Intervention de Marc Guillaume

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 4 juin 2015 à 9h00
Audition de M. Marc Guillaume secrétaire général du gouvernement

Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement :

Votre questionnaire portait d'abord sur le recensement des AAI, leur périmètre et les critères qui les distinguent. La notion d'autorité publique indépendante (API) est claire : ce sont des AAI dotées de la personnalité morale. Les sept API ont été créées par loi : l'Agence française de lutte contre le dopage, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf), l'Autorité des marchés financiers (AMF), le Haut conseil du commissariat aux comptes, la Haute autorité de santé (HAS), la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Les AAI sont moins précisément définies, leur qualification pouvant résulter de la loi, d'un acte réglementaire, de la jurisprudence ou d'un avis des formations consultatives du Conseil d'État. Le site internet Legifrance a recensé 40 organismes qualifiés d'AAI, notamment par le rapport public du Conseil d'État de 2001.

Ces organismes sont des autorités qui ne peuvent pas avoir seulement un rôle consultatif, sauf indication expresse de la loi, notamment dans le champ des libertés comme la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Le critère de l'autorité est sûrement rempli quand elles disposent de prérogatives de puissance publique et d'un pouvoir de décision.

Elles sont indépendantes, car les membres du collège ont un statut personnel : leurs mandats sont irrévocables, à caractère non renouvelable, de durée fixe et assez longue, avec un régime particulier d'incompatibilités. Cette indépendance ne suppose pas de disposer de recettes propres comme une redevance dont elles fixeraient le montant - les ressources budgétaires des tribunaux n'empêchent pas l'indépendance de la magistrature.

Elles sont administratives, parce qu'elles n'ont en principe pas la personnalité juridique et ne sont pas extérieures à l'État. Sans être rattachées aux structures hiérarchiques de l'administration centrale, elles agissent au nom et pour le compte de l'État : elles ne forment pas un quatrième pouvoir. Composantes du pouvoir exécutif, elles voient leur lien avec le Parlement se renforcer tout en restant des autorités administratives : elles engagent la responsabilité de l'État par leurs actes dommageables.

En deuxième lieu, le législateur a harmonisé successivement depuis plusieurs années le droit des AAI sur plusieurs sujets, ce qui rend sans objet l'idée, par ailleurs délicate, d'un statut commun. Le contrôle du Parlement a été renforcé par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : l'article 13 de la Constitution impose désormais un avis public des commissions compétentes de chaque assemblée pour certaines nominations du président de la République pour des emplois « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». Selon la loi organique du 23 juillet 2010, cela concerne seize AAI.

En matière de déontologie, l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique oblige les membres des AAI et des autorités publiques indépendantes à adresser une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Les travaux préparatoires de cette loi donnaient une acception large de la notion d'AAI - comprenant notamment la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) que la loi ne qualifie pas expressément d'AAI. Le décret du 1er juillet 2014 relatif à la gestion des instruments financiers détenus par les membres du gouvernement et par les présidents et membres des AAI conforte cette interprétation large.

Le II de l'article 74 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes habilite le gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de 12 mois, les mesures législatives pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes au sein des AAI et API. Le gouvernement publiera cette ordonnance avant l'été pour que l'écart maximal entre les femmes et les hommes au sein du collège de chaque autorité soit égal à un, ou le plus proche possible en cas de nomination d'un nombre pair de membres, de même qu'en cas de désignation d'un seul membre ou par plusieurs personnes.

Les principes d'indépendance et d'impartialité sont garantis grâce à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui les rattache à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme, que les AAI exercent ou non des fonctions qualifiées par la loi comme juridictionnelles (décisions n°2011-200 QPC du 2 décembre 2011 et n°2012-280 QPC du 12 octobre 2012 sur la société Groupe Canal Plus). Le Conseil constitutionnel s'assure que fonctions de poursuite et d'instruction sont effectivement séparées du pouvoir de sanction. Cela n'impose pas un seul modèle : séparation organique ou séparation fonctionnelle peuvent toutes les deux satisfaire aux exigences constitutionnelles, comme l'admet la décision sur l'Autorité de la concurrence du 12 octobre 2012.

Dernière convergence, le régime des sanctions et des poursuites par les AAI et le juge pénal. Le cumul des sanctions ne pose pas de difficulté constitutionnelle majeure d'après une jurisprudence du Conseil constitutionnel constante depuis 1982. Le concept de cumul de poursuites a été précisé par la décision n°214-453/454 QPC et n°215-462 QPC du 18 mars 2015 sur l'Autorité des marchés financiers qui appelle cependant à une révision législative sur le cumul des sanctions.

