Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 9 juin 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte »

Marylise Lebranchu :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, avant d’entrer dans le vif du sujet et de réagir aux différents propos qui ont été tenus, de vous remercier pour l’organisation de ce débat, respectueux et presque consensuel, et, bien sûr, de saluer M. Maurey pour la qualité du rapport qu’il a produit. Cette qualité explique sans doute celle de notre débat d’aujourd'hui : c’est souvent le document initial qui donne le ton !

Il est important que les membres du Gouvernement et les élus de la Nation puissent échanger de manière apaisée et constructive sur un sujet aussi essentiel que le financement des lieux de culte par les collectivités territoriales de France.

Il est important que, sur de telles questions, qui touchent à l’un des principes fondateurs de notre République, la laïcité, nous puissions débattre du fond, en évitant les polémiques.

Il est important que nous puissions coopérer, pour dessiner, ensemble, des solutions aux enjeux posés à nos élus locaux.

Il est important que nous puissions réfléchir, sans controverses inutiles, à la façon dont nous pouvons, dans le respect de ce grand principe qu’est la laïcité, garantir à nos concitoyens pratiquants de pouvoir exercer leur culte dans de bonnes conditions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez rappelé, la laïcité est l’une des spécificités du vivre ensemble dans notre pays. Elle constitue, depuis plus d’un siècle, un principe de concorde non négligeable, qui a pour objectif d’unir les citoyens, par-delà leurs différences et autour des valeurs républicaines : la liberté, qui vise à protéger la liberté de conscience de chacun ; l’égalité, qui garantit à tous, indépendamment des croyances, des non-croyances ou de la religion de chacun, de pouvoir bénéficier des mêmes droits et des mêmes services publics ; la fraternité, qui permet à toutes les religions de coexister et à tous les citoyens de cohabiter dans la tolérance et le respect mutuel. Les différents intervenants l’ont rappelé, sur la base d’exemples tirés de leurs expériences locales.

Dans une société fracturée, où le lien social se distend, où l’intolérance grandit, la laïcité est un principe dont il nous faut réaffirmer le sens et la portée. En effet, c’est le meilleur moyen de lutter contre ceux qui, aujourd’hui, l’instrumentalisent à des fins de stigmatisation. C’est aussi le meilleur moyen - vous l’avez presque tous dit - de lutter contre ceux qui utilisent la religion et parfois la laïcité elle-même, comme autant de prétextes au rejet de l’autre.

La laïcité, c’est d’abord la neutralité de l’État à l’égard de tous les cultes.

L’État ne reconnaît et ne soutient aucun culte, ni financièrement ni symboliquement. Il se doit d’offrir à toutes les personnes, sur l’ensemble de notre territoire, un service public impartial, indépendant de toute institution religieuse – c’est clair ! – et d’assurer l’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction, quelle que soit leur religion.

La laïcité, c’est aussi l’obligation pour l’État de garantir la liberté de culte - c’est, au fond, le cœur de votre sujet - et de s’assurer que nul ne peut être inquiété pour sa croyance ou pour son incroyance. L’État se doit de sanctionner toute discrimination intervenue à raison d’une opinion religieuse.

Mais, je le répète, l’État se doit également de permettre à chacun de pratiquer son culte dans des conditions décentes, comme vous l’avez presque tous rappelé. Et, sur ce point, qui concerne très directement nos collectivités territoriales, des progrès sont nécessaires.

Concernant les lieux de culte, la loi du 9 décembre 1905 dispose que la République ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Naturellement, je n’oublie pas que l’une de nos régions de France a, de ce point de vue, un statut particulier.

Pour les lieux de culte dont les collectivités publiques ont été reconnues propriétaires en 1905, les associations cultuelles bénéficient d’une mise à disposition. Elles sont responsables de toutes les charges, à l’exception des « dépenses nécessaires » à l’entretien et à la conservation, auxquelles les collectivités sont autorisées à participer – ce n’est pas un détail.

Ces dépenses nécessaires sont strictement définies. Ainsi, ne sont pas considérés comme des « dépenses nécessaires » les travaux d’embellissement et d’agrandissement ou l’achat de meubles. En revanche, la réfection partielle d’un édifice cultuel est considérée comme une dépense d’entretien et les collectivités territoriales peuvent participer à la construction d’un nouveau lieu de culte si celle-ci est moins coûteuse que la restauration d’un édifice.

