La réforme du collège agite les esprits, nourrit les conversations et occupe les médias depuis de longs mois ; les interrogations des personnels de terrain et notamment des personnels de direction ne s'apaisent pas.
Indépendance et direction considère comme légitime l'évolution du collège, a fortiori quand le niveau qui le suit comme celui qui le précède ont été réformés.
Pourtant, nous réfutons l'idée du « maillon faible du système éducatif » car nous estimons que, s'il est loin d'être parfait, le collège n'a pourtant pas failli à l'ensemble de ses missions et notamment dans celle de la massification. Notons à ce sujet que l'Observatoire sur les inégalités en France affirme dans un rapport publié au début de ce mois « que l'école n'aggrave pas les inégalités » même si « elle ne réussit pas à les réduire ».
Sans doute, l'évolution de la société, des techniques, de l'environnement comme de la pédagogie rendent la mutation du collège nécessaire et nous sommes tout prêts à participer à cette démarche. Dans nos sociétés, l'école est un enjeu sur lequel chaque enfant, chaque citoyen, chaque responsable, chaque élu a un point de vue, tant il est vrai que chaque âge de la vie a un lien avec l'école.
Nous nous interrogeons cependant sur la situation actuelle qui, à travers les études internationales, tend à faire prévaloir un modèle plutôt anglo-saxon, qui ne coïncide pas toujours avec le mythe national de l'école laïque et républicaine de la Troisième République. Et d'ailleurs, qui, objectivement, souhaite réellement voir proposer à nos enfants une école de type sud-coréen pourtant bonne élève des comparatifs ?
Un autre écueil doit être évité : attendre de l'école qu'elle réforme la société. L'école a un rôle, une responsabilité dans la construction du citoyen et de la société qu'elle partage avec tant d'autres, de la famille aux médias et aux autres institutions. Mais elle demeure aussi le fruit de cette société et de ses attentes. Il est normal que la société interroge l'école, mais la société doit aussi s'interroger quand elle constate que trop d'élèves peinent à comprendre le sens de l'école, la chance qu'on a d'apprendre, parce que l'effort n'est plus considéré comme une valeur positive.
Toute société doit avoir confiance dans son école, la valoriser et valoriser ses acteurs, c'est une condition de sa réussite et de son efficacité.
À ID-FO, nous nous affirmons comme des acteurs de terrain, responsables et soucieux de la qualité du service public offert aux élèves, à tous les élèves et nous avons le sentiment que, faute d'avoir clairement et précisément défini les préalables et les attendus, la réforme du collège ne permettra pas, en l'état, à la société de retrouver la fierté dans son école.
Nous estimons que la mise en place d'une réforme dont les objectifs sont louables, qui s'appuie sur la définition d'un nouveau socle et des programmes, constituait une bonne base de départ. Il était également intéressant de réfléchir en parallèle sur les méthodes pédagogiques et les supports numériques. Mais le tempo adopté vient ruiner cet édifice, car la réforme doit être mise en oeuvre sans avoir permis aux acteurs de s'approprier ces éléments. La rédaction des programmes n'est pas achevée et la déclinaison en items du nouveau socle n'est pas réalisée.
Nous nous inquiétons de certaines propositions de cette réforme. Si nous sommes favorables à la possibilité d'adaptations pédagogiques pour répondre aux besoins différenciés des élèves, nous considérons que cette autonomie des établissements doit porter essentiellement sur les rythmes, les méthodes, les démarches pédagogiques individualisées et non sur les contenus qui doivent rester nationaux, gage de la formation équitable de tous les citoyens, quelle que soit leur origine géographique ou sociale. Nous sommes ainsi favorables à une autonomie exercée dans un cadre national identique pour tous.
