Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 10 juin 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « l'avancée des négociations du traité transatlantique »

Axelle Lemaire, secrétaire d'État :

… ou de produits laitiers vers les États-Unis ? Il faut aborder avec ambition ce périmètre où convergence ne signifie pas nivellement par le bas. Il faut faire disparaître les contrôles en double, les incohérences réglementaires, les coûts et délais abusifs, qui, rappelons-le, nuisent aux entreprises européennes qui veulent exporter vers les États-Unis et s’y implanter. Des avancées pour certaines filières françaises donc sont possibles.

Je souhaite également évoquer une question qui m’est chère, celle du numérique dans le TTIP.

Les enjeux numériques font partie des négociations. Il y a un décalage patent entre la rapidité du développement du commerce numérique et la lenteur de l’adaptation du droit international à cette nouvelle économie.

Sur le plan international, nous sommes face à un vide juridique : il n’existe de traité international ni en matière de commerce international ni pour définir ce que serait par exemple un bien commun de l’internet, comme c’est le cas pour l’Antarctique ou pour l’espace. Il n’existe pas de lex mercatoria en ce domaine qui fournirait un socle jurisprudentiel.

Les règles applicables au numérique datent de 1994, autant dire la préhistoire de l’internet ! Il faut donc que nous mûrissions la construction d’un cadre européen sur le plan juridique en même temps que nous négocions avec les États-Unis. Cela nécessite donc de préserver nos marges de manœuvre pour l’avenir dans le traité. À cet égard, il n’est pas question que le TTIP aborde le sujet de la protection des données personnelles. À l’évidence, la protection de la vie privée et la sécurisation des données personnelles doivent guider notre action en la matière. Nous suivons en cela les recommandations du Conseil national du numérique, qui demande la plus grande prudence et la plus grande vigilance.

Dans le même temps, nous abordons cette négociation de manière offensive en proposant des règles de concurrence qui soient applicables à l’industrie du numérique. Celles-ci sont indispensables à l’émergence de nouveaux champions européens pour que notre continent ne soit pas un continent de consommateurs passifs dans la bataille du numérique à l’international. Ici comme ailleurs, la concurrence internationale doit avoir ses règles.

Le Gouvernement est particulièrement attentif au respect de ces exigences par la Commission. Il l’est tout autant s’agissant d’autres sujets : je pense en premier lieu à l’ouverture des marchés publics américains. Il s’agit de rééquilibrer une situation inacceptable pour l’Europe : les marchés publics européens sont ouverts à 95 %, contre 47 % aux États-Unis, soit presque le double ! Nous devons obtenir des concessions, y compris sur l’ouverture des marchés des cinquante États américains. On ne peut raisonnablement pas envisager un accord au terme duquel l’Union européenne et ses États membres ouvriraient totalement leurs frontières, alors qu’outre-Atlantique seul le niveau fédéral serait concerné.

La négociation du partenariat transatlantique est aussi l’occasion de renforcer la protection de nos indications géographiques et appellations d’origine. Vous avez raison de le souligner, monsieur Bizet. C’est un véritable combat que mènent actuellement les partisans des indications géographiques, qui, comme la France, défendent dans les négociations internationales les savoir-faire locaux, les traditions d’excellence et de promotion des territoires face aux tenants des marques commerciales pour qui le lien entre un territoire et une appellation n’a pas lieu d’être. D’ailleurs, les consommateurs demandent de plus en plus, surtout lorsqu’ils achètent en ligne, à connaître l’origine des produits pour ne pas être trompés.

Les indications géographiques sont un élément clé pour augmenter la valeur ajoutée de nos exportations, notamment agroalimentaires, mais aussi pour améliorer l’insertion des pays en voie de développement dans le commerce international. Dans ce combat, la France a enregistré en mai une victoire importante avec la révision de l’arrangement de Lisbonne, qui étend le concept d’indications géographiques dans vingt-huit pays.

Nos intérêts offensifs ne se limitent naturellement pas à ces sujets ; ils incluent aussi les services financiers ou la réduction des droits de douane sur un certain nombre de produits.

En ce qui concerne les tarifs douaniers, la France porte une attention toute particulière aux négociations sur les quotas de produits agroalimentaires. M. Lenoir a souligné la situation actuelle. La fragmentation du commerce mondial par la multiplication des négociations bilatérales, qui n’est que le résultat des difficultés enregistrées dans les cycles de négociations de l’OMC, ne doit pas conduire à considérer que les concessions tarifaires qui auraient pu être consenties dans les accords bilatéraux antérieurs doivent créer un précédent pour les accords en négociation.