Depuis la loi de 1905, et face aux évolutions de notre société, quelques tempéraments ont été apportés à la règle de non-subventionnement, au travers de plusieurs décisions d’assemblée du Conseil d’État - certains ont cité ces décisions fondatrices -, afin de permettre la construction de nouveaux édifices cultuels. Ainsi, un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice de culte ouvert au public et une commune peut garantir un emprunt contracté par une association cultuelle pour la construction d’un édifice du culte. Nous reviendrons sur cette notion de garantie.

Cependant, du fait de notre histoire et de nos dynamiques territoriales, dont vous avez fait, monsieur Maurey, une très juste analyse, les lieux de culte sont aujourd’hui inégalement répartis sur notre territoire, ne permettant pas toujours de répondre aux besoins de toutes les religions, en particulier aux besoins nouveaux apparus dans les communes comportant des populations de confessions diverses et qu’ont très bien décrits certains d’entre vous – dans la région Nord - Pas-de-Calais ou dans le département des Alpes-Maritimes, pour ne citer que ces exemples.

Interroger ces besoins nouveaux, qui ne trouvent pas toujours de réponse claire dans la loi ou dans la jurisprudence, et réfléchir aux réponses que les communes peuvent y apporter, c’est le nœud du problème que nous devons résoudre aujourd'hui. C’est ce qui a justifié la rédaction du rapport de M. Maurey et c’est également l’une des préoccupations majeures du Gouvernement.

Monsieur Maurey, nous partageons votre questionnement. Reste à partager les réponses…

C’est parce que ces questions nouvelles sont une préoccupation majeure du Gouvernement qu’un groupe de travail, composé de responsables religieux, de représentants de l’Association des maires de France et des services concernés au sein du ministère de l’intérieur et des ministères chargés du logement et de la jeunesse, va être mis en place pour formuler des propositions sur le sujet du financement des lieux de culte par les collectivités territoriales. Pour les membres de ce groupe de travail, le rapport de M. Maurey et le compte rendu du débat d’aujourd'hui constitueront sans doute des documents de travail de première importance. Les sujets seront sériés et les frontières, étanches.

Le groupe de travail aura vocation, monsieur Maurey, à répondre à l’une des difficultés que vous avez identifiées dans votre rapport, celle du déficit d’information, en proposant les voies et les moyens de répondre à ce besoin d’information légitimement exprimé par les élus.

Ainsi, conformément à l’esprit de vos deux premières recommandations, il réfléchira à un outil permettant de donner à tous les maires de France les clefs pour appliquer la circulaire du 29 juillet 2011, laquelle détaille les possibilités de dépenses de conservation et d’entretien des édifices de culte, sur le fondement des dernières jurisprudences.

Les autres recommandations formulées dans le rapport m’inspirent trois remarques, que certains d’entre vous ont d'ailleurs déjà formulées.

Les recommandations n° 6 et 7 ne sont pas envisageables : il est des portes qu’il ne faut pas ouvrir. Peut-être en serez-vous chagriné, monsieur le rapporteur, mais je pense que vous comprendrez largement nos motivations.

Ainsi, la recommandation n° 7, qui préconise, notamment, un contrôle de l’origine des fonds par un commissaire aux comptes, et que certains ont reprise aujourd'hui, n’est pas constitutionnelle. J’aurais voulu pouvoir y souscrire, mais elle n’est pas conciliable avec le principe de liberté pour les cultes de construire les édifices dont ils ont besoin, sans que cela concerne nécessairement la puissance publique.

Néanmoins, sur cette question intéressante, rien n’empêche de réfléchir à une évolution vers plus de transparence, en évitant cependant toute stigmatisation. J’ai relevé des propos qui n’ont pas lieu d’être dans un débat comme le nôtre, notamment s’agissant de tel pourcentage sur l’origine de tels fonds. Il est dangereux d’avancer des choses que l’on ne peut pas prouver ! Ce n’est pas l’objet de mon intervention, mais je pourrais vous montrer à quel point ces propos sont dénués de fondement scientifique, à supposer même qu’ils reposent sur une quelconque observation empirique…

Je rappelle ici que tous les fonds versés en liquide donnent lieu à vérification, de manière à éviter toute transaction directe de la part des entreprises, ce qui, en droit, constitue un délit. Il est possible de vérifier l’origine des fonds qui, via telle ou telle fondation, participent à la construction d’un édifice religieux, quel qu’il soit d'ailleurs – cela concerne toutes les religions. En tout état de cause, il ne faudrait pas qu’un tel dispositif conduise à des stigmatisations.