Le législateur a bâti règle par règle des dispositifs communs aux AAI, mais il est difficile d'imaginer un cadre unique - et encore moins une loi-cadre - étant donné la variété de leurs missions comme de leur champ d'action.

Troisième point de votre questionnaire, conformément à la loi organique, la création d'une AAI doit faire l'objet d'une étude d'impact sur ses motifs, ses objectifs, l'évaluation de ses incidences et ses coûts. Aucune fusion d'AAI n'a suivi celle créant le Défenseur des droits, mais la CNCIS est en cours de transformation en Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) dans le projet de loi sur le renseignement. Par ailleurs, le projet de loi sur le numérique pourrait comprendre des dispositions sur différentes AAI, notamment sur la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada).

Quatrièmement, le dialogue de gestion est effectué sous la responsabilité du Secrétariat général du gouvernement. La mission « Direction du gouvernement » regroupe trois programmes, dont deux concernent les AAI : le programme 308 « Protection des droits et des libertés » et le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental ». Responsable de la fonction financière ministérielle, la direction des services administratifs et financiers (DSAF) assiste le SGG dans ses fonctions et pilote le budget et le suivi de gestion en lien avec le contrôleur budgétaire et comptable ministériel.

Le programme 308 regroupe les crédits de sept AAI : la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la Cada, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), la CNCIS, la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il reprend aussi les crédits de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), du Défenseur des droits - autorité constitutionnelle indépendante - et du CSA. Le programme 129, lui, concerne le Comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires, qualifié d'AAI par la loi du 18 décembre 2013.

La charte de gestion du programme 308 prévoit deux comités de pilotage (Copil) par an, sous la présidence du secrétaire général du Gouvernement, où toutes les AAI sont représentées à un niveau décisionnel. En juin, le Copil examine le début de la gestion, les prévisions d'exécution et la préparation de la future loi de finances, celui de novembre étudiant le schéma de fin de gestion et les éventuelles réallocations budgétaires. Il en est de même pour le programme 129.

La conduite budgétaire par la DSAF respecte l'indépendance des AAI qui l'informent régulièrement. Des fiches détaillées portent les demandes des AAI dans les conférences budgétaires, et font parfois l'objet de réunions préparatoires. Les plus grosses API comme le Défenseur des droits, la Cnil ou le CSA participent directement à ces conférences, tandis que les autres sont représentées par la DSAF. Depuis sa transformation en AAI par la loi, le CSA bénéficie d'une subvention de titre VI couvrant ses besoins en masse salariale et en fonctionnement.

Pour le suivi de gestion, chaque AAI dispose d'un budget opérationnel de programme propre. La plupart des AAI sont exonérées de contrôle budgétaire, partant de formalités administratives auprès du contrôleur budgétaire, mais transmettent des éléments de programmation à la DSAF, avec laquelle elles échangent très régulièrement pour actualiser l'exécution budgétaire.

Dernier élément, les modalités de prise en charge des fonctions support. L'appui aux AAI n'est pas homogène. Si la DSAF soutient largement les AAI dans les domaines des finances et des achats, son intervention n'est pas uniforme pour les activités d'administration générale. La mutualisation de certaines fonctions entre les services du Premier ministre et ceux des AAI est engagée afin d'en réduire le coût et de simplifier l'organisation, en fonction des thématiques - finances, achats, RH, téléphonie...- et en fonction de la taille des AAI. La DSAF peut soutenir totalement (CNCDH, CCNE) ou partiellement (Défenseur des droits, Cnil), les plus grosses AAI disposant de plus de moyens. Les plus petites AAI bénéficient d'un appui complet de la DSAF, depuis l'informatique jusqu'au gardiennage. Trois AAI (Cnil, Défenseur des droits et CSA) disposent de leur plateforme Chorus, les autres dépendant directement de la DSAF.

Je pourrai vous transmettre les tableaux de répartition du personnel, contractuel, titulaire ou vacataire. La gestion des personnels des AAI relève de leur propre compétence, le Secrétariat général du gouvernement n'assurant que la paie, à l'exception de la CNCDH pour laquelle nous assurons la gestion et la paie.

Nous projetons de rassembler des AAI et des services du Premier ministre dans l'immeuble Ségur-Fontenoy, afin de regrouper 2 300 postes de travail en améliorant le ratio d'occupation. La plupart des AAI rejoindront cet ensemble, le Défenseur des droits et la Cnil en septembre 2016, d'autres AAI - dont la Cada, le CCNE et la CNCDH en septembre 2017, comme les services du Premier ministre. La mutualisation des fonctions support dégagera des économies en emplois et en fonctionnement.

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