Nous n'hésitons pas à affirmer que la France a besoin d'une élite et qu'il appartient à l'école de la République d'accompagner et de guider chaque élève, selon la devise « citius, altius, fortius » chère à Coubertin. Le devoir de l'école n'est pas de reproduire les élites mais de permettre à chacun d'y accéder : les classes bilangues ou européennes sont précisément des chemins de réussite et d'excellence pour les collégiens qui ne sont pas des « héritiers ». C'est pourquoi nous sommes attachés à la mixité sociale dans les établissements, associée au retour en grâce de l'exigence car on n'exige que de ceux en qui l'on croit. Les formations d'excellence, pour peu que tous puissent effectivement être accompagnés pour y accéder et y réussir dans les meilleures conditions ne sont pas la vraie cause des disparités constatées entre élèves à l'issue de la scolarité obligatoire. Nous redoutons même que certaines familles ne quittent nos établissements pour les retrouver dans d'autres réseaux, aggravant encore la situation.
Sur le plan pratique, nous relevons une contradiction entre l'affirmation de la nécessaire acquisition de compétences tout au long du cycle 4, validées par le palier 3 du socle, et le maintien en parallèle du diplôme national du brevet (DNB) sur les bases actuelles.
Je m'attarderai brièvement sur un axe de la réforme dont nous avons le sentiment qu'il est la généralisation d'expériences tentées sur de petits nombres : les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), dont les modalités de mise en oeuvre restent bien floues. Relevons au préalable que les six domaines à sélectionner, valider et auxquels les enseignants devront donner du contenu seront des sources d'inégalités tant en fonction des équipes que des conditions locales, géographiques et budgétaires. L'absence de temps de concertation institutionnalisé pèsera sur leur mise en oeuvre. La manière dont les équipes s'approprieront ces EPI ne manquera pas de différer d'un point à l'autre du territoire, tant sur les contenus choisis que sur la ventilation des domaines au long du cursus. Les premiers concernés seront les élèves amenés à changer d'établissement, pour lesquels il sera fort compliqué et même quasi impossible de repérer les points qui n'auront pas été étudiés. Cette évolution aggravera les disparités entre établissements en termes d'exigence comme de contenus au détriment des élèves les plus fragiles. Sans horaire dédié et sans cadre, dépendante des choix des équipes, l'histoire des arts est un bon exemple de ces écueils.
Sur le plan organisationnel, les établissements à fort effectif seront confrontés aux problèmes de nombre et d'espace, tandis que les autres devront compter avec les multiples postes partagés, qui sont autant d'éléments d'inégalité. À cela s'ajouteront les problèmes de postes qui, immanquablement, viendront interférer dans la réflexion pédagogique, particulièrement en période de baisse démographique comme en connaissent de nombreux collèges. Ces paramètres ne manqueront pas d'inciter les équipes à privilégier tel ou tel domaine pour éviter la fermeture d'un poste ou la création d'un complément de service dans l'établissement voisin. Est-on bien certain que l'élève sortira gagnant de ces arbitrages ?
En outre, il ne suffit pas de dire que les chefs d'établissement seront les garants de l'opération. Leur rôle est loin d'être clairement défini, il n'est que de constater le peu de place qui leur est accordé dans les textes publiés, voire dans les projets à paraître. En termes d'organisation du temps scolaire, notons encore que la prise en compte et la combinaison des EPI à rythme annuel, semestriel ou trimestriel, ajoutée aux « semaines interdisciplinaires », aux enseignements complémentaires, risque de se traduire par des emplois du temps particulièrement pesants pour les élèves. Et je ne mentionnerai que pour mémoire le travail supplémentaire induit pour les personnels de direction qui se fera forcément au détriment d'autres missions.
La rapidité avec laquelle la réforme doit se mettre en place, en une seule étape, risque de représenter un autre handicap. Avec des équipes enseignantes perplexes, réticentes, si ce n'est hostiles, qui devront toute l'année à venir et sans réelle formation préalable, se projeter et se montrer créatives, le climat a peu de chances de se révéler propice. D'autant que les délais impartis devront permettre les allocations de moyens début 2016 - autant dire demain.
En conclusion, ID-FO reste avant tout attaché à une éducation effectivement nationale, de qualité et qui se préoccupe de tous les élèves. Nous regrettons le flou qui préside à la mise en place d'une réforme essentiellement structurelle qui reposera in fine sur les personnels de direction, pourtant fort entendus dans cette démarche.