Intervention de Catherine Procaccia

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 juin 2015 à 9h00
Dialogue social et emploi — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia, rapporteur :

Ce texte, selon le Gouvernement, s'inscrit dans la lignée des réformes du fonctionnement du marché du travail qu'il a menées depuis trois ans. Jusqu'à présent, elles avaient reposé sur l'accord des partenaires sociaux, principe essentiel et base incontestable. L'échec de la négociation en janvier dernier souligne les limites du modèle français du dialogue social et a contraint le ministre du travail à prendre ses responsabilités en préparant un texte qui, trop souvent, opte pour le plus petit dénominateur commun entre les positions patronales et syndicales.

Entre son examen en Conseil des ministres le 22 avril et son adoption par l'Assemblée nationale le 2 juin, ce projet de loi a plus que doublé de volume : il est passé de 27 à 57 articles et 357 amendements ont été adoptés par les députés.

Dans des délais qui interdisent un travail approfondi, nous devons nous prononcer sur les six volets de ce texte, sans forcément en percevoir la cohérence : la représentation des salariés des TPE, la modernisation des institutions représentatives du personnel (IRP), plusieurs dispositions sur la santé des travailleurs et le compte pénibilité, le régime d'indemnisation du chômage des intermittents du spectacle, diverses mesures d'ampleur limitée en faveur de l'emploi et la création de la prime d'activité - sans compter les mesures annoncées qui arriveront d'ici la lecture au Sénat.

L'article 1er prévoit la mise en place, en 2017, de commissions régionales paritaires interprofessionnelles (CPRI) représentant les salariés et les employeurs des TPE. Actuellement, il n'existe aucune obligation de dialogue social en dessous de onze salariés. En 2012, un scrutin national, sur sigle, a été organisé à destination de ces salariés dans le cadre de la réforme de la représentativité syndicale, avec un succès mitigé : 10,4 % de participation.

S'agit-il d'une idée novatrice de nature à remettre en cause le pouvoir du chef d'entreprise dans des structures où le contact avec les salariés est permanent ? Je ne le crois pas : dans l'artisanat, des commissions similaires ont été instaurées en 2010, sur la base d'un accord de 2001 entre l'Union professionnelle artisanale (UPA) et les cinq organisations syndicales nationales ; un mécanisme de représentation externe à l'entreprise existe également dans le secteur agricole ou chez les professions libérales. Eric Woerth, alors ministre du travail, avait proposé dès 2010 d'ouvrir la possibilité de créer de telles commissions : adopté par le Sénat, ce dispositif avait finalement été supprimé par l'Assemblée nationale.

Le présent texte se distingue de ces initiatives par ses conditions de mise en place : alors que la liberté conventionnelle des partenaires sociaux avait fait progresser la représentation des salariés des TPE, c'est maintenant le législateur qui impose un mécanisme uniforme, au grand dam des organisations patronales.

Composées de vingt membres - dix représentants des salariés, dix des employeurs - chacune des dix-huit commissions régionales avait, dans le texte initial, pour mission principale d'informer et de conseiller sur l'application des dispositions légales et conventionnelles et de débattre des problématiques spécifiques aux TPE. Les députés les ont en outre chargées d'assurer une médiation en cas de conflit, avec l'accord des parties, et d'organiser un embryon d'activités sociales et culturelles. Surtout, l'Assemblée nationale a reconnu aux membres des commissions un droit supplémentaire, certes conditionné à l'accord de l'employeur, d'accéder à l'entreprise.

Ces points sont dénoncés avec virulence par les organisations patronales. S'agit-il pour autant de la première étape de l'intrusion des syndicats dans les dernières entreprises qui étaient hors de leur portée ? J'en doute : ces CPRI, sans moyens, n'auront pas la possibilité d'exercer leur mission. Que pourront faire dix représentants des salariés, avec cinq heures de délégation par mois, à l'échelle des futures énormes régions ? Je vous proposerai plusieurs amendements pour parvenir à un compromis acceptable par toutes les parties.

L'extension de la délégation unique du personnel (DUP) aux entreprises de 200 à 300 salariés et l'inclusion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en son sein sont plus consensuelles. La possibilité pour les entreprises de plus de 300 salariés de fusionner les IRP par accord, sans être encore le conseil d'entreprise unique souhaité par le patronat et évoqué par le ministre, est une mesure de simplification importante qui permet l'adaptation du dialogue social au plus près de l'entreprise.

Les députés sont allés très loin en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans toutes les instances, et ont élargi le mécanisme de représentation des salariés dans les conseils d'administration, moins de deux ans après sa création et sans aucune évaluation préalable. Je vous proposerai des amendements sur ces deux points.

Le texte regroupe les dix-sept procédures actuelles d'information-consultation du comité d'entreprise en trois blocs portant sur les orientations stratégiques de l'entreprise et sa situation économique et sociale au sens large. Un accord collectif pourra adapter la mise en oeuvre de ces dispositions aux spécificités de l'entreprise.

