Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, historiquement, les acteurs français du ferroviaire, qu’ils soient publics ou privés, ont toujours été en pointe pour le développement de ce mode de transport, qu’il s’agisse des aspects techniques et technologiques ou de l’organisation du système. De la conception des voies à la mise au point des matériels roulants, de la gestion des infrastructures à l’organisation des services, les compétences et le savoir-faire français font référence, et les réussites enregistrées sur le marché national ont contribué aux succès remportés sur les marchés internationaux.
Il est important de rappeler, par exemple, que nous sommes pionniers sur des technologies d’avenir reconnues au niveau mondial, telles que le tramway sans caténaire avec alimentation par le sol ou encore le métro automatique. Il est également important de souligner que notre industrie ferroviaire, qui compte de nombreux leaders mondiaux, peut s’appuyer sur des ingénieurs de très haut niveau, issus de la SNCF, de la RATP ou de diverses autres filières.
L’industrie ferroviaire française se classe aujourd’hui au troisième rang mondial, derrière l’Allemagne et la Chine, pour le chiffre d’affaires, même si ce dernier a légèrement baissé entre 2012 et 2013, passant 4, 2 milliards à 4, 1 milliards d’euros.
On soulignera que cette industrie connaît un développement important à l’international, son chiffre d’affaires à l’export ayant augmenté de plus de 60 %. En revanche, sur le marché national, la baisse est de 16 %, avec un revenu total de 2, 6 milliards d’euros. Seule l’activité « infrastructure », qui ne représente que 13 % de l’activité globale, augmente de 14, 7 %.
Ne nous y trompons pas, bien que l’industrie ferroviaire française soit mondialement reconnue, elle présente un certain nombre de faiblesses : en particulier, une insuffisante structuration de son offre et des coopérations encore à améliorer, notamment sous l’impulsion de l’organisme Fer de France.
Par ailleurs, les menaces sont réelles.
Certes, le marché ferroviaire est en pleine croissance, porté par le renouvellement des parcs de trains des principaux transporteurs européens et par la demande des pays émergents. Toutefois, si le marché du matériel roulant est fortement concentré entre les trois principaux constructeurs-ensembliers mondiaux – Bombardier, Siemens et Alstom –, son essor profite à de nouveaux équipementiers de dimension internationale. En somme, la concurrence s’organise.
On relèvera ainsi la récente fusion des deux constructeurs chinois, CNR et CSR, à présent leader ferroviaire mondial. La naissance de ce mastodonte de l’industrie ferroviaire ne peut nous laisser indifférents. Les constructeurs chinois ont des coûts de production de 20 % à 30 % moins élevés que leurs principaux concurrents. La toute nouvelle entité issue de la fusion bénéficiera, en outre, du soutien politique et économique de l’État chinois et, en particulier, de conditions de financement sans équivalent.
Et que dire du rachat d’Ansaldo – le champion ferroviaire italien – par Hitachi, qui permet à ce concurrent nippon de disposer en Europe d’une véritable tête de pont, tant sur le marché du matériel roulant que sur celui de la signalisation ? Le savoir-faire français de l’ancienne Compagnie des Signaux, rachetée il y a plus de quinze ans par Ansaldo, et qui équipe toutes les grandes lignes du réseau ferré national, vient de « filer » ainsi en Asie, sans garanties sur la protection des droits industriels.
L’émergence de cette nouvelle concurrence, le protectionnisme de nombreux marchés porteurs ainsi que la contraction des finances publiques dans l’ensemble des pays européens sont bel et bien des menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’industrie ferroviaire française.
Ce contexte global inquiète légitimement nos entreprises. Et il pourrait avoir des conséquences terribles sur l’emploi. Rappelons que le ferroviaire totalise 21 000 emplois directs et 84 000 emplois induits sur le territoire national. Près de 15 000 emplois directs et indirects seraient menacés d’ici à 2018 – c’est-à-dire demain –, principalement dans les quatre grands bassins d’emplois industriels que sont l’Alsace, le Nord-Pas-de-Calais, le Poitou-Charentes et la Franche-Comté. Ces craintes sur l’emploi sont d’autant plus fortes que le secteur ferroviaire connaît, comme d’autres secteurs industriels, une accentuation des mouvements de délocalisation.
