Intervention de Jean-Jacques Filleul

Réunion du 9 juin 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « l'avenir des trains intercités »

Photo de Jean-Jacques FilleulJean-Jacques Filleul :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer, a été mise en place au mois de novembre dernier afin de clarifier l’offre des TET et de redresser le modèle économique de ce service ferroviaire, aujourd’hui maillon faible du réseau, entre TGV et TER. Je me félicite de la tenue de ce débat, qui intervient à point nommé, alors que le rapport a été fortement critiqué avant même de vous avoir été présenté, monsieur le secrétaire d’État, le 26 mai dernier.

La commission a travaillé dans la perspective du renouvellement de la convention d’exploitation des TET entre l’État, les régions et SNCF Mobilités, au tout début de l’année 2016. Elle a donc été chargée de formuler des recommandations en vue de remédier à la dérive financière des TET, de dessiner des perspectives de long terme afin de proposer au public et aux territoires des solutions de mobilité de notre temps, de faire percevoir demain les trains d’équilibre du territoire comme une solution d’excellence, un marqueur de modernité, au même titre que les TGV et les TER.

Le rapport est sans complaisance. Nous considérons en effet que, si rien n’est fait, les TET disparaîtront d’eux-mêmes au fil de l’eau. Il y a urgence à agir. Nous tenons dans ce rapport un discours de vérité, pour alerter les pouvoirs publics et permettre au Gouvernement de reprendre les mesures qu’il souhaitera développer.

Nous avons travaillé six mois et mené plus de cinquante auditions avec tous les acteurs du système ferroviaire. Nous voulions mieux appréhender les complexités, les difficultés, mais aussi les atouts des trains d’équilibre des territoires. Cela est fait au travers du rapport.

Nous nous sommes déplacés en France, en Autriche, en Allemagne et au Royaume-Uni, pour analyser les modèles de nos voisins, en prenant soin d’en adapter les enseignements aux particularités françaises.

Il est utile de préciser que l’appellation unique de TET recouvre en réalité trente lignes allant du grand bassin parisien – avec des trafics essentiellement pendulaires – aux radiales et transversales de longue distance, en passant par les dessertes interrégionales de plus courte distance, ainsi que huit lignes de nuit.

Aujourd’hui, l’offre des TET ne répond plus aux besoins de mobilité des voyageurs et des territoires. La régularité, la ponctualité des trains, jadis fiertés des cheminots, se sont dégradées de manière préoccupante pendant les deux dernières décennies. Le manque d’investissement, l’absence de décisions stratégiques en sont les causes essentielles. J’y ajoute la détérioration de l’infrastructure, insuffisamment entretenue, ainsi que le vieillissement du matériel roulant, dont l’âge moyen est supérieur à trente ans.

De plus, l’offre n’a pas été adaptée aux évolutions considérables intervenues en termes de mobilité de nos concitoyens.

Enfin, si les services rendus par les trains de nuit pour les différents territoires desservis sont incontestables, convenons que ces trains sont très faiblement fréquentés, en raison notamment de la réduction de l’offre.

Notre rapport constate l’inadéquation de l’offre des TET aux besoins de mobilité. Celle-ci se traduit par exemple par un niveau de subventionnement public par voyageur très élevé et en forte croissance. Ces subventions varient de 5 euros à plus de 275 euros par voyageur pour les seules lignes de jour. S’il est légitime que les contribuables participent au titre de l’aménagement du territoire et de la solidarité territoriale, ce rythme d’évolution n’est pas soutenable dans le temps. Il appelle un redimensionnement de l’offre et une meilleure répartition du financement en fonction des besoins des voyageurs.

Pour aller au cœur du sujet, la commission considère que bon nombre des difficultés constatées sont principalement imputables au partage confus des responsabilités entre l’État et SNCF Mobilités, qu’il s’agisse de l’élaboration du plan de transport ou de la concertation à mener avec les différentes parties prenantes. En fait, l’État ne s’est pas donné les moyens de jouer véritablement son rôle d’autorité organisatrice, ce qui a amené l’opérateur historique à exercer des responsabilités qui relèvent de l’État.

Enfin, et ce constat est très positif, la France bénéficie aujourd’hui d’une conjonction de facteurs favorables pour adapter le segment Intercités aux besoins des voyageurs et le moderniser.