Dans le même sens, les douze négociations obligatoires en entreprise sont regroupées en trois temps, relatifs à la rémunération, la qualité de vie au travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels, tandis qu'un accord collectif majoritaire pourra en modifier la périodicité. Cette rationalisation du dialogue social, à droit constant, apportera de la souplesse, sans pour autant constituer un choc de simplification. Là encore, les députés ont souhaité renforcer à tous les niveaux la prise en compte de l'égalité entre les femmes et les hommes, en créant notamment une rubrique spécifique dans la base de données unique. Le projet de loi assouplit par ailleurs les conditions de conclusion d'accords collectifs par l'employeur en l'absence de délégué syndical, tout en donnant la priorité aux représentants du personnel mandatés.

Le volet relatif à la santé des travailleurs a été considérablement renforcé à l'Assemblée nationale.

Le texte prévoit que les pathologies psychiques comme l'épuisement au travail pourront être reconnues comme des maladies professionnelles par une voie complémentaire à l'inscription aux tableaux, définie par voie réglementaire.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité est simplifié et sécurisé, conformément aux principales recommandations du rapport de MM. Sirugue, Huot et de Virville publié le 26 mai dernier, avec la suppression de la fiche individuelle, votée par le Sénat lors de l'examen du projet de loi Macron, la possibilité pour les branches d'établir un référentiel homologué par le ministère pour aider les employeurs lors de leur déclaration, ou encore l'abaissement du plancher de la cotisation additionnelle patronale.

Le Gouvernement semble enfin avoir enfin entendu le message des entreprises et du Sénat mais le dispositif ainsi réformé risque d'être une bombe financière à retardement, en incitant les employeurs à utiliser sans discernement les référentiels de branche pour mesurer l'exposition des salariés aux facteurs de pénibilité les plus difficiles à évaluer.

Enfin, le projet met en oeuvre les propositions les plus consensuelles du récent rapport du député Michel Issindou sur les avis d'aptitude du médecin du travail. Ce dernier devra rechercher le consentement du salarié sur les propositions de reclassement qu'il propose à l'employeur, tandis que les salariés dont les problèmes de santé peuvent avoir des répercussions sur des tiers feront l'objet d'un suivi médical renforcé.

Le quatrième volet du texte est consacré aux intermittents du spectacle. Si l'article 20 consacre au niveau législatif les annexes 8 et 10 sur l'indemnisation du chômage des techniciens et des artistes, il oblige surtout les partenaires sociaux représentatifs au niveau national et interprofessionnel chargés de négocier la convention d'assurance chômage à déléguer leur compétence aux partenaires sociaux du monde du spectacle pour qu'ils négocient eux-mêmes les règles de ces annexes. Or cette délégation de compétence pourrait créer un précédent et susciter des demandes multiples remettant en cause le rôle des partenaires sociaux dans les négociations nationales interprofessionnelles. De plus, les conditions d'exercice de cette délégation de compétence ont été critiquées par presque toutes les personnes que nous avons auditionnées compte tenu des incertitudes juridiques et des risques de contentieux qui en découlent. En revanche, les dispositions relatives à un meilleur encadrement du contrat à durée déterminée d'usage (CDDU) par la voie de la négociation de branche sont bien accueillies.

J'attire votre attention sur trois mesures concernant l'emploi. Ce texte inscrit dans la loi le principe du compte personnel d'activité (CPA), mécanisme de sécurité sociale professionnelle dont les contours sont encore très flous ; ils seront tracés par les partenaires sociaux à l'automne. Il n'était pas utile de passer par la loi pour inviter les partenaires sociaux à engager une négociation, l'article L. 1 du code du travail suffit. Évitons surtout toute précipitation qui risquerait de déclencher une catastrophe administrative de l'ampleur du compte personnel de prévention de la pénibilité. Le Gouvernement a également complété le texte à l'Assemblée nationale afin d'être habilité à réformer par ordonnance l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), qui serait transformée en établissement public à caractère industriel et commercial, en partie pour régler la question du patrimoine que l'Etat met aujourd'hui à sa disposition - arlésienne législative à laquelle les lois de 2009 et 2014 n'ont pu apporter de solution. Encore faut-il que Bruxelles n'y voit pas une atteinte à la libre concurrence... Enfin, le projet de loi assouplit les règles de la prime de 1 000 euros, créée il y a à peine six mois, pour les entreprises de moins de deux cent cinquante salariés qui augmentent leur nombre d'apprentis. On ne peut que regretter cette instabilité législative qui contribue aux difficultés de l'apprentissage, d'autant que le Sénat n'a cessé d'alerter sur les difficultés liées à la réforme de la prime régionale.

