Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les coprésidents du groupe de travail, mes chers collègues, la Commission européenne conduit actuellement une série de cycles de négociations avec les États-Unis, dans le cadre du projet de traité transatlantique. Le 9e cycle a eu lieu du 20 au 24 avril dernier ; le 10e est prévu du 13 au 17 juillet prochain. Son ambition principale est de lever les barrières non tarifaires, c’est-à-dire de rapprocher les normes et réglementations européennes de leurs équivalentes américaines pour créer des standards communs, qui deviendraient, de facto, les standards mondiaux de demain.
Seulement, derrière les normes, ce sont des conceptions différentes du « vivre-ensemble » qui existent souvent sur des sujets aussi sensibles que la protection des données personnelles à l’heure du numérique ou le respect de l’environnement dans le cadre de la production d’énergies.
Avant d’évoquer brièvement ces deux points, permettez-moi une remarque liminaire : je forme le vœu que les travaux du Sénat, comme ceux du Parlement européen, soient pris en compte non seulement par le gouvernement français puis relayés au Conseil européen, mais aussi et surtout par la Commission européenne. Elle a en effet « la main » sur le processus de négociations ; négociations, soit dit en passant, qui ne brillent pas par leur transparence, même si des progrès ont été faits en la matière. Ainsi, madame la secrétaire d’État, nous manquons d’informations sur l’état d’avancée des négociations alors qu’un 9e cycle de négociations s’est achevé le 24 avril. Quels sont, à ce stade, les points de blocage ou de convergence identifiés par les négociateurs ? Quelles sont les avancées sur la protection des données personnelles et sur les questions énergétiques ? Nous n’en savons rien.
Dans le prolongement de la résolution adoptée par le Sénat le 3 février dernier, il me semble déterminant que les États-Unis reconnaissent explicitement la possibilité pour l’Union européenne et ses États membres de préserver leurs acquis non pas sociaux mais sociétaux. Je parle du niveau de protection de certaines de nos normes.
Concrètement, les données sont devenues un enjeu concurrentiel majeur, mais leur protection est avant tout un droit fondamental. Nombreux sont ceux qui craignent que les garanties apportées aux citoyens au niveau de l’utilisation de leurs données ne soient érodées par l’accord, que ce soit du fait des autorités ou des entreprises américaines.
La difficulté des négociations menées actuellement sur ce sujet avec les Américains, dans le cadre d’autres accords, ne peut que nous inciter à la prudence.
Le 28 mai 2015, la commission du commerce international du Parlement européen a voté un projet de recommandations à la Commission européenne qui aborde ces questions.
Deux éléments me semblent particulièrement importants.
Tout d’abord, le cadre juridique actuel et futur de l’Union européenne sur la protection des données à caractère personnel doit être exclu de l’accord afin de conserver une pleine et entière capacité de protéger la vie privée de nos concitoyens. De même, selon moi, il est indispensable de veiller à ce que les données à caractère personnel ne puissent être transférées en dehors de l’Union européenne que si les dispositions relatives aux transferts vers les pays tiers contenues dans la législation européenne en matière de protection des données sont respectées.
Ensuite, plus largement, il est nécessaire de rester attentif pour que les acquis de l’Union européenne sur la protection des données ne soient pas compromis par la libéralisation des flux de données, en particulier dans le domaine de l’e-commerce et des services financiers.
Concernant le second thème qui m’occupe et me préoccupe beaucoup, l’énergie, les prix de gros de l’électricité dans les pays européens restent supérieurs de 30 % à ceux des États-Unis tandis que ceux du gaz représentent encore plus du double. L’incidence sur la compétitivité de nos industries, notamment celles qui sont grandes consommatrices d’énergie, est un handicap à lever et une donnée majeure de la négociation de cet accord commercial.
L’un des éléments clefs que la Commission cherche à obtenir est la levée des restrictions à l’exportation de carburants pour créer un marché concurrentiel conduisant à des prix de l’énergie plus bas.
Dans le même temps, l’accord doit inclure des garanties claires pour que les normes environnementales de l’Union européenne et ses objectifs d’action climatique ne soient pas compromis.
En outre, une clause bilatérale de sauvegarde pour les secteurs à forte consommation d’énergie exposés à la fuite de carbone dans l’Union européenne, notamment dans l’industrie chimique, sidérurgique et de transformation des matières premières, doit permettre de maintenir les taux des droits de douane actuels pendant une période de transition, après l’entrée en vigueur de l’accord.
La concurrence ne peut, en effet, s’entendre que « pure et parfaite » pour reprendre les termes des économistes classiques ; aujourd’hui, nous dirions tout simplement : « loyale ».
Enfin, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons insister pour que le Sénat dispose du même niveau d’information que le Parlement européen sur cette importante question.