Intervention de Hervé Maurey

Réunion du 9 juin 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte »

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans quelques mois, nous célébrerons les cent dix ans de la loi concernant la séparation des Églises et de l’État. Près de cent dix ans après son élaboration, cette loi est-elle toujours adaptée à notre société ? C’est la question à laquelle a voulu répondre la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, alors présidée par Jacqueline Gourault, en me confiant la rédaction du rapport, que j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui.

Depuis 1905, en effet, la société a beaucoup changé. La pratique de la religion dominante de l’époque, la religion catholique, a connu une baisse, et de nouvelles religions sont apparues – je pense à l’islam, bien entendu, mais aussi à d’autres religions comme le mouvement évangélique.

Pour mener à bien ces travaux, j’ai souhaité rencontrer l’ensemble des acteurs concernés : représentants des services de l’État, associations d’élus, membres des juridictions administratives, personnalités universitaires et du monde associatif, responsables des cultes. Aucune religion n’a été oubliée.

Ce travail, j’ai également souhaité l’enrichir d’une double dimension : internationale, par une analyse de législation comparée avec l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, mais surtout locale, en associant à cette réflexion les élus de terrain et en lançant une consultation adressée à 10 000 maires, à laquelle 3 000 d’entre eux ont répondu. Ces réponses ont été complétées par des entretiens directs et individualisés avec un certain nombre d’élus.

Il ressort de ces travaux que les élus locaux sont, dans ce domaine comme dans bien d’autres, en première ligne face aux demandes croissantes de financement.

Je rappelle que nos communes abritent en effet plus de 45 000 églises catholiques, 4 000 lieux de culte protestant, 420 synagogues, 150 églises orthodoxes, 2 450 mosquées et 380 lieux de culte bouddhistes.

Les communes ont directement la charge de l’entretien des églises qui pèse de manière importante dans leurs budgets, surtout à une époque où les dotations octroyées aux collectivités territoriales sont en forte baisse.

Il faut toutefois reconnaître que les travaux relatifs aux églises font le plus souvent consensus, l’église constituant souvent le seul élément patrimonial des communes, notamment des plus petites d’entre elles.

Pour les autres cultes, la question qui se pose est davantage celle de la construction de nouveaux édifices.

Quel est le cadre juridique posé par la loi de 1905 ? Il est simple : les collectivités territoriales ont l’interdiction de financer la construction, l’acquisition ou le fonctionnement courant d’édifices cultuels.

Cette règle comporte toutefois des exceptions : tout d’abord, la législation adoptée en 1907 et 1908 a transféré la propriété des églises catholiques aux communes, l’Église catholique ayant refusé de se constituer en association cultuelle comme le prévoyait la loi de 1905. Dès lors que ces églises appartiennent aux communes, elles sont entretenues, comme l’ensemble des biens communaux, par ces dernières.

Un régime dérogatoire est aussi en vigueur en Alsace et en Moselle, territoires qui ne faisaient pas partie à l’époque de la République et qui relèvent du régime du concordat.

Certaines exceptions sont également prévues dans les territoires d’outre-mer.

Enfin, des dérogations ont été instaurées plus récemment dans la loi : je pense à la possibilité de garantir les emprunts qui sont souscrits par les associations cultuelles pour l’édification de lieux de culte dans les agglomérations en développement, mais aussi au recours à un bail emphytéotique.

À ces exceptions s’ajoute une interprétation jurisprudentielle de la loi de 1905 très favorable au financement – je dis souvent que cette loi ne ressemble plus à ce qu’elle était en 1905. Les juges ont notamment reconnu la possibilité de mettre à disposition des locaux communaux pour les activités cultuelles, dès lors que cette mise à disposition s’effectue de manière provisoire et non exclusive.

Surtout, la jurisprudence a introduit une distinction entre le « cultuel » et le « culturel ». Aujourd’hui, lorsqu’on construit un bâtiment dédié à un culte, s’il se divise entre une partie cultuelle et une partie culturelle – c’est actuellement le cas à Paris d’un certain nombre de projets, notamment érigés pour les religions islamique ou juive –, cette dernière peut être subventionnée par la collectivité.

À l’issue de nos auditions, nous sommes parvenus à la conclusion que nous ne pouvions pas modifier la loi de 1905, car ce texte incarne à lui seul la laïcité française et constitue un fondement essentiel de la République, de notre vivre ensemble.

Tout en préservant cette loi, nous avons toutefois tenu à proposer des améliorations pour faciliter la vie des élus et des collectivités.

