Nous chiffrons surtout des effets basiques, essentiellement les pertes de rendements agricoles liés aux polluants. Dès lors que nous élargissons cet objectif concret, qu'il s'agisse d'étudier la forêt ou l'impact des pesticides, nos études sur les écosystèmes deviennent plus ou moins incertaines. Si des chiffrages approximatifs sont possibles sur la pollinisation ou la contribution des chauves-souris à la disparition des insectes, on ne peut guère aller au-delà. Nous disposons de chiffres pour évaluer les services récréatifs de l'écosystème : on sait par exemple ce qu'il advient lorsqu'il n'y a plus d'insectes, plus de larves dans les rivières, plus de poissons. C'est important si l'on pense que l'industrie du tourisme dans un département comme la Dordogne représente 40 % du PIB. En revanche, la valorisation de l'écosystème à plus long terme, la constitution de réserves de molécules contre les maladies par exemple, est difficilement chiffrable. Nous pouvons tout au plus fixer des bornes inférieures.
En 2011, un article de la revue Nature a fait état d'une étude intéressante sur l'azote qui intervient dans la pollution de l'eau et de l'air. Les effets bénéfiques de ce gaz sont connus depuis la fameuse déclaration de 1900, à la Chambre des Lords, selon laquelle l'utilisation de l'azote dans l'agriculture, compte tenu de la capacité des plantes à l'absorber, permettrait de nourrir des millions d'habitants supplémentaires. Peu après, Fritz Haber a reçu le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur la synthèse de l'azote de l'air - qui débouche aussi sur la fabrication des explosifs... S'il est incontestable que les épandages d'engrais azotés présentent un certain avantage, ils ont un coût en termes de pollution de l'eau et de risques pour la santé : les bénéfices sont de l'ordre de 25 à 130 milliards de dollars, alors que les coûts oscillent entre 70 et 320 milliards de dollars. L'analyse d'un tel paradoxe reste délicate, car l'azote permet de nourrir une partie de la planète. L'importance des coûts suscite néanmoins des questions. Sur ce type de sujet, nous disposons de méthodes pour déterminer des bornes basses, guère mieux.
J'ai surtout travaillé sur des méthodes de valorisation des coûts humains, notamment dans le cas des contaminations bactériologiques. Il est alors très difficile de faire l'économie d'une métrique monétaire. Certaines études s'y sont essayées, en imaginant par exemple une contribution au bonheur. Dans l'ensemble, nous nous appuyons sur des calculs artisanaux, du type règle de trois. L'approche méthodologique peut être directe, mesurant le coût de la santé selon les standards pratiqués aux Etats-Unis - dépenses pour les soins, pour la prévention, perte de productivité des employés malades, etc. Elle peut être indirecte lorsqu'elle vise le consentement à payer, en prenant en compte le coût de la douleur et la valorisation subjective de la maladie. Quant au coût de la mortalité, on parle de « valeur de la vie statistique » ou de « gain à éviter un décès ». Les chiffres sont élevés : 1 700 milliards de dollars pour la pollution de l'air dans les pays de l'OCDE, 3 500 pour la Chine et l'Inde. Si les normes basses sont clairement fixées, les méthodes de consentement à payer offrent des résultats plus incertains, qui affinent néanmoins l'approche en termes d'ordres de grandeur. L'OCDE utilise 3,6 millions de dollars par vie statistiquement épargnée. Les pouvoirs publics français établissent le même type de chiffrage en matière de mesures de sécurité routière. Bien sûr, les incertitudes scientifiques pèsent davantage en ce qui concerne le rôle des particules ou des perturbateurs endocriniens dans le développement des cancers et des maladies cardio-vasculaires.