Intervention de Claude Kern

Réunion du 10 juin 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « l'avancée des négociations du traité transatlantique »

Photo de Claude KernClaude Kern :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédé à la tribune ont rappelé que le neuvième round des négociations relatives au partenariat – ou plutôt au traité – transatlantique de commerce et d’investissement, le TTIP, entre l’Union européenne et les États-Unis et à l’accord économique et commercial global, le CETA, entre l’Union européenne et le Canada s’était achevé à la fin du mois d’avril dernier.

Si la construction du plus grand espace économique du monde, qui assurera 60 % de la production économique mondiale et comptera 850 millions de consommateurs, avance, les parlements nationaux restent encore trop souvent, à mon goût, les oubliés des discussions. Aussi faut-il remercier le groupe Les Républicains d’avoir provoqué le présent débat, grâce auquel le Sénat peut formuler ses observations sur l’avancée des négociations.

Les sénateurs du groupe UDI-UC soutiennent le principe de la construction d’un grand ensemble transatlantique : dans un monde globalisé et polarisé par des puissances de dimension continentale comme la Chine, le Brésil, la Russie et l’Inde, l’approfondissement des liens entre l’Union européenne et les États-Unis est un vecteur de prospérité et de sortie de crise.

Bien évidemment, cette négociation n’est exempte ni de carences ni de zones d’ombre ; c’est précisément l’intérêt du débat public, et principalement du débat parlementaire, que de répondre à ces interrogations. De fait, la négociation suscite des crispations et de vrais blocages, dont la preuve la plus récente est le report in extremis du vote des députés européens sur le TTIP, qui devait avoir lieu aujourd’hui. Quelles sont, madame la secrétaire d’État, les raisons de ces crispations ?

En premier lieu, elles tiennent à un problème de méthode, que de très nombreux commentateurs ont souligné. Alors que le libre-échange nécessite, pour être économiquement efficace, une confiance réciproque, cette confiance, nécessaire à toute transaction, ne peut pas prospérer sur le sol européen compte tenu de l’opacité des négociations, qui engendre craintes et suspicions. À ce stade des discussions, le manque de transparence et le défaut d’information perçus par les citoyens entraînent une vive opposition de principe à la conclusion du traité.

Le débat parlementaire ayant précisément vocation à répondre à ce type de malaise, je regrette que nous n’ayons pas pu convenir de rendez-vous trimestriels en séance publique pour débattre de ces négociations. Souvenons-nous que les traités dont nous parlons devront être ratifiés par les États membres de l’Union européenne ; nous devons nous garder de considérer une fois encore les parlements nationaux comme des chambres d’enregistrement. À trop écarter le débat public national, vous prenez le risque, madame la secrétaire d’État – même si je sais que vous n’êtes pas la responsable de cette situation –, de contribuer à une cristallisation très aiguë des oppositions à cette belle idée de marché transatlantique.

En second lieu, sur le fond, les modalités envisagées pour l’arbitrage et pour les conditions effectives de l’accès aux marchés sont tout simplement inéquitables, au détriment des États membres de l’Union européenne.

D’abord, la procédure d’arbitrage privé dite règlement des différends entre investisseurs et États, ou RDIE, remet en cause la souveraineté de nos États et de nos peuples. Sans doute la création de ce mécanisme répondait-elle, à l’origine, à une ambition plutôt juste : protéger les investisseurs dans des pays où l’État de droit ou les systèmes juridiques sont défaillants ; mais, l’homme et le système ayant leurs travers, cet outil de protection juridique a été transformé en une puissante arme pour infléchir les législations nationales, dans le sens, bien sûr, des intérêts des investisseurs. Songeons, pour ne prendre que ces exemples, aux cas de l’industrie du tabac en Australie et de la filière nucléaire en Allemagne.

Dans sa forme actuelle, le dispositif expose nos États à l’obligation de verser des dédommagements substantiels aux investisseurs qui s’estimeraient lésés par l’évolution des réglementations nationales. Lorsque l’on sait que certaines sociétés multinationales réalisent un chiffre d’affaires plus élevé que le PIB de certains États membres, on imagine aisément, mes chers collègues, la capacité de dissuasion dont disposent ces firmes. Or la présidence lettone de l’Union européenne se refuse à ouvrir un débat sur cet aspect clef du traité transatlantique, les pays baltes étant très favorables à un traité de libre-échange les liant aux États Unis.

Deux pistes sont pourtant envisageables : refuser l’inclusion dans le traité d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, comme l’a fait l’Australie dans l’accord de libre-échange qu’elle a conclu avec les États-Unis en 2005, ou moderniser la procédure afin de garantir un meilleur équilibre entre la protection de l’investisseur et la souveraineté des États. Cette seconde piste pourrait prendre la forme, par exemple, de l’instauration d’une procédure d’appel devant un tribunal indépendant, pour garantir l’équité des arbitrages quel que soit l’État poursuivi.

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