Monsieur Emorine, je vais vous donner un exemple concernant la filière française de production de viande. Dans l’accord avec le Canada, le porc et le bœuf sont traités comme des produits sensibles. On n’assiste donc pas à un abaissement généralisé des tarifs douaniers sur ces produits et on accorde un contingent à droit nul qui est exprimé en tonnes. Il s’agit bien sûr de viandes sans hormones. J’ajoute que ce qui a été négocié dans le cadre de cet accord avec le Canada ne doit en aucun cas servir de précédent avec les États-Unis ou avec tout autre pays d’ailleurs.

Les principales positions françaises étant exposées, que peut-on dire des négociations de la neuvième session, qui ont eu lieu en avril dernier, et quel est le contexte de la prochaine session en juillet ?

Force est de constater que la neuvième session n’a pas abouti à des résultats probants. En ce qui concerne l’accès au marché, qui regroupe les droits de douane et les marchés publics, aucun résultat tangible n’a été enregistré. Très concrètement, un nouvel échange d’offres en matière de droits de douane devra être conditionné à des concessions substantielles de la part des Américains, notamment pour les marchés publics subfédéraux et les indications géographiques, comme je l’ai mentionné. En matière de marchés publics, la couverture du niveau subfédéral n’est pas réglée, alors même qu’elle constitue une demande très claire et précise de la part de l’Union européenne.

Concernant la convergence réglementaire, plus spécifiquement le chapitre relatif aux produits sanitaires et phytosanitaires, qui couvre donc une partie des questions de protection du consommateur, les discussions se limitent pour le moment à un passage en revue des demandes des deux parties, sans avancée concrète.

La convergence réglementaire comporte aussi un volet institutionnel, dont l’objectif est de donner un cadre aux régulateurs de part et d’autre de l’Atlantique pour éviter l’apparition de normes redondantes à l’avenir. La création d’un conseil de coopération réglementaire est actuellement en discussion. En la matière, la position de la France est claire, monsieur Raoul : ce conseil devra se limiter à une instance de dialogue et d’échange, au sein de laquelle les États membres devront avoir leur mot à dire. Cet organe sera donc consultatif, non normatif et ne pourra en aucun cas édicter des normes qui s’imposeraient aux régulateurs nationaux. Nous refusons l’instauration d’un organe transatlantique supranational. Il n’est pas question de créer un grand marché transatlantique. L’idée, par cette convergence réglementaire, est d’habituer les Américains à tenir aussi compte des intérêts des entreprises européennes quand ils mettent en place des réglementations ayant un caractère extranational.

Vous ne serez pas non plus surpris, mesdames, messieurs les sénateurs, que, sur les autres volets de la négociation, les progrès soient lents. En matière d’indications géographiques, par exemple, les États-Unis persistent à adopter une position fermée, alors que la coexistence entre ces indications et les marques sur un même territoire est tout à fait possible.

L’absence d’avancées concrètes ne signifie pas qu’une accélération des négociations est exclue. L’adoption prochaine de la trade promotion authority, la TPA, qui donnera mandat à l’administration Obama d’engager l’État fédéral dans les négociations constituera un signal fort. La TPA a reçu l’approbation du Sénat américain, mais elle doit encore être votée à la Chambre des représentants.

Dès lors, que peut-on attendre de la dixième session, qui se tiendra en juillet ? L’adoption de la TPA pouvant intervenir au mois de juin, cette session sera donc décisive pour clarifier le niveau d’engagement du négociateur américain. Nous attendons de celui-ci que le mandat que lui aura donné le Congrès conduise à une évolution de ses positions afin qu’un dialogue constructif puisse avoir lieu. Le calendrier ne doit pas l’emporter sur le contenu ! En tout état de cause, une accélération du calendrier par l’adoption de la TPA ne concernera pas tous les chapitres, puisque la protection des investissements ne sera abordée qu’à la session de septembre, voire à la suivante.

Je terminerai cette intervention en évoquant justement la question du mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs.

Les deux chambres du Parlement français ont pris position sur cette question et ont exprimé leurs vives réserves. Le Parlement européen a, aujourd’hui même, reporté ce débat et son vote. C’est le signe de la difficulté qu’il rencontre à trouver un accord majoritaire en son sein.

La France considère que ce mécanisme n’est ni utile ni nécessaire dans le cadre des négociations du TTIP. Elle l’a dit dès l’origine et continue de le clamer à Bruxelles. En effet, nous le savons, une vérité s’impose en ce domaine : on constate une érosion lente mais certaine du droit des États au profit du droit des investisseurs. §La pratique des instances de règlements des différends entre investisseurs privés et États a, dans certains cas, évolué vers une remise en cause des décisions de politique publique légitimes des États.

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