Intervention de Didier Marie

Réunion du 10 juin 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « l'avancée des négociations du traité transatlantique »

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je remercie le Gouvernement pour l’effort de transparence engagé depuis deux ans. Il assume sa responsabilité d’informer, de rendre compte, d’éclairer et, si nécessaire, de convaincre.

Il me paraît utile de le souligner tant cette question de la transparence nous est posée. En effet, les négociations, même si la Commission a fait des efforts, échappent encore à la compréhension de nos concitoyens tant elles restent opaques et complexes.

Aussi, il est bon que le gouvernement français ait obtenu sous la présidence italienne la publication du mandat de négociation et qu’il ait élargi le comité de suivi stratégique aux ONG, aux syndicats et aux fédérations professionnelles.

Toutefois, le chemin à parcourir est encore long. On ne peut que regretter la position américaine qui maintient le secret sur son propre mandat.

Madame la secrétaire d’État, l’inquiétude sur les négociations demeure, les orateurs précédents l’ont d’ailleurs exprimé, et j’en évoquerai quelques aspects.

Le premier aspect concerne le calendrier. Cet accord sur le traité, s’il est équilibré, sera utile à la relance de la croissance en Europe. Pourtant, les négociations piétinent et on a le sentiment que les États-Unis privilégient l’aboutissement du traité sur le partenariat transpacifique au traité avec l’Europe.

Lors du dernier G7, le Président Obama a pourtant rappelé sa volonté de conclure avant la fin de son mandat. Est-ce possible et à quelles conditions ? Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous donner votre sentiment et celui du Gouvernement sur ce point ?

Le deuxième aspect a trait au contenu du traité.

Je ne reviendrai pas sur les excellents propos de mon collègue Daniel Raoul concernant le mécanisme d’arbitrage. Je souligne simplement après lui qu’il s’agit d’un point dur et qu’il ne sera pas acceptable que des entreprises privées puissent remettre en cause des décisions politiques souveraines de gouvernements démocratiquement élus, comme on l’a vu récemment en Australie.

Permettez-moi de m’arrêter sur trois sujets.

Le premier point concerne les services publics. Ces services, de très hautes qualités en Europe et particulièrement en France, concourent à notre modèle social. Conformément à la reconnaissance par les traités européens, l’Union européenne doit conserver sa capacité à en créer et à maintenir ceux qui existent à l’échelle nationale et locale. Ils ne peuvent entrer dans le champ de la concurrence.

Alors comment les protéger ? Faut-il énumérer les services explicitement concernés par le TTIP et, par conséquent, ne mentionner aucun service public, comme le recommande le rapporteur de la commission du commerce international du Parlement européen, M. Bernd Lange ? C’est ce que l’on appelle le principe de la liste positive.

Ou faut-il une liste négative, comme certains le préconisent, c’est-à-dire que tout est ouvert à la libéralisation sauf ce qui est explicitement indiqué, ce qui me semble contraire à nos intérêts.

En tout état de cause, il est nécessaire que cette question soit traitée, car on connaît mal la position américaine et celle de la Commission doit être clarifiée.

Il ne faudrait pas que des services aujourd’hui exclus de la directive « services » soient remis en cause par le TTIP. Il ne serait pas acceptable que les services publics liés à l’autorité nationale ou aux collectivités territoriales comme l’éducation, la justice et les services sociaux, ainsi que les services publics liés à l’eau ou encore les monopoles publics sur les réseaux d’énergie ou de télécommunication soient remis en cause.

Madame la secrétaire d’État, c’est une ligne rouge, que nous vous demandons de défendre sans concession.

Le deuxième point concerne l’accès aux marchés publics. En Europe, ils sont ouverts à la concurrence pour près de 95 %, alors qu’ils ne le sont qu’à hauteur de 47 % aux États-Unis. Nous devons obtenir des contreparties, rétablir l’équilibre et ne pas accepter que des textes comme le Buy American Act puissent protéger les intérêts américains.

Le troisième point est relatif à la reconnaissance et à la protection de nos produits enregistrés comme indications géographiques. Lors du Conseil européen du 7 mai dernier, la commissaire Mme Cecilia Malmström a reconnu la grande difficulté des négociations sur ce sujet.

Il ne serait pas acceptable que des savoir-faire uniques, fruit de l’histoire et de la passion humaine puissent être usurpés.

L’accord avec le Canada a permis de protéger quarante-deux appellations françaises en plus des vins et spiritueux déjà couverts depuis 2004.

Pour les États-Unis, le chemin à parcourir est encore long comme l’atteste, par exemple, la concurrence des vins de Champagne Californien, comme si notre belle région de Champagne avait déménagé, ou encore l’usage abusif des dénominations « Château ».

Nos appellations d’origine sont insuffisamment reconnues outre-Atlantique. Pourtant, pour la France, le marché américain des vins et fromages protégés par des indications géographiques représente deux milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et constitue le premier marché à l’export hors de l’Union européenne avec des perspectives de croissance de 10 % par an.

Par ailleurs, concernant les fruits et légumes et notamment les pommes françaises, il est significatif que la commission de l’agriculture du Parlement européen ait émis des réserves et considère que l’accord pourrait exposer particulièrement les petits exploitants à une concurrence déloyale.

Nous avons besoin d’une simplification des contrôles et des démarches administratives, et non d’une remise en cause de notre modèle social, d’un alignement des normes vers le bas ou d’une remise en question du principe de précaution, et encore moins d’une remise en cause des choix démocratiques.

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