Cela conforte notre volonté de faire en sorte que les TET retrouvent leur place, leur rôle majeur : relier les villes moyennes aux villes-centres. Il a donc fallu recenser l’offre des TET et examiner la gouvernance du système.

Pour renforcer le rôle de l’autorité organisatrice, nous proposons que cette mission soit confiée à une agence ad hoc, instaurée sous la forme d’un établissement public administratif de plein exercice.

Les études nous ont montré qu’il fallait revoir chaque ligne TET. Pour l’essentiel des lignes, la commission propose de renforcer l’offre, en particulier sur les tronçons à très fort potentiel, en vue de proposer un service cadencé à l’heure, fortement attractif. Par ailleurs, l’opérateur historique doit faire d’importants efforts de productivité.

La commission propose d’adapter l’offre à la demande sur la plupart des autres tronçons à plus faible trafic, en tenant évidemment compte de l’offre des TER existants. En revanche, pour cinq tronçons, la commission estime que la desserte par TET ne se justifie plus, soit parce que l’offre ferroviaire n’a qu’une faible compétitivité par rapport à la route, notamment, soit parce que l’offre de TET coexiste avec des offres de TER ou de TGV plus performantes.

Pour les lignes de nuit, le rapport préconise de conserver les liaisons indispensables pour les territoires et les populations et pour lesquelles il n’existe aucune offre alternative performante.

Toutes ces propositions, ligne par ligne, ont été inscrites en annexe du rapport, que chacun peut consulter sur le site internet du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Par ailleurs, il ne peut y avoir de TET d’avenir sans renouvellement du matériel roulant à l’horizon 2020-2025. Nous l’avons vu, le matériel actuel, qui compte des machines de quarante ans d’âge, doit être impérativement remplacé par du matériel neuf, ce qui permettra une amélioration des services, de la qualité et de la régularité. Pour aller vite, nous recommandons que les procédures soient lancées sans attendre, afin de donner un signal positif à l’ensemble des acteurs, en premier lieu aux constructeurs. De 1, 5 milliard à 3 milliards d’euros devront ainsi être mobilisés d’ici à 2025 par l’État. Ces investissements sont indispensables ; s’ils ne sont pas réalisés, à l’échéance, les trains d’équilibre du territoire pourraient disparaître.

Il en va de même de la dérive financière. Nos propositions permettraient de rester, à l’horizon 2020-2025, au même niveau de déficit qu’aujourd’hui, soit environ 300 millions d’euros.

L’attachement au service public, lequel garantit à chacun de pouvoir se déplacer commodément sur l’ensemble du territoire, prédomine dans le travail que nous avons accompli. Pour nous, il ne pouvait y avoir de territoire laissé sans solution.

Pour conclure, nous proposons plusieurs orientations stratégiques importantes pour revoir durablement le modèle des TET.

Nous préconisons la mise à l’étude de la reprise par les régions de certaines dessertes du grand bassin parisien à fort trafic pendulaire, en contrepartie de compensations financières.

Nous recommandons le lancement d’une expérimentation d’ouverture à la concurrence de lignes TET, sous la forme de délégations de service public, en particulier sur certaines lignes de nuit, afin de préparer l’opérateur historique à l’arrivée de concurrents à partir de 2019. L’exemple du fret montre, s’il en était besoin, la nécessité d’anticiper l’ouverture très en amont.

Nous proposons l’introduction de nouvelles modalités d’acquisition et de portage du matériel roulant, celui-ci devant être mieux adapté aux besoins d’exploitation de chaque groupe de lignes.

Certains objecteront qu’il s’agit simplement d’un rapport de plus. Je leur répondrai qu’il propose avec force de relever le défi, afin que les TET retrouvent leur pertinence, entre TGV et TER. Pour sauver l’offre des TET, il faut agir vite et regarder loin. Il faut des mesures fortes qui s’inscrivent dans une vision renouvelée du système ferroviaire. Cette vision, cette stratégie, c’est l’État seul, en concertation avec tous les acteurs, qui peut la définir et la mettre en œuvre. Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur vous pour remettre les TET sur de bons rails.

S’il fallait retenir une seule idée de ce rapport, c’est bien qu’il met l’usager au cœur de l’évolution des mobilités et de l’offre des trains d’équilibre du territoire. Les TET participent de la vie quotidienne d’une centaine de milliers de concitoyens. Notre devoir collectif est de leur redonner leur place, la meilleure, au sein de l’offre de transport ferroviaire. Le déclin des TET n’est pas une fatalité.

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