Intervention de Fabienne Keller

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 28 mai 2015 : 1ère réunion
Présentation du rapport d'information de fabienne keller à la suite de l'atelier de prospective du 9 avril 2015 sur « mieux prévenir et gérer les crises liées aux maladies infectieuses émergentes »

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller, rapporteure :

En juillet 2012, j'avais établi, au nom de la délégation, un rapport d'information consacré aux nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes. Nous étions alors tout juste sortis du contexte de l'épidémie de grippe H1N1 qui avait inquiété le monde entier, la France en particulier, en 2009 et 2010, et mis en lumière les risques de pandémie et les difficultés pour y faire face.

Ce premier rapport, pour l'établissement duquel je m'étais entourée de nombreux représentants du monde médical et scientifique, avait débouché sur la formulation de préconisations. Dix leviers d'action avaient alors été identifiés pour tout à la fois prévenir la survenance de nouvelles maladies infectieuses et gérer les crises éventuelles.

Premier levier : mieux prendre conscience du phénomène et de l'importance des rapports Nord-Sud.

Deuxième levier : agir sur tous les facteurs d'émergence et de propagation des maladies infectieuses.

Troisième levier : empêcher et réprimer les actes qui concourent à l'augmentation des menaces.

Quatrième levier : mieux informer sur les pathologies, les vecteurs et les prophylaxies des maladies émergentes.

Cinquième levier : inventer ou développer des méthodes de concertation pluridisciplinaires.

Sixième levier : réintroduire les protocoles classiques de lutte contre les pandémies, comme la mise en quarantaine.

Septième levier : promouvoir de nouveaux outils d'intervention sur les maladies infectieuses émergentes.

Huitième levier : réguler les mouvements des professionnels de la santé entre le Nord et le Sud.

Neuvième levier : soutenir la recherche sur les vaccins et les thérapeutiques par le rapprochement des politiques menées par les organisations internationales ou régionales sur les santés humaine et animale.

Dixième levier : mieux organiser la logistique de terrain.

Ce premier rapport avait été plutôt bien accueilli par le monde médical et par les prospectivistes de la santé. En janvier 2013, il avait aussi donné lieu à un débat en séance publique, au cours duquel j'avais demandé à la ministre chargée de la santé, qui était déjà alors Marisol Touraine, l'organisation d'un exercice annuel pour anticiper l'échéance éventuelle d'une crise sanitaire majeure. Cela se pratique très régulièrement aux États-Unis, en Grande-Bretagne, ainsi que dans les pays asiatiques depuis l'épidémie de grippe aviaire.

Si j'ai pris le temps de reposer le cadre de ce premier rapport, c'est pour expliquer pourquoi et comment j'ai conçu le second.

Une fois encore, notre planète est confrontée à d'importantes crises sanitaires. En Afrique de l'Ouest, l'épidémie Ebola a déjà causé plus de 10 000 décès ; on impute à celle de la grippe hivernale en France la responsabilité d'une surmortalité assez considérable des seniors.

Dans un monde globalisé, l'urbanisation anarchique, l'essor du transport, notamment aérien, le réchauffement climatique, les nouvelles techniques d'agriculture constituent autant de facteurs dramatiquement favorables à la propagation de maladies infectieuses telles que la dengue, le chikungunya et bien d'autres. La France est ainsi confrontée à une résurgence de la tuberculose ainsi qu'à des pics réguliers de rougeole, compte tenu du recul de la vaccination.

Dans ce contexte particulièrement morose, la délégation m'a confié le soin d'organiser un second atelier sur ce thème sensible qui intéresse directement l'ensemble de nos concitoyens.

Cette fois, j'ai choisi de concentrer nos débats sur deux des leviers d'actions précédemment identifiés - le deuxième et le septième -, afin d'approfondir la réflexion.

Il s'agit, premièrement, des facteurs d'émergence des maladies infectieuses, pour conjuguer approche pluridisciplinaire et vision d'ensemble, deuxièmement, à l'ère du numérique, celui des nouvelles technologies, qui restent trop peu utilisées comme outil de lutte contre les maladies infectieuses. Cela rejoint les préoccupations exprimées précédemment par Annie David.

