Permettez-moi tout d'abord d'exprimer une conviction personnelle forte. Le contrôle du Parlement est un élément essentiel de la fonction de régulation. C'est pourquoi, bien que l'audition préalable à la nomination du président de l'Arjel par les commissions parlementaires ne soit toujours pas inscrite dans la loi, j'ai apprécié que la commission des finances du Sénat m'entende le lendemain de ma nomination par le Président de la République, le 26 février 2014. Votre commission d'enquête me donne une occasion supplémentaire d'évoquer devant vous l'organisation, le fonctionnement et l'activité de l'Arjel. C'est important pour l'Autorité, et je vous en remercie.
L'Autorité de régulation des jeux en ligne a été créée par la loi du 12 mai 2010, qui organisait l'ouverture à la concurrence des jeux d'argent et de hasard en ligne. Ainsi que vous le relevez, c'est la loi qui a qualifié l'Arjel d'autorité administrative indépendante, sans la doter de la personnalité morale.
Cette décision d'ouvrir le secteur des jeux d'argent à la concurrence était motivée par la pression exercée par la Commission Européenne et par l'importance du jeu illégal en ligne. Le législateur, soucieux des risques que comporte le jeu d'argent en termes d'ordre social et d'ordre public, a veillé à organiser une ouverture maîtrisée. Pour prévenir les risques d'addiction, de fraudes et de manipulations, de blanchiment et de financement d'organisations terroristes, il a retenu des dispositions qui pour certaines sont spécifiques au modèle français. Ainsi, l'offre en ligne est-elle limitée à trois segments de jeux : les paris sportifs, les paris hippiques et certains jeux de cercle, essentiellement le poker. Les machines à sous en ligne, considérées comme très addictives, ont été écartées. En outre, les événements et les types de résultats pouvant faire l'objet de paris sont strictement encadrés : la liste « sport » gérée par l'Arjel sélectionne les compétitions ouvertes aux paris en fonction de leurs enjeux sportifs et financiers. Tout ce qui est de nature à favoriser les manipulations est écarté de l'offre de paris.
C'est dans cet esprit que le législateur a conçu et organisé l'Arjel, en lui donnant les moyens et la capacité de mettre en oeuvre la politique de l'Etat dont l'objectif, aux termes de l'article 3 de la loi est « de limiter et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation ».
L'action de l'Autorité s'organise en quatre volets. Le premier est juridique. L'Arjel délivre aux opérateurs, après instruction des dossiers, les agréments qui les autorisent à offrir des paris et des jeux en ligne sur le marché français et s'assure ensuite du respect de leurs obligations.
Le deuxième volet de son action a trait au contrôle. L'Arjel s'assure de la sécurité et de la sincérité des opérations de jeux, organise la lutte contre les sites illégaux, la fraude, les manipulations et le blanchiment d'argent.
Le troisième volet est économique. L'Arjel supervise le marché pour s'assurer de la capacité des opérateurs à assumer leurs obligations.
Le quatrième volet, enfin, est sociétal. L'Arjel met en place des dispositifs de protection du joueur contre les risques d'addiction et lui donne tous les moyens d'être un consommateur éclairé et responsable.
Pour atteindre ces objectifs, l'Arjel dispose de moyens humains et financiers, dont le détail figure dans la réponse au questionnaire que vous nous avez adressé.
Un collège de sept membres, que je préside, se réunit toutes les trois semaines pour adopter les décisions relevant des missions de l'Autorité. Les membres du collège, nommés par le président de la République et les présidents des deux assemblées, ne sont pas, à l'exception du Président, des membres permanents ; ils sont rémunérés à la séance.
Les services de l'Autorité se composent actuellement de 55 personnes : les trois quarts sont des agents contractuels de droit public et le quart restant des fonctionnaires détachés sur contrat. En termes de qualification, trois quarts des personnels relèvent du cadre d'emploi A de la fonction publique.
J'ai été nommé par le Président de la République à la présidence de l'Arjel le 25 février 2014, pour un mandat de six ans. Ma nomination est sans doute due à mon expérience de chef d'un service du Contrôle général économique et financier, ainsi qu'à mon expérience de président de l'Observatoire des jeux, que j'ai installé à sa création en 2011 puis présidé jusqu'à aujourd'hui.
