacés, comme dans la forêt de Vierzon, et les hêtres et les chênes vont disparaître de France, sauf dans les Ardennes, d'ici à 2050. Le blé est menacé lui aussi.