À la lumière de cette série de constats, certains projets paraissent aujourd’hui vitaux pour l’ensemble de la filière.
S’agissant du TGV du futur, le dernier TGV commandé sortira d’usine en 2019. La SNCF soulève à juste titre des questions sur la rentabilité de son modèle de lignes à grande vitesse. Tout l’enjeu va être de proposer rapidement un matériel capable de proposer davantage de sièges et d’engendrer plus d’économies d’énergie, au moment de remplacer les matériels vieillissants, tout en offrant un plus grand confort aux passagers et une meilleure rentabilité à l’exploitant.
En visite chez Alstom et General Electric, à Belfort, à la fin mai, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique a annoncé le lancement par la SNCF d’un appel d’offres pour le TGV du futur avant fin juin. Il a largement insisté sur le rôle de l’État envers Alstom et la filière ferroviaire, ce dont nous nous réjouissons tous.
Concernant le RER de nouvelle génération, pour la SNCF, deux appels d’offres ont été successivement lancés puis annulés depuis 2012. Le troisième appel d’offres vient d’être lancé. Il faut espérer que ce projet, vital pour la filière française, puisqu’il représentera jusqu’à 5 milliards d’euros d’activité sur quinze ans, pourra rapidement se concrétiser.
S’agissant du renouvellement des trains Corail, les fameux trains d’équilibre du territoire, la commission présidée par Philippe Duron vient de rendre son rapport, qui contient notamment des préconisations relatives au matériel roulant. Il est noté que « l’effort réalisé en faveur du renouvellement du matériel roulant doit être poursuivi […] puisque, d’ici à dix ans, toutes les voitures seront arrivées à obsolescence ».
La commission Duron indique également qu’une « forte anticipation de l’État sera nécessaire pour préparer au mieux les appels d’offres, qui devront être lancés dès que possible afin de permettre des livraisons au plus tard à horizon 2022-2025 en fonction des lignes ». Il s’agit enfin de « donner de la visibilité aux différents acteurs des filières industrielles ».
Soulignons que les comparaisons européennes réalisées par la commission Duron l’ont convaincue de recommander l’expérimentation, à l’occasion du renouvellement du matériel roulant, du recours à une maintenance exercée par le constructeur. Ce sont de nouveaux marchés en perspective, et donc de bonnes nouvelles.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’industrie ferroviaire est l’un de nos fleurons. Elle est importante pour l’économie nationale, pour les territoires, pour l’emploi ; elle est même stratégique, comme on peut le voir avec Alstom. On ne répétera jamais assez que l’État doit jouer un rôle de pilote et de stratège, et associer l’ensemble des acteurs du secteur.
Pour notre pays, dans les années à venir, les défis ne manquent pas. Il nous faudra notamment tenter de définir, à l’échelon européen, une filière ferroviaire capable, comme dans le secteur de l’aéronautique, de concurrencer les grands constructeurs étrangers : il s’agit de bâtir une sorte d’Airbus du transport ferroviaire.
La force d’une filière industrielle est indissociable d’un marché intérieur dynamique. Mais, avec un marché domestique pour l’heure en repli, il nous faudra trouver de nouveaux relais de croissance à l’international, autrement dit continuer à exporter et, plus que tout, à innover.
En effet, la recherche et développement devra être au cœur de nos priorités. Dans un marché international ouvert et compétitif, la position concurrentielle de nos entreprises ne pourra s’affirmer que par l’innovation. De même, nous le savons, il n’y aura pas de mobilité durable et performante sans innovation.
Le coût des énergies et, plus globalement, les enjeux environnementaux doivent donc être des aiguillons nous encourageant à inventer, pour nous et pour les autres, le ferroviaire de demain.