Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juin 2015 à 18h15
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014 — Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et diverses dispositions concernant la défense - Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de la défense

Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense :

Comme vous le savez, la loi de programmation militaire a significativement renforcé le contrôle parlementaire de l'exécution de la loi de programmation, dans ses dimensions financières, capacitaires, industrielles et sociales. Son article 10 prévoit que le Gouvernement présente chaque année au Parlement un rapport sur l'exécution de la loi de finances avant le débat d'orientation des finances publiques. L'article 8 ajoute à cela une présentation semestrielle aux commissions compétentes d'un bilan détaillé de l'exécution des crédits de la mission défense. Ces documents sont en cours de finalisation dans les délais prévus, c'est-à-dire pour la fin du mois de juin. Il n'est malheureusement pas possible de les produire avant cette date.

L'année 2014 a été marquée par plusieurs événements majeurs. Sur le plan opérationnel, les engagements sont importants. L'année 2014 a connu à la fois la fermeture de trois théâtres d'opérations extérieures, Afghanistan, Kosovo et Côte d'Ivoire, la réduction drastique de notre participation à Atalante, mais aussi la montée en puissance de l'opération Barkhane sur l'ensemble du Sahel, le déclenchement de l'opération Chammal contre Daesh en Irak, la prolongation de Sangaris en République centrafricaine, les mesures de réassurance en Europe de l'Est ou encore l'opération Tamarin en Guinée.

Dans le domaine capacitaire, l'année 2014 s'est traduite par le lancement de programmes structurants pour les armées, en particulier le programme de modernisation Scorpion, l'avion ravitailleur A330 MRTT, le missile océanique stratégique M51.3 ou encore la commande du quatrième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda. Cette année a également marqué la fin des renégociations de contrats prenant en compte les orientations de la LPM.

Sur le plan organique, nous avons poursuivi les chantiers de réforme du ministère : au 31 décembre, plus des deux tiers des mandats de réforme étaient au stade de la mise en oeuvre. La transformation du soutien interarmées, dans une logique dite de bout en bout, s'est traduite par le placement des groupements de soutien des bases de défense (GSBdD) sous l'autorité hiérarchique du service du commissariat des armées.

Au plan financier, l'exécution 2014 s'établit à 31,5 milliards d'euros, comme en 2013. Au sein de ce total, les dépenses de personnel s'élèvent à 11,1 milliards d'euros, en baisse de 0,3 milliard par rapport à 2013. L'effort de maîtrise de la masse salariale du ministère porte ses fruits avec cette deuxième baisse consécutive. La cible de déflation d'effectifs a été respectée, avec 8 007 réductions de postes, pour une cible initiale de 7 881.

Les dépenses d'équipement s'élèvent à 15,7 milliards d'euros, contre 15,3 milliards en 2013, car l'effort d'équipement des forces est l'une de mes préoccupations prioritaires. Enfin, les dépenses de fonctionnement s'établissent à 3,5 milliards d'euros et les dépenses liées aux opérations extérieures (OPEX) à 1,1 milliard d'euros.

Ce niveau d'exécution a été atteint grâce à la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde prévue à l'article 3 de la LPM et à la couverture interministérielle des surcoûts nets des OPEX, conformément à l'article 4. Ainsi, 500 millions d'euros de crédits supplémentaires ont été ouverts au titre du programme d'investissements d'avenir (PIA) par les lois de finances rectificatives d'août et de décembre 2014 au profit des dépenses d'équipement du ministère. S'agissant des opérations extérieures, le 1,1 milliard d'euros de dépenses pour 2014 a été couvert par la dotation de 450 millions d'euros en loi de finances initiale, des remboursements internationaux à hauteur de 56 millions d'euros et un abondement interministériel de 611 millions d'euros par décret d'avance en fin de gestion.

S'agissant plus spécifiquement des équipements, l'année 2014 a été conforme dans son exécution à la LPM. Pour les commandes, le niveau des engagements s'est élevé en 2014 à 18,6 milliards d'euros, en hausse de près de 3 milliards d'euros, ce qui nous place en position de respecter les orientations fixées en loi de programmation. Les livraisons prévues ont été respectées : 13 Rafale dont deux mises à niveau, 3 hélicoptères Tigre et 9 hélicoptères NH90, 4 avions A400M, plus de 4 000 équipements Félin, 25 torpilles légères MU 90, etc.

Le report de charges s'établit fin 2014 à 3,5 milliards d'euros, soit un niveau globalement stable par rapport à la fin 2013, même s'il reste trop élevé. Toutefois, en tenant compte des 247 millions d'euros de reports de crédits constatés sur 2015 et des 250 millions d'euros de PIA ouverts fin 2014, le report de charges net du ministère est ramené à environ 3 milliards d'euros fin 2014, soit l'hypothèse prise en compte dans la LPM.

Au bilan, et sous réserve d'informations complémentaires, l'année 2014 a été conforme aux objectifs fixés par la LPM. Elle a également mis au jour des tensions dans certains domaines comme les capacités critiques, le vieillissement des parcs et la difficile régénération des matériels engagés en opérations.