La sixième proposition ne semble pas – il y aura sans doute débat – réellement de nature à simplifier les choses. Vous questionnez la distinction entre cultuel et culturel. Parfois très difficile à établir, cette distinction s’accommode mal d’une interprétation figée.

Il est donc préférable, nous semble-t-il, de privilégier, comme aujourd’hui, le cas par cas sur la base de la circulaire du 29 juillet 2011. C’est plus simple et, à mon avis, plus efficace.

Deux de vos propositions – les troisième et quatrième – ouvrent des pistes intéressantes. Cependant, le Gouvernement, avant d’envisager de telles mesures, souhaite réfléchir à des solutions dans le cadre de la législation existante. Des réflexions seront engagées sur ce sujet. Il s’agit de questions justes auxquelles nous allons essayer de répondre sans ouvrir la porte de la loi.

La cinquième proposition, relative à l’intégration, au sein des PLU, de zones susceptibles d’accueillir des édifices cultuels, semble, elle, de nature à favoriser l’implantation d’édifices cultuels là où ils sont nécessaires. Le Gouvernement va y travailler.

J’ai entendu les remarques des uns et des autres sur les effets négatifs que pourrait induire l’adoption d’une telle proposition, notamment celles de M. Vandierendonck. Nous allons regarder comment cela pourrait se faire, quels seraient les modalités de mise en œuvre, les avantages comme les inconvénients, avant de trancher. Je pense que c’est la sagesse.

Une réunion, présidée par le Premier ministre, devrait se tenir le plus vite possible pour aborder l’ensemble de ces questions en considération du travail que vous avez réalisé. Des mesures plus précises seront documentées, pesées au trébuchet de la loi et de notre volonté de rechercher une société apaisée.

À n’en pas douter, les échanges riches que nous avons eus aujourd’hui viendront alimenter la réflexion. Donnez-nous un peu de temps pour examiner chacune de vos interventions.

Nous devons également réfléchir à d’autres sujets, lesquels, je le sais, vous intéressent. Je pense, par exemple, à la récurrente question funéraire. J’ai la conviction que nous n’avons pas la réponse parfaite. Aujourd’hui, nous essayons de trouver des solutions très empiriques, alors que d’autres pistes de réflexion existent. C'est la raison pour laquelle il me semble important de mettre ces questions à l’ordre du jour de nos travaux.

À la suite de la réunion dont j’ai parlé, j’espère que nous pourrons continuer à travailler ensemble sur cette question des financements des lieux de culte en dépassant toutes les postures et en gardant à l’esprit la raison d’être du principe de laïcité.

Ce que nous offre ce principe, peu de pays l’ont. Il peut éviter bien des déséquilibres à une société qui se fracture. Il s’agit d’un point d’équilibre fort, d’un élément fédérateur de tous les citoyens. Le principe de laïcité – et le principe de concorde qui l’accompagne – est sans doute ce qui fait que nos sociétés tiennent mieux que d’autres.

De telles questions réclament que nous avancions de manière prudente et constructive, sans stigmatiser personne. Je ne peux, à cet égard, que déplorer certaines citations qui, parfois, servent à montrer du doigt les uns pour conforter les autres, alors que nous devrions apprendre aux uns, notamment aux plus jeunes, à respecter les autres.

Mais nous avons un autre ennemi, je veux parler des réseaux sociaux, grande source d’échanges, mais aussi facteur de fractures bien plus graves.

Les élus de la Nation doivent faire de la laïcité un ciment commun, un vecteur d’éducation - au sens vrai du terme – en même temps qu’un vecteur de culture.

C’est de cette manière que nous pourrons avancer avec nos voisins européens, dont peu, très peu disposent d’une constitution laïque. C’est aussi de cette manière que nous pourrons tendre la main à nos amis d’outre-Méditerranée, notamment. Car, oui, la laïcité peut devenir l’élément majeur des modèles de société du XXIe siècle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir initié ce débat.

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