Le titre IV est consacré à la prime d'activité et fait l'objet d'une saisine pour avis de la commission des finances. Cette nouvelle prestation doit remplacer, à compter du 1er janvier 2016, le volet activité du revenu de solidarité active (RSA) et la prime pour l'emploi (PPE) que nous avons supprimée dans la loi de finances rectificative du 29 décembre 2014. Nous connaissons les faiblesses de ces deux dispositifs. Créée en 2001, la PPE était en voie d'extinction depuis le gel de son barème en 2008, date à laquelle est né le RSA. Versée avec une année de décalage par rapport aux revenus déclarés, elle n'avait pas d'impact immédiat en termes d'incitation à l'activité. Le champ large de ses bénéficiaires conduisait à un saupoudrage qui limitait, lui aussi, son caractère incitatif.

Le RSA-activité a été conçu pour que chaque euro perçu au titre d'une activité professionnelle conduise à une augmentation effective des ressources disponibles. Mais la réactivité du dispositif est également source de lourdeurs, accentuées par la complexité du barème. Les indus et les rappels sont fréquents et la lisibilité de la prestation s'en trouve affaiblie. D'où un faible taux de recours au RSA-activité : ses bénéficiaires potentiels peuvent préférer renoncer à la prestation plutôt que de s'engager dans des démarches lourdes, parfois vécues comme stigmatisantes.

La prime d'activité est présentée par le Gouvernement comme une prestation nouvelle, entièrement détachable du minimum social qu'est le RSA. Pour autant, les bénéficiaires actuels du RSA-activité basculeront automatiquement vers le dispositif. La prime d'activité reste une prestation sociale familialisée et, tout comme le RSA-activité, elle sera versée par les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour le compte de l'Etat.

La prime d'activité diffère cependant du RSA-activité sur plusieurs points : elle sera ouverte aux travailleurs âgés de 18 à 25 ans qui devaient jusqu'à présent remplir des conditions particulièrement restrictives pour être éligibles au RSA-jeune ; ses modalités de calcul et d'attribution seront simplifiées et plus lisibles, en particulier grâce au principe des droits figés - les montants seront versés définitivement pour un trimestre, même si la situation du bénéficiaire a évolué durant ces trois mois ; elle pourra comprendre un bonus individuel, directement lié aux revenus d'activité des bénéficiaires et dont les modalités de calcul seront précisées par décret, qui devrait se déclencher à partir d'une rémunération égale à 0,5 Smic pour atteindre son maximum entre 0,8 et 1,15 Smic.

Théoriquement, 5,6 millions d'actifs seront éligibles à la prime d'activité. Le Gouvernement fait l'hypothèse d'un taux de recours de 50 % l'année prochaine - contre 35 % actuellement - et y allouera 4,1 milliards d'euros en 2016. Fallait-il conserver une prestation familialisée, en pratique très proche du RSA-activité, ou privilégier un dispositif individualisé, au risque de pénaliser les familles les plus précaires ? Fallait-il concentrer les efforts sur les revenus les plus faibles, dans une optique de lutte contre la pauvreté - ce que souhaitaient les associations - ou donner un coup de pouce aux revenus les plus proches du Smic ? Fallait-il maintenir l'exclusion des étudiants et des apprentis du bénéfice de la prime ou l'ouverture effectuée à l'Assemblée nationale est-elle pertinente dans la mesure où elle s'adresse à des publics proches de l'emploi et qui commencent à s'éloigner des études ?

L'équilibre de la réforme, telle qu'elle nous est présentée, doit pouvoir emporter notre adhésion. Je vous proposerai malgré tout quelques amendements qui préciseront un dispositif très elliptique et, par conséquent, source d'incompréhensions.

Notre modèle social évolue, et le processus d'élaboration de la norme en droit du travail doit en tirer les conséquences. C'est l'un des objets de la mission confiée à Jean-Denis Combrexelle par le Gouvernement, qui devra favoriser le dialogue social au niveau où il est le plus actif. L'échec de la négociation interprofessionnelle ne doit pas masquer la vitalité du dialogue social en entreprise, où plus de 39 000 accords ont été signés en 2013.

Ce projet de loi n'est pas la réforme structurelle des relations entre salariés et employeurs mais un texte de simplification avec plusieurs mesures bienvenues pour surmonter le caractère formel des règles actuelles et développer, sur le plan qualitatif, le dialogue social. Il ne règle pas les principales insuffisances du modèle français comme la faible représentativité des partenaires sociaux au regard de nos voisins européens.

J'ai examiné ce texte non pas dans une optique idéologique ou d'opposition systématique mais en cherchant comment l'améliorer, au bénéfice des employeurs et des salariés car, comme un nombre croissant d'études le montrent, un dialogue social apaisé et efficace est un facteur de performance économique. C'est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi ainsi que les amendements que je vous présenterai.

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