Ces points, précisément, ont été traités à l'occasion de l'actualisation de la LPM. Neuf orientations majeures sont à retenir dans le projet de loi. D'abord, le Président de la République a fait le choix de définir un nouveau contrat de protection sur le territoire. L'objectif est désormais que nos armées puissent déployer durablement 7 000 soldats sur le territoire national, et monter presque instantanément jusqu'à 10 000 pendant un mois, comme nous l'avons fait après les attentats de janvier.

Les effectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT) seront portés à 77 000 hommes au lieu des 66 000 initialement prévus. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue. Cette augmentation représente un tournant majeur dans notre histoire militaire récente. Ces dispositions ont vocation non pas à créer une armée à deux vitesses, mais au contraire à assurer une complémentarité entre les missions de projection à l'extérieur et les missions de protection du territoire national.

Le Président a également décidé un allègement des déflations d'effectifs dans le but de renforcer nos capacités opérationnelles et faire face à certains besoins majeurs de nos services de renseignement et de cyberdéfense.

Plus globalement, cette réduction de la déflation offrira la possibilité de gager les postes à créer au bénéfice de la FOT ; de gager les créations de postes dans le renseignement (650 postes supplémentaires) et la cyberdéfense (500 postes) ; et de poursuivre et de parachever les transformations des armées et services de la défense.

En troisième lieu, la dépense de défense est accrue de 3,8 milliards d'euros par rapport à la LPM initiale. Les crédits supplémentaires bénéficieront d'abord au nouveau contrat de protection, avec 2,8 milliards d'euros consacrés aux effectifs et aux coûts d'infrastructure et de soutien. Une dotation de 500 millions d'euros supplémentaires sera affectée à la régénération des matériels, sujet préoccupant. J'avais déjà renforcé ce poste dans la loi de programmation, ce qui s'est traduit par une augmentation des crédits de 4 % par an. Nous pourrons accentuer cet effort. Il est peu spectaculaire mais indispensable, car les matériels s'usent, dans les climats peu propices des zones où nous intervenons.

Les 500 millions d'euros restants iront à des acquisitions, pour nous adapter à la nouvelle donne sécuritaire. À ce total s'ajoute 1 milliard d'euros issu de la réaffectation des gains de pouvoir d'achat liés à l'évolution favorable des indices économiques depuis le vote de la LPM à la fin 2013. Ce montant n'est pas une approximation, il a été chiffré conjointement par l'inspection des finances et le contrôle général des services de mon ministère. Au total, 1,5 milliard d'euros de crédits supplémentaires pourront ainsi être alloués au renforcement de la composante hélicoptère. Nous serons en mesure d'acquérir 7 hélicoptères Tigre et 6 NH 90 supplémentaires, de renforcer nos capacités de transport aérien tactique avec la mise à disposition de 4 appareils C130, et enfin d'accélérer notre programme de satellites optiques avec la mise du service du troisième satellite, issu d'une collaboration avec l'Allemagne.

Au total, l'effort budgétaire s'élèvera à 162 milliards d'euros sur la période 2015-2019 contre 158,6 milliards d'euros votés dans la LPM initiale.

En quatrième lieu, la structure des ressources financières de la programmation militaire est simplifiée : nous mettons un terme à la pratique contestée des ressources extrabudgétaires (REX), qui seront désormais remplacées par des ressources budgétaires nettes. La conversion s'effectuera dans le collectif budgétaire de fin d'année. Si des besoins de trésorerie devaient apparaître entretemps, des dégels et décrets d'avance y pourvoiraient. Et en 2016, plus de REX ! J'avoue ma satisfaction, que votre commission des finances comprendra...

Cinquième point, notre industrie de défense : le ministère dépensera 17,6 milliards d'euros par an en équipements au bénéfice de l'industrie nationale. Un creux dans les acquisitions de Rafale, en LPM initiale, se manifestait entre 2016 à 2019. Je devais encore déterminer comment le combler ; c'est chose faite, grâce aux marchés récemment remportés. Le bilan des exportations s'est établi à 8,4 milliards d'euros en 2014 ; pour 2015, dès aujourd'hui il atteint 15 milliards d'euros, auxquels s'ajoute une commande d'hélicoptères qui m'a été confirmée il y a une heure par l'émir du Koweït.

Je passerai rapidement sur les autres points, création des associations professionnelles nationales de militaires, nouvelle politique des réserves qui porte le nombre de réservistes de 28 000 à 40 000, expérimentation sur trois sites d'un service volontaire en métropole sur le modèle du service militaire adapté (SMA) dans les outre-mer, poursuite de la transformation du ministère, nouvelle organisation de l'armée de terre que le général Bosser a formalisée dans le plan stratégique « Au contact ». Je donne la priorité à la brigade aéro-combat et l'hélicoptère de combat, pour tenir compte de l'évolution des caractéristiques des conflits.

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