Cette expérience m'a conduit, dès mon arrivée, à me préoccuper des règles de bonne gestion au sein de l'Autorité, avec deux priorités. J'ai voulu, en premier lieu, simplifier l'organigramme et la ligne hiérarchique en supprimant des postes de directeurs non justifiés. L'exercice de la régulation repose sur trois dimensions - le contrôle, le juridique et l'économique. Un encadrement supérieur composé de neuf personnes, non compris le président, m'est apparu surdimensionné. L'Arjel ne compte plus aujourd'hui que cinq directeurs, dont un secrétaire général, qui mettent en oeuvre, sous l'autorité du directeur général dont la fonction est inscrite dans la loi, les orientations du président et du collège de l'Autorité. Il en est résulté des économies sur la masse salariale, même si l'impact en est limité par le versement de l'allocation de retour à l'emploi (ARE) qui incombe à l'Arjel. Cela présente aussi l'intérêt d'améliorer la réactivité et l'efficacité de notre action.
J'ai introduit les mêmes principes d'économie sur nos dépenses de fonctionnement, en revenant, notamment, à une politique de communication plus économe - la dernière campagne de communication, décidée avant mon arrivée, a coûté 900 000 euros !
Au total, en termes de coût budgétaire l'Autorité de régulation des jeux en ligne, c'est un peu plus de 9 millions d'euros en loi de finances initiales. Un certain nombre de fonctions sont mutualisées, moyennant remboursement, avec les services du secrétaire général des ministères économiques et financiers et nous bénéficions des audits assurés par les services de ces ministères.
Enfin l'Arjel est soumise au contrôle de la Cour des comptes, qui vient d'achever un rapport sur la période 2010-2014. S'il apparaissait nécessaire d'assurer un contrôle plus continu, j'indique qu'à mon sens, la mise en place d'un contrôle budgétaire n'est pas incompatible avec l'exercice plein et entier des compétences d'une autorité de régulation.
Ces ressources doivent être appréciées à la hauteur des enjeux en cause dans notre modèle de régulation. Le régulateur des jeux en ligne doit assurer l'équilibre entre le joueur, qui doit être protégé mais qui recherche une offre de jeu attractive, les opérateurs, sans lesquels il n'y a pas d'offre régulée, et l'État, qui porte une politique de protection des joueurs mais n'est pas insensible aux recettes fiscales de ce secteur. Il appartient au régulateur de surmonter ces contradictions pour faire vivre le marché des jeux d'argent et de hasard en ligne.
Aujourd'hui trois sujets me préoccupent tout particulièrement dans la recherche de cet équilibre. Le premier a trait à la situation du marché du jeu régulé : sur les trois segments de jeu ouverts, deux sont mal en point, le poker, en grande difficulté, et le pari hippique, qui connaît une stagnation. La situation économique des opérateurs agréés reste donc préoccupante.
Après l'engouement de l'ouverture, le nombre d'opérateurs est désormais stabilisé à 17 qui se partagent au total 31 agréments. Un peu moins de la moitié des opérateurs sont à l'équilibre en 2014. Les opérateurs ont d'ores et déjà sensiblement réduit leurs coûts, notamment les coûts de marketing. Il faut donc aller plus loin, dans deux directions.
La première consiste à travailler sur les charges : nous nous efforçons de simplifier et d'améliorer les procédures pour alléger le coût de la régulation. J'ai bien compris en effet qu'une évolution de la fiscalité n'est pas à l'ordre du jour même si le système d'imposition des mises pose à mon sens des difficultés et en posera de plus en plus dans la mesure où l'ensemble de nos voisins européens ont abandonné ce mode de calcul de l'impôt au profit d'une imposition sur le produit brut des jeux (PBJ), c'est-à-dire les mises diminuées des gains des joueurs.
La seconde est d'élargir l'offre de jeux : à cet égard les attentes et les propositions des opérateurs sont nombreuses. C'est en effet un levier de croissance possible. Il faut toutefois procéder au cas par cas, segment de jeu par segment de jeu et trouver des pistes d'amélioration qui préservent l'équilibre dont je parlais tout à l'heure et notamment la protection contre l'addiction.