Nos recommandations, adoptées à l’unanimité de la délégation, sont conformes à la tradition sénatoriale. Elles sont pragmatiques, raisonnables, mais aussi, me semble-t-il, nécessaires et efficaces. Elles s’articulent autour de trois axes : améliorer l’information des élus, faciliter le dialogue entre les religions et les collectivités territoriales, renforcer le contrôle sur le financement des lieux de culte.

Premier axe, nous avons estimé nécessaire l’amélioration de l’information des élus. En effet, la jurisprudence a considérablement fait évoluer la loi de 1905, mais elle n’est pas toujours très bien connue des élus.

Nous nous sommes interrogés sur la nécessité de codifier cette jurisprudence, mais n’avons pas retenu cette option, car le caractère jurisprudentiel de ce droit autorise davantage de souplesse.

Nous pensons toutefois que le ministre chargé de ce dossier doit prendre un certain nombre de circulaires, qui viseront notamment à clarifier la possibilité pour les communes de financer la réparation d’édifices cultuels appartenant à des associations et de mettre à disposition des locaux au bénéfice d’associations cultuelles.

Toutefois, dans un souci de sécurité juridique, nous souhaitons, madame la ministre, que le Gouvernement informe de façon plus systématique les élus sur le droit positif, notamment grâce à des circulaires du ministre de l’intérieur chargé des cultes relayées par les préfets dans les territoires. Les maires reçoivent très souvent des demandes de mises à disposition de lieux par les associations cultuelles et ils ne savent pas quelle attitude ils doivent adopter.

Deuxième axe, nous avons voulu faciliter les rapports entre les communautés religieuses et les pouvoirs publics.

La garantie d’emprunt est possible pour la construction d’édifices cultuels, mais seulement dans les communes en voie de développement. Cette notion nous semble aujourd’hui dépassée et la garantie d’emprunt devrait, selon nous, être accordée dans tous les cas.

Nous proposons également que les baux emphytéotiques, qui peuvent parfois se transformer en véritables bombes à retardement, puissent contenir une clause de rachat au terme du bail. Ainsi, d’ici à 2020-2030, la ville de Paris va récupérer une trentaine d’églises, dont l’entretien représentera un coût de plusieurs millions d’euros. Cette situation pourra, à l’avenir, concerner des villes telles que Marseille ou Montreuil, où des baux emphytéotiques ont été accordés pour construire des mosquées.

Nous proposons également la possibilité pour les maires de déterminer dans les plans locaux d’urbanisme les secteurs dans lesquels peuvent être construits des lieux de culte. En effet, les maires n’ont aujourd’hui aucune marge de manœuvre pour déterminer les parties du territoire de leur commune où des lieux de culte peuvent être édifiés.

Troisième axe, nous avons souhaité renforcer la transparence sur le financement des lieux de culte. Nous pensons d'abord qu’il faudrait qu’un décret en Conseil d’État – en l’espèce, nous recommandons le recours au décret – précise ce qui relève du cultuel et ce qui relève du culturel. Très souvent, la situation est assez floue, ce qui est source de confusion, pour ne pas dire d’hypocrisie.

Enfin, il nous semble nécessaire d’assurer un certain contrôle du financement des lieux de culte au niveau local. Aujourd'hui, lorsqu’un lieu de culte est construit, on ne sait absolument pas comment le projet est financé. C’est si vrai que TRACFIN a dû, dans certains cas, s’interroger sur certaines sources de financement, s'agissant notamment de la construction de mosquées. Nous recommandons donc que, dans le cadre de la construction d’un édifice cultuel, les maîtres d’ouvrage présentent un plan de financement certifié par un commissaire aux comptes.

Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la contribution de notre délégation. Sur ce sujet, l’actualité de l’année 2015 renforce malheureusement l’acuité de nos travaux et de nos propositions, qui, je vous le rappelle, ont été approuvées à l’unanimité. Cette unanimité témoigne du sens des responsabilités de notre assemblée.

Dans son rapport sur la Nation française, remis au Président de la République le 15 avril dernier, Gérard Larcher relève avec justesse que les religions constituent « un fait social » et demeurent « une donnée vivante de notre société », qu’il faut aborder « sans rejet » et « sans crainte ». C’est dans cet esprit que s’inscrit ce débat. Dans cet esprit également, je déposerai une proposition de loi à l’issue de nos travaux, travaux que, bien entendu, je prendrai en compte.

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