Je suis heureuse de partager cette audition avec M. André Laignel. J'aborderai le sujet des collectivités locales à l'aune des mutations sociétales et économiques de notre pays, qui conduisent à interroger la pertinence et l'efficacité de l'organisation territoriale. Il est gênant d'envisager de réformer cette dernière sans même s'interroger sur celle de l'Etat. Il ne saurait en effet y avoir de réforme de l'organisation territoriale sans ajuster le second pilier de l'action publique qu'est l'Etat. Comment les compétences et l'organisation territoriales pourraient-elles être définies sans préciser celles de l'Etat, garant des compétences régaliennes et de l'équité ? À cet égard, les différentes lois votées ou à l'étude au Parlement sont dérangeantes.
Les dernières élections départementales illustrent le mal-être de nos concitoyens dans un univers en mouvement. Perdus, ils ne perçoivent plus de sens, d'espérance ni d'avenir. Force est de constater l'émergence d'un fait urbain consacré par les métropoles. Celles-ci jouent un rôle essentiel de locomotive et placent la France dans des conditions de compétition acceptables face à des pays dont l'histoire diffère de la nôtre. Le cas de l'Allemagne et de l'Italie, par exemple, est souvent opposé à la France en ce qui concerne les communes, mais ces pays ont été unis tardivement. Plutôt que d'effectuer ces comparaisons, il est préférable de prendre acte des faits.
La création de métropoles puissantes, capables de drainer un territoire, de le tirer et de jouer un rôle moteur, est importante. Dans ces métropoles, des concitoyens vivent bien : ils sont en phase avec la mondialisation et la mobilité. La France des périphéries, en revanche, est en perte de repères ; elle désespère, comme anéantie par la sacralisation du fait urbain. Or il ne peut y avoir de sacralisation de la ville sans prise en compte de sa base arrière. D'où viennent sa nourriture et son eau ? Où installe-t-on les industries polluantes ? J'invite donc à porter un regard positif sur la complémentarité de la ville et de la périphérie. Nous devons veiller, en ce qui concerne l'organisation territoriale en jeu dans la loi NOTRe, à ce qu'il n'existe pas de ville sans campagne. Notre pays est riche de sa diversité. Il est impossible de nier la réalité de son relief, de ses montagnes, de ses îles et de sa culture. À partir du moment où nous sommes conscients de cette nécessaire complémentarité et de la richesse de la France, l'action publique a pour seule obligation l'efficacité.
L'enjeu est alors de trouver les moyens de répondre à cette obligation sans oublier la cohésion sociale. Dans des sociétés en difficulté, il est dangereux de formater les territoires sans veiller à préserver le lien social. Je crois à la diversité géographique, urbaine et rurale de la France et je suis excédée par la sottise du mythe de la taille unique des intercommunalités. Il y a quatre ans, leur seuil était fixé à 5 000 habitants. Il est désormais porté à 20 000, avec la possibilité de transiger à 15 000. Quel est le sens de ces chiffres ? Dans mon département, des intercommunalités n'ont pas intérêt à passer sous le seuil de 30 000, tandis que le seuil de 20 000 est inopérant pour d'autres en raison du nombre de communes qu'elles devraient réunir pour l'atteindre. Si nous croyons à la démocratie et votons une loi sur la décentralisation, nous devons affirmer notre croyance dans la capacité des élus locaux à choisir et à mettre en place le modèle qui convient à leur territoire. Si le ministre ne parvient pas à faire confiance aux élus locaux, qu'il pense aux électeurs : ceux-ci ne manqueront pas de remercier leurs élus à la prochaine élection s'ils considèrent que leurs décisions sont mauvaises.
J'insiste donc sur notre obligation d'efficacité et sur l'erreur que constitue l'imposition d'un seuil de 15 ou 20 000 habitants. La pertinence de ce chiffre n'est pas démontrée. Indépendamment de cet aspect, la réussite d'un territoire repose sur la volonté de coopération des élus et sur les capacités des associations et des entreprises. Une intercommunalité se construit avec l'intelligence des élus et sur un projet partagé de territoire. Son efficacité réside dans la subsidiarité : elle reste un prolongement de la commune.
Sur le nombre de communes, mon discours sera plus nuancé que celui d'André Laignel. Parmi 36 000 communes, certaines réunissent 40 ou 100 habitants. Il y a donc matière à en réduire le nombre. À ce sujet, je rends hommage à notre ancien président de l'AMF, qui a préparé la loi sur la commune nouvelle : celle-ci permet, dans la subsidiarité, de conserver la proximité et le lien social avec les concitoyens et de jouer le rôle d'amortisseur social. Une grande taille ne garantit pas l'efficacité, de même qu'une petite taille ne garantit pas la possession d'une compétence dans tous les domaines.
Je suis également opposée à la proposition de suffrage universel direct supra-communal. Dans mon département, je préside l'association des présidents et des maires des intercommunalités. Suite à la dernière réforme du mode de scrutin, je connais une intercommunalité dont le président est un ancien maire battu aux élections communales. L'intercommunalité qui, jusqu'à ces élections, ne fonctionnait pas sur un mode politicien, se trouve ainsi bloquée et utilisée à l'encontre du maire élu. Nous devons avoir le courage de demander à ceux qui portent ces projets de modification du mode de suffrage s'ils veulent supprimer les communes. L'intercommunalité reste le prolongement de l'action communale. Au nom de principes dogmatiques, l'efficacité de l'intercommunalité risque d'être pervertie par des jeux de pouvoir. Je suis une convaincue de la pertinence de l'intercommunalité, à condition qu'elle soit choisie. Son seul objectif doit être l'efficacité. La loi doit laisser la liberté aux intercommunalités de se doter d'un panel de compétences si elles le souhaitent (eau, assainissement...) et le jugent utile. Je crois aussi au champ de compétences facultatives, qui doivent être nombreuses, et au maintien de l'intérêt communautaire, y compris pour des compétences obligatoires. Si nous voulons respecter la liberté des communes et protéger l'intercommunalité, nous devons affirmer cette dernière comme un territoire de projet partagé, qui doit rendre des services à nos concitoyens.
Pour ces raisons, le projet de loi NOTRe me semble acceptable, même si les défenseurs de l'intercommunalité sont fatigués de s'entendre répondre qu'ils sont des conservateurs dont la vision de construction partagée sur le principe de subsidiarité gâcherait l'avenir de leurs concitoyens et que seuls les « modernes » auraient raison.