Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors d’un déplacement en Franche-Comté, le 28 mai dernier, à l’usine Alstom de Belfort, dont environ la moitié des emplois serait menacée, le ministre de l’économie a expliqué les pertes d’emplois industriels dans les secteurs du ferroviaire et du nucléaire essentiellement par la mauvaise organisation industrielle, ainsi que par la faible part de l’investissement privé. Il a ajouté : « Mais nous allons désormais écrire une nouvelle page de la France industrielle. »
Voilà une ambition que le RDSE partage totalement – et j’espère que c’est le cas du Sénat dans son ensemble –, tant une industrie forte est indispensable au développement économique et à l’emploi dans notre pays.
Mais, pour le moment, la réalité semble bien différente. Un certain nombre de questions se posent. Le présent débat, organisé sur l’initiative de la commission du développement durable, est l’occasion de les formuler.
Au troisième rang mondial après l’Allemagne et la Chine, la filière ferroviaire française souffre de la baisse des carnets de commandes pour les trois prochaines années, menaçant ainsi l’emploi, comme en témoigne l’alerte lancée par la Fédération des industries ferroviaires et évoquant 10 000 à 15 000 emplois concernés.
Pourtant, il s’agit incontestablement d’un secteur d’avenir dans les pays émergents, qui doivent répondre à la demande croissante de mobilité résultant de la forte urbanisation, mais aussi dans le monde, avec la nécessaire modernisation des infrastructures et du matériel roulant.
Or l’industrie ferroviaire française peut notamment compter sur son savoir-faire à l’exportation, avec une croissance de 60 % à 70 % en 2013 pour le matériel roulant et les signalisations. Ce secteur est également porteur en France puisque les infrastructures et le matériel roulant souffrent d’un sous-investissement chronique, qui perdure depuis trente ans.
S’il existe un marché considérable dans notre pays, avec le renouvellement des rames de la première génération de TGV, de l’ensemble des trains d’équilibre du territoire et des trains express régionaux, ainsi que l’acquisition des futurs métros du Grand Paris ou des tramways, force et de constater que l’industrie ferroviaire française est surtout pénalisée par une régression de la commande publique.
Cela met en difficulté les grands constructeurs, mais aussi les petits équipementiers qui en dépendent. Cette situation peut entraîner des retards de livraison, comme c’est le cas actuellement des trente-quatre trains Coradia Liner.
Cette industrie subit, de surcroît, la concurrence des autres modes de transport, l’aérien, notamment avec les compagnies aériennes low cost, et le routier, qui ont indirectement bénéficié du manque d’investissements de l’État en matière d’infrastructures ferroviaires. À cela s’ajouteront prochainement l’ouverture à la concurrence des liaisons par autocar prévue par le projet de loi Macron et les fermetures de lignes TET, qui semblent se profiler avec la publication le 25 mai dernier du rapport Duron, au risque de favoriser encore un peu plus le report du mode ferroviaire sur le mode routier, de manière peu cohérente avec la transition écologique.
Toutefois, ce qui pénalise réellement l’industrie ferroviaire, c’est bien l’absence de stratégie claire du Gouvernement ou de décisions fermes. Nous avons pu le constater avec l’abandon laborieux de l’écotaxe poids lourds, non compensé par des ressources pérennes, alors que le financement des transports ferroviaires est loin d’être assuré au moment où la dette du secteur atteint 40 milliards d’euros.
Cette politique des transports hésitante et confuse donne une mauvaise visibilité à nos grands constructeurs et aux milliers de petites et moyennes entreprises qui rencontreront des difficultés à se positionner sur le plan international. Il en résultera, comme pour le nucléaire, une perte d’expertise et de savoir-faire, donc des destructions d’emplois.
Au moment de la fusion des grands constructeurs chinois CNR et CSR, du rachat de l’italien Ansaldo STS par le japonais Hitachi, et avec un groupe Alstom fragilisé par la vente de sa branche « énergie », il y a urgence à agir.
Il convient de revoir le mode de financement des transports ferroviaires et leur modèle économique, à la veille de l’ouverture des lignes intérieures à la concurrence, prévue pour 2019, à laquelle la France n’est manifestement pas assez préparée.
En outre, le rapprochement avec les autres constructeurs européens est souhaitable, en vue d’assurer l’interopérabilité des réseaux européens et la standardisation du matériel.
Un appel d’offres devrait être lancé à la fin du mois de juin pour le TGV du futur. Pour autant, est-ce compatible avec la priorité que le Gouvernement prétend accorder aux trains du quotidien, à l’heure où la ressource publique se fait rare ?
L’ambition que le Gouvernement porte pour les grands projets est saine, à condition de prévoir les financements correspondants. Sinon, à quoi bon ?
Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, nous espérons que vous pourrez nous éclairer sur la stratégie du Gouvernement pour soutenir l’industrie ferroviaire française et l’aider à demeurer une filière d’excellence, avant qu’il ne soit trop tard.
De même, sur l’éventuelle prise de participations de l’État au sein d’Alstom, nous attendons vos éclaircissements, comme les salariés concernés, y compris ceux des nombreux sous-traitants.