Intervention de André Laignel

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 21 mai 2015 : 1ère réunion
Audition de M. André Laignel premier vice-président délégué de l'association des maires de france

André Laignel, premier Vice-Président délégué de l'AMF :

Je vous remercie de votre invitation. Elle nous permet d'exprimer la position de l'AMF face à la situation ressentie par la majorité d'entre nous. Je commencerai par un propos général et suis à votre disposition pour évoquer les finances, en tant que président de la commission des finances locales.

La grande inquiétude des maires de France est l'avalanche de textes, annonces et rapports, dont beaucoup mettent en cause l'existence même de la commune. Je ne les énumérerai pas tous. Certains n'engagent que leurs auteurs, tandis que d'autres engagent les instances de l'Etat. Je pense notamment au rapport du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). Le Premier ministre m'a déclaré ne pas partager les conclusions de ce rapport qui prône la suppression de la commune. Cependant, ce thème est aussi abordé par des groupes de travail, sans parler des médias qui vilipendent les élus en les présentant comme la ruine de la République. Je pourrais aussi évoquer les débats sur les finances locales et le rapport remis à la Ministre des Affaires Sociales et de la Santé qui prône l'intercommunalisation obligatoire de toute l'aide sociale. Tout ceci participe d'un état d'esprit qui inquiète considérablement les maires de France. Ces derniers ont le sentiment qu'il existe une volonté de dilution de la commune. Un certain nombre des points que j'aborderai avec vous figurent dans la loi NOTRe.

Parmi eux, j'évoquerai l'élection au suffrage universel supracommunal et non plus communal, qui signifierait le passage de l'intercommunalité à la « supracommunalité ». L'existence même de la commune serait ainsi mise en cause ; ce projet soulève au demeurant des interrogations constitutionnelles.

Je pense également à la volonté d'agrandir les intercommunalités en fixant un seuil de 20 000 habitants. Ce dernier peut s'avérer insuffisant dans certains secteurs et déraisonnable dans d'autres. Le problème réside moins dans le chiffre fixé (15 000 ou 20 000) que dans la création même d'un seuil. Ce projet refuse toute confiance aux élus locaux, alors que ceux-ci sont les mieux placés pour définir le périmètre de l'intercommunalité au plus près des intérêts des citoyens. L'AMF conteste donc l'existence d'un seuil.

Les projets de transferts de compétences participent également de ce sentiment de dilution de la commune. Sur un territoire comme le mien, transférer la compétence de l'eau et de l'assainissement n'aurait aucun sens : cela entraînerait un désordre et une surenchère des coûts sans répondre à l'intérêt général. C'est aussi vrai pour la compétence du tourisme, intrinsèquement liée à l'image actuelle et à l'histoire d'un territoire ou d'une cité. De même, le transfert de l'action sociale à l'intercommunalité n'aurait pas de sens dans une commune comme la mienne. Seule la ville centre possède un centre d'action sociale communal. Si je devais l'étendre à l'intercommunalité, le coût serait considérable. Rendre obligatoire le transfert de personnel serait également contre-performant. Il est facile à contourner et les incitations sont contradictoires : la commune a l'obligation de transférer le personnel placé à 100 % sur une compétence, tout en étant incitée à développer la mutualisation ascendante, mais si elle transfère son personnel, elle n'en a plus à mutualiser. L'intercommunalité à tout prix n'a donc pas de pertinence. Dans la réforme de la DGF, le même débat sur l'intercommunalité est ouvert. Le terme « territorialiser » étant mal perçu, il est remplacé par « DGF locale », mais l'idée reste la même : il s'agit de répartir les dotations au niveau de l'intercommunalité et non de la commune.

Le projet de loi NOTRe aborde d'autres sujets, dont la suppression de la définition de l'intérêt communautaire dans un certain nombre de domaines, ce qui interdirait de s'adapter finement et intelligemment au terrain. J'attire également votre attention sur les rôles nouveaux attribués aux chambres régionales des comptes : alors que les élus locaux sont parvenus à les ramener à une vision objective, comptable et réglementaire, voire légale, qui ne juge pas en opportunité, l'obligation pour les maires de rendre compte de la manière dont les recommandations des chambres sont mises en oeuvre rendrait incontournable la prise en compte de jugements d'opportunité, au moins du point de vue de l'opinion publique.

L'ensemble de ces éléments, c'est-à-dire l'élection au suffrage universel direct supracommunale, l'imposition d'un seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités, les transferts de compétences obligatoires, la remise en cause de l'accord difficile et laborieux obtenu dans le cadre de la loi ALUR sur le PLUI, et l'intercommunalisation des finances et du personnel, tout cela inquiète les maires de France. Des communes se sont vu supprimer des compétences et imposer des transferts, perdant ainsi la maîtrise de leurs dotations, compétences et personnel. Elles sont vidées progressivement de leurs fonctions au risque de ne conserver que l'état civil et les écharpes de maire. Pour nos concitoyens, ce n'est pas satisfaisant. La commune est essentielle dans un pays comme la France. Le nombre de communes (35 600) et d'élus locaux (450 000) n'est pas un handicap, mais au contraire une richesse. Ce n'est pas dans un contexte de montée du populisme qu'il faut éloigner le pouvoir et les élus locaux des citoyens. Une telle mutation de nos sociétés serait profondément négative pour la République.

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