Or, le taux très élevé d'équipement mondial en téléphones portables, notamment dans les pays du Sud, et les progrès techniques permettent désormais d'établir en temps réel une cartographie de la propagation des virus, et donc de mieux préparer les interventions. De même, les Mooc, ces cours en ligne gratuits et ouverts à tous, d'excellent niveau, pourraient être davantage utilisés comme moyen de formation et d'évaluation du personnel médical. On devrait aussi développer les modèles mathématiques qui permettent d'établir les tendances des phénomènes épidémiques et de mieux comprendre les mécanismes de contagion.

J'ai donc rassemblé, autour de deux tables rondes respectivement dédiées à chacun de ces deux sujets, un grand nombre de spécialistes. Pour la première, relative aux facteurs d'émergence, nous avons réuni des chercheurs et des médecins, bien sûr, mais aussi des vétérinaires, des historiens de la santé, des sociologues ou bien encore un spécialiste des rites funéraires en Afrique. Et pour la seconde, sur l'« espoir numérique », qui reste un sujet neuf encore peu exploré, je me suis notamment entourée de journalistes, de spécialistes du numérique et de la communication.

L'originalité de cet atelier a été, bien sûr, sa démarche prospective, c'est-à-dire son positionnement dans une perspective de moyen-long terme pour anticiper efficacement les futures crises sanitaires et éviter la survenance de scénarios catastrophe. Je crois pouvoir dire qu'il a été une vraie réussite : cent vingt-cinq personnes, dont un certain nombre de nos collègues, étaient présentes dans la salle et les débats y ont été longs, animés et riches. Je suis particulièrement heureuse que des professionnels de terrain aient pris l'initiative personnelle de s'inscrire et de participer à nos échanges, qu'il s'agisse de personnels infirmiers ou d'associations de malades.

Le rapport, qui en est issu et pour lequel je sollicite ce matin votre autorisation de publication, retrace fidèlement nos échanges. Outre le fait que ceux-ci ont permis des contacts entre professionnels de filières différentes, ce qui est toujours utile pour faire progresser la réflexion, il en est ressorti un certain nombre d'idées porteuses d'amélioration pour notre dispositif de réaction en cas de crise sanitaire majeure.

Au-delà de la nécessité de prévoir l'organisation d'un exercice annuel, j'insisterai notamment sur le fait que l'utilisation des outils numériques doit absolument être développée et valorisée. Il n'est qu'à voir, pour s'en convaincre, l'apport de la télé-épidémiologie, qui permet, en s'appuyant sur les données d'observation de la Terre par satellite, de mettre en lumière les liens entre les facteurs environnementaux ou climatiques et l'émergence et la propagation des maladies infectieuses. Ou encore les progrès réalisés en matière de cartographie, notamment grâce aux réseaux sociaux et aux outils collaboratifs.

Non seulement le numérique facilite le traçage des épidémies et la gestion des crises, mais il permet également de lutter contre les rumeurs et les fausses informations qui circulent dans ce genre de situation alors qu'on a besoin, au contraire, d'informations fiables et complètes. C'est également le bon moyen, le seul à mon sens, de toucher les jeunes, souvent réfractaires aux messages sanitaires de prévention.

Pour conclure, je rappellerai ce qu'a souligné le président Karoutchi en ouverture de l'atelier : toute démarche prospective est vaine si elle n'est pas suivie d'effets. Au travers des sujets dont elle se saisit, notre délégation s'attache ainsi à faire évoluer la législation et influer sur l'attitude et le comportement des pouvoirs publics.

Je mentionnerai à ce titre les deux propositions d'amendement suggérées par l'un des intervenants de l'atelier et qui pourraient utilement trouver leur place dans le cadre du projet de loi Santé. Il s'agirait, d'une part, de flécher vers les pays du Sud les appels à projet dans le domaine de la recherche, d'autre part, d'affecter une petite part de tout projet bénéficiant de l'aide publique au développement à un programme d'évaluation, de recherche ou d'appui scientifique.

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