Nous devons plus que jamais rester vigilants sur ce point. C'est là mon deuxième sujet de préoccupation. Les résultats de l'enquête conduite par l'Observatoire des jeux en partenariat avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) sur les pratiques des jeux d'argent et de hasard en France, en ligne et sur le réseau physique, ainsi que sur l'évolution du taux de prévalence du jeu problématique viennent d'être publiés : ils sont rassurants à court terme ; en effet le taux de prévalence du jeu excessif reste stable par rapport à 2010 : 0,4% de la population générale des 15-75 ans soit 200 000 personnes. Ils sont préoccupants pour l'avenir, en revanche, puisque la prévalence du jeu à risque modéré augmente sensiblement, de 0,9 % à 2,2 % faisant passer le nombre de joueurs entrant dans cette catégorie à un million d'individus. L'Arjel approfondit son action en faveur du jeu responsable. C'est une de mes priorités. L'inauguration le mois dernier par Christian Eckert du site EVALUJEU, conçu par l'Arjel, en est un exemple. Il propose à tous les joueurs qui le souhaitent mais aussi à leur entourage un outil scientifique d'évaluation en neuf questions et des conseils adaptés à chaque profil de réponses.
Pour autant, les évolutions à venir nous imposent d'aller plus loin. Pour être efficace la lutte contre les phénomènes addictifs liés au jeu nécessite une action globale car pour la plupart des joueurs, la distinction jeu en ligne/ jeu en dur n'est pas pertinente. L'étude de l'Observatoire des jeux montre que les joueurs à risque pratiquent pour la plupart une multi activité et jouent aussi bien en ligne que sur le réseau physique.
Troisième préoccupation enfin : l'offre illégale. L'Arjel mène depuis sa création un combat incessant à la fois contre les sites non agréés qui proposent les jeux autorisés par la loi - paris sportifs, paris hippiques poker - mais aussi contre tous les sites qui proposent des jeux prohibés - casinos en ligne notamment. Elle obtient des résultats en y mettant des moyens en ressources humaines et en expertise technique. Elle bénéficie de la compréhension du tribunal de grande instance de Paris, qui consacre tous les deux mois une audience spéciale à nos dossiers. Les résultats ne sont pas négligeables : le joueur respectueux de la loi ne peut pas se trouver par inadvertance sur un site illégal. Reste, en revanche, la question des joueurs déterminés à contourner la loi soit parce qu'ils sont interdits de jeux, soit parce qu'ils veulent pratiquer des jeux qui ne sont pas proposés sur les sites régulés, soit enfin parce qu'ils trouvent les conditions de l'offre non régulée plus attractive.
Le nombre de personnes jouant sur cette offre illégale est difficile à connaître précisément. Pour les seuls jeux de casino, l'Observatoire des jeux l'estime à 80 000, mais certains opérateurs l'évaluent à 600 000.
Au-delà de ces chiffres, la réalité c'est que beaucoup de ces joueurs sont en très grande difficulté et sans protection sur des sites illégaux qui livrent de surcroît une concurrence déloyale aux opérateurs qui ont choisi la légalité.
C'est donc pour l'Arjel un enjeu stratégique. Nous travaillons à accroître notre réactivité face à des sites qui à peine bloqués peuvent en l'espace de 24 heures renaître sous un nom de domaine à peine modifié.
Tels sont mes principaux sujets de préoccupation
Je rappelle, pour finir, que la loi de 2010 prévoyait une revoyure qui n'a jamais eu lieu. Je l'appelle de mes voeux car elle serait d'autant plus opportune que le monde des jeux en ligne a beaucoup évolué depuis 2010. Sans doute des modifications sont-elles intervenues à l'occasion de textes qui le permettaient, comme la loi relative à la consommation de mars 2014. Nous espérons qu'il en ira de même avec le projet de loi relatif au numérique. Mais nous devons je crois aller au-delà. Je n'ai malheureusement pas le temps de détailler, dans le cadre de cette présentation, les évolutions qui me paraissent souhaitables mais je suis à votre disposition pour répondre aux questions que vous souhaiteriez